De nombreuses études ont souligné le fait que nos modèles actuels de consommation et de production agricoles n'étaient pas soutenables. Certes, la production agricole mondiale actuelle pourrait satisfaire les besoins alimentaires de l'humanité entière, mais aujourd'hui sa répartition est inéquitable : schématiquement, il y a suralimentation au Nord et sous-alimentation au Sud.
L'étude Agrimonde, Scénarios et défis pour nourrir le monde en 2050, publiée le 12 janvier par l'Institut national de la recherche agronomique (Inra) et le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), tente donc d'identifier les enjeux alimentaires à l'horizon 2050, quand la population mondiale aura atteint les 9 milliards d'individus. ''Simple dans son énoncé, la question posée est difficile à traiter en pratique'', notent en préambule les auteurs de l'étude.
En effet, le défi alimentaire n'est pas seulement quantitatif. Il est également qualitatif : ''permettre à tous d'accéder à une nourriture suffisante, sécurisée d'un point de vue sanitaire et équilibrée sur le plan nutritionnel''. Mais le rôle de l'agriculture ne se limite pas à la seule production alimentaire. Il est également social et environnemental. Agrimonde souligne ainsi trois enjeux majeurs à intégrer avant de dessiner les modèles agricoles de demain.
Adapter les comportements alimentaires avant d'opter pour des modèles de production
L'étude Agrimonde a conçu deux scénarios à l'horizon 2050. L'un repose sur le modèle ''business as usual'', ''où la priorité est donnée à la croissance économique et au bien-être matériel des générations actuelles''. Le second fixe un objectif de satisfaction des besoins alimentaires de 3.000 kilocalories par jour et par habitant, dont 500 d'origines animale et aquatique, dans toutes les zones du monde.
Ce deuxième scénario suppose un réajustement des consommations, au Nord comme au Sud. Si entre 1961 et 2003, la disponibilité alimentaire en équivalent calorique par habitant est passée de 2.500 kcal par jour à 3.000, atteignant l'objectif du scénario, les kilocalories par habitant sont réparties de manière inéquitable. Quand un citoyen d'un pays riche consomme 4.000 kilocalories par jour (jusqu'à 4.500 aux Etats-Unis), un habitant de l'Afrique subsaharienne en consomme 2.300…
Pour atteindre 3.000 kcal/hab./j, l'Afrique subsaharienne devra donc compter sur une augmentation des revenus, un accroissement et une diversification des consommations alimentaires. A contrario, les pays de l'OCDE devront voir la part de leur consommation carnée diminuer. Le régime occidental devra s'enrichir en fibres et micronutriments et réduire les pertes et les gaspillages, estimés à 800 kcal/hab./j dans les pays développés… Des politiques publiques fortes devront être mises en place afin de ''lutter contre la suralimentation et les maladies associées''.
Selon les auteurs d'Agrimonde, il est indispensable d'intégrer ces questions comportementales aux réflexions agronomiques, avant de redéfinir l'offre de production agricole de demain.
Une nécessaire sécurisation des échanges internationaux
Selon les scénarios Agrimonde, en 2050, le monde sera divisé en deux ou trois zones excédentaires en production de calories alimentaires (l'OCDE, l'Amérique latine et l'Ex-Union soviétique) et de trois zones déficitaires (l'Asie, l'Afrique du Nord - Moyen-Orient et l'Afrique subsaharienne), où l'augmentation de la production agricole domestique ne permettra pas de satisfaire les besoins intérieurs. Dans ces zones, un recours accru aux importations sera nécessaire.
La question agricole devra donc nécessairement être posée à l'échelon international, intégrant ''la problématique des échanges mondiaux de produits agricoles et agroalimentaires, de leur sécurisation, de leur stabilité, et des relations avec les régulations internationales environnementales et sociales''.
L'intensification écologique de la production agricole
Enfin, l'agriculture de demain devra également être intensive écologiquement, c'est-à-dire qu'elle devra exploiter au mieux les processus écologiques. Elle devra être plus économe en énergies fossiles, axée sur le travail des sols, les associations culturales, la protection et de production intégrées des cultures, les successions culturales, les rotations... Mais ''l'intensification écologique ne saurait se réduire à cette seule dimension technique. Elle doit aussi être pensée en tant que mode d'organisation sociale, économique, politique, spatiale, etc.''.
S'opposent ainsi deux