La mise en service de l'EPR de Flamanville (Manche) n'interviendra pas avant le 11 avril, date limite fixée par le décret d'autorisation de création. L'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) n'a pas encore mis en consultation son projet d'autorisation de mise en service, ce qui rend impossible le chargement du combustible en temps et en heure. Surtout, elle explique poursuivre l'évaluation de la conformité de la chaudière du réacteur. Une récente visite d'inspection a mis en lumière un défaut de contrôle concernant des soupapes.
Depuis fin 2022, EDF annonce un chargement du combustible au premier trimestre 2024. Cette échéance est désormais caduque, ne serait-ce que de quelques jours ou semaines. EDF maintient la seconde échéance, c'est-à-dire un raccordement du réacteur au réseau mi-2024.
Un délai sans conséquence
En 2007, débutait la construction de l'EPR de Flamanville avec la publication le 11 avril du décret autorisant EDF à créer le réacteur nucléaire. Ce texte est clair : la mise en service du réacteur correspond au premier chargement en combustible et « le délai pour réaliser [ce premier chargement] est fixé à dix ans ». Rendez-vous est donc pris au 11 avril 2017, au plus tard. Bien sûr, au fil des déboires du chantier, la date est repoussée. Une première fois de trois ans, en mars 2017, et une seconde de quatre ans, en mars 2020. Désormais, EDF a jusqu'au 11 avril 2024 pour réaliser ce premier chargement. Ce délai sera dépassé.
Qu'adviendra-t-il une fois passée la date du 11 avril ? Rien, très probablement. L'expiration du délai « est sans conséquence immédiate », rappelle l'ASN, ajoutant qu'« il n'empêche pas d'autoriser la mise en service du réacteur ». Très précisément, l'article L.593-13 prévoit qu'« il peut être mis fin à l'autorisation de l'installation ». Un nouveau décret est donc nécessaire. Le dépassement du délai « ouvre en théorie la possibilité pour le Gouvernement de remettre en cause tout ou partie de l'autorisation de création, par exemple au regard de l'évolution des techniques ou de la réglementation intervenue depuis l'autorisation de création », résume l'Autorité.
La CLI informée de potentiels problèmes sur les soupapes
En février, le média Reporterre révélait que l'ASN avait transmis à la justice un cas de fraude concernant des équipements sous pression de l'EPR de Flamanville. Existe-t-il un lien avec la découverte des défauts de contrôle des soupapes abordés dans la lettre de suite de l'ASN ? Rien ne permet de l'assurer. L'ASN « [n'a] pas d'autres précisions à ce stade ».
La seule information disponible concerne la communication faite lors de la dernière réunion de la commission locale d'information (CLI). « On parle de falsification de documents pouvant toucher possiblement des vannes et soupapes », explique André Jacques, du Crilan.
Mais les travaux en cours ne s'arrêtent pas là. L'ASN explique qu'elle poursuit aussi « l'évaluation de conformité de la chaudière du réacteur au titre de la réglementation applicables aux équipements sous pression nucléaires », laissant entendre que la chaudière de l'EPR n'est pas encore considérée comme conforme aux règles en vigueur. Sur ce sujet, l'ASN ne donne aucune information précise, mais une lettre de suite détaille de nouveaux doutes concernant des soudures. Et le sujet inquiète les opposants (lire l'encadré).
Du 12 au 14 février, l'ASN a mené une visite de contrôle (1) concernant la fabrication des équipements sous pression nucléaires, dans le cadre de l'évaluation de la conformité de « l'ensemble chaudière » de l'EPR. Ces vérifications ont porté sur les soupapes de deux circuits : le circuit de contrôle volumétrique et chimique (2) (RCV) et le circuit d'injection de sécurité (3) (RIS).
Concrètement, l'Autorité voulait s'assurer que les contrôles de soudures réparées avaient été réalisés « dans des conditions de travail sereines, malgré le planning serré ». Visiblement, ce n'est pas le cas. L'ASN a constaté que Framatome, le fabricant de la chaudière, « n'assurait pas de surveillance, sur le terrain, des différents contrôles réalisés par EDF ». Et cela pose plusieurs problèmes.
Problème de garantie sur le contrôle des soupapes
D'abord, faute d'avoir assuré une bonne traçabilité de l'équipement utilisé pour réaliser les contrôles par fluorescence X, l'ASN n'a pas « la garantie que ces contrôles aient bien été réalisés sur les zones réparées ». Ensuite, l'ASN a « constaté des lacunes dans les procédures utilisées (contrôles visuels directs) ainsi que dans le suivi des opérations ». Or, « l'expérience des intervenants, le jour de l'inspection, ne justifie pas » ces écarts.
L'une des inquiétudes de l'ASN concerne l'efficacité des contrôles (pour ceux qui ont été effectués). Concrètement, les zones réparées sont révélées par attaque chimique, mais la procédure prévoit qu'elles soient immédiatement nettoyées, ce qui ne permet plus de les identifier. Les opérateurs qui réalisent les attaques chimiques doivent donc orienter précisément ceux qui réalisent le contrôle des zones réparées. Mais, « les inspecteurs ont remarqué un manque de communication entre les opérateurs puisque les opérateurs en charge des attaques chimiques n'avaient pas été prévenus que leur présence était requise ».
Autre sujet pointé par l'ASN : les résultats obtenus par fluorescence X lors des contrôles complémentaires réalisés en décembre 2023 sur une soupape sont différents de ceux transmis à l'ASN avant la visite d'inspection.
L'ASN a donc formulé une série de demandes en fixant une date butoir au 11 mars, afin que Framatome démontre que les contrôles ont bel et bien été réalisés, faute de quoi le fabricant devra « procéder à ces contrôles en assurant leur traçabilité et la surveillance adéquates ».