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"Le véritable enjeu est de changer radicalement la morphologie des villes"

Ilots de chaleur : premières pistes pour ré-inventer la ville Actu-Environnement.com - Publié le 04/07/2016

Pour Marie-Christine Zélem, professeur de sociologie, spécialiste des questions d'environnement et d'énergie, à l'Université de Toulouse Jean Jaurès, mieux vaut intervenir sur un bâtiment pour l'optimiser au niveau confort thermique et réduire au maximum le high-tech.

Ilots de chaleur : premières pistes...  |    |  Chapitre 6 / 6
"Le véritable enjeu est de changer radicalement la morphologie des villes"
Environnement & Technique N°360 Ce dossier a été publié dans la revue Environnement & Technique n°360
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Actu-environnement : Quelles sont les personnes les plus vulnérables au stress thermique ?

Marie-Christine Zélem : Les personnes les plus vulnérables sont les personnes âgées, les bébés et femmes enceintes, les personnes qui vivent dans les vieux centres historiques dans des bâtiments pas isolés. Ce sont toujours les mêmes catégories sociales qui subissent, que ce soit pour travailler, circuler ou habiter. C'est pareil pour les vagues de chaleur, elles subissent sans pouvoir s'en protéger. On a inventé des villes qui fonctionnent beaucoup avec des systèmes automatiques à tout va, et on réalise aujourd'hui que nos villes sont mal adaptées au changement climatique. On n'arrive pas à endiguer cette dérive technologique et on demande aux citoyens de trouver les solutions alors que la plupart sont en situation contrainte.

AE : La climatisation se généralise-t-elle ?

MCZ : Avec mon collègue Christophe Beslay, nous avons travaillé après la canicule de 2003 sur les usages de la climatisation. Nous avons été frappés par le fait que cette canicule, qui ne s'est pas reproduite depuis, a jeté les consommateurs sur les climatiseurs alors que ce n'était pas justifié. Dans cette étude pour l'Ademe, nous avons mis à jour que la canicule a créé une situation de stress et d'inquiétude. A l'époque, ceux qui en avaient les moyens se sont équipés, sauf que pour rentabiliser leur achat, aujourd'hui, ils tendent à faire tourner les appareils sans pour autant que la température extérieure le justifie. Nous sommes en été, les climatiseurs sont en marche et continueront à tourner même s'il fait mauvais le week-end prochain.

Il y a un véritable manque d'information sur la manière d'utiliser ces appareils. Le réflexe est entretenu par les grandes surfaces de bricolage. On y trouve des systèmes de climatisation bas de gamme, pas besoin d'installateur, ces dispositifs sont devenus très accessibles. La première catastrophe liée à la climatisation, c'est qu'on vous la vend comme si c'était un fer à repasser ou un frigo. On vous la livre sans vous expliquer les conditions d'utilisation. En général, on fait "on/off" avec une zapette et on ne sait pas à quelle température elle fonctionne. C'est ainsi que, qu'il fasse 25 ou 35° dehors, l'appareil va fonctionner à 19°. Or, à 30-35°, l'écart de température est tel que le corps n'a pas le temps de s'adapter. Ce qui cause des chocs thermiques redoutables pour la santé. Les médecins ont donné l'alerte : le nombre de décès liés à la climatisation est bien plus important que le nombre de décès liés à la canicule. Ces dispositifs augmentent la vulnérabilité des personnes. Je travaille en ce moment sur le diagnostic énergétique d'une université. La bibliothèque universitaire climatise à 19° en permanence, les étudiants se plaignent, ils ont froid en été, mais personne ne modifie la température…

AE : Quelles sont les alternatives à la climatisation ?

MCZ : Concernant la chaleur, des gestes tout simples, tels que tirer les rideaux, fermer les volets, ventiler la nuit pour faire rentrer la fraîcheur... Si nos concitoyens adoptaient ces attitudes, on réduirait de beaucoup les besoins en climatisation. Mais ce n'est pas parce qu'on est sensibilisé qu'on va mettre en oeuvre le "bon" comportement. Les alternatives, on les connaît depuis longtemps : le bioclimatisme par exemple. Des bâtiments adaptés au climat, construits avec des matériaux adéquats.

AE : Voit-on venir des évolutions dans les modes d'habitat, par exemple la végétalisation des villes ?

MCZ : Le "rouleau compresseur" continue de compresser, on continue de développer les nouvelles technologies, et pour compenser on végétalise les bâtiments, on laisse pousser les mauvaises herbes, on crée des petits espaces verts, on réinstalle des fontaines... Autant dire que ce sont des rustines... Le véritable enjeu est de changer radicalement la morphologie des villes. A Toulouse (31), quand on a changé de maire, ça a été la catastrophe, le nouveau maire a re-bétonné des zones vertes que le maire précédent avait créées... La tendance est à bétonner, goudronner, l'eau ne peut plus s'écouler. On est bien confrontés à un problème morphologique. Ce qui nécessiterait de revoir les grands concours d'architecture, les modèles d'aménagement et d'urbanisme dans leur ensemble... un gros chantier.

AE : Les smart cities sont-elles la solution aux effets du réchauffement ?

MCZ : Les modèles constructifs contemporains confortent le recours à la technique et à la multiplication des équipements dans les bâtiments. Mais, avec la multiplication de systèmes autorégulés, ils dépossèdent les humains de la gestion de leur environnement intérieur. Ils renforcent aussi la conception dominante d'un confort consumériste qui cherche à s'affranchir, par la technique, des aléas de la nature et du climat. Il faudrait donc revisiter la réglementation thermique. Celle-ci invite à construire des bâtiments hyper isolés, qui supposent d'être ventilés la nuit. Or, même la nuit, on ne pourra plus les rafraîchir pendant les vagues de chaleur. Ces bâtiments risquent d'être invivables. Si la morphologie des villes et la réglementation thermique sont modifiées, la climatisation deviendra superflue. Ce n'est pas aux habitants de pallier les manques de la structure urbaine, ils sont captifs de leur cadre de vie. Mieux vaut intervenir sur un bâtiment pour l'optimiser au niveau confort thermique, réduire au maximum le high-tech, plutôt que de sensibiliser les habitants à changer de comportement alors qu'ils sont captifs de systèmes sur lesquels ils ne peuvent plus agir.

AE : Voit-on émerger un civisme climatique ? Le réchauffement va-t-il catalyser des mobilités plus douces dans les villes ?

MCZ : Le problème est structurel. Je travaille à Toulouse, mais je vis à une heure de mon lieu de travail. J'utilise le train pour me transporter. Sauf que le train fonctionne mal et donne souvent envie de prendre la voiture. De manière générale, comme les transports en commun ne sont pas toujours fiables et coûtent cher, les gens se replient sur la voiture... Dans cette société assez dure et cruelle, même si ça semble étonnant, la voiture, pour beaucoup, c'est aussi un refuge qui, en plus, procure une certaine liberté. Pour tenter d'inverser ce "réflexe voiture", il faut faciliter et rendre attractifs et sécuriser le vélo, le bus ou le covoiturage. Mais le plus difficile c'est de faire changer les habitudes. Les tramways ont été par le passé supprimés de toutes les villes. Aujourd'hui, on redécouvre l'intérêt de ce mode de transport. Encore faut-il qu'il soit suffisamment attractif pour parvenir à détourner de la voiture. Ca suppose de bousculer certaines croyances sur la fréquence, l'intermodalité, la rapidité…. "Informer", "sensibiliser" sont nécessaires, mais absolument pas suffisants. Comme dans le domaine des économies d'énergie, plutôt que de compter sur les changements de comportements, il vaudrait mieux agir en amont sur l'offre et favoriser systématiquement les solutions les moins impactantes. Donner le choix entre "faire bien" et "faire mieux" et réduire, voire éliminer, toutes les situations de "non choix" ou de "choix par défaut". Ca suppose évidemment de disqualifier, et pourquoi pas pénaliser, tous les systèmes qui obligent à des pratiques peu compatibles avec le climat. Ca suppose aussi de récompenser ceux qui jouent le jeu. Mais là… on entre dans le domaine du politique ! Domaine par lequel tout devrait commencer en fait…

Propos recueillis par Agnés Sinaï

© Tous droits réservés Actu-Environnement
Reproduction interdite sauf accord de l'Éditeur.

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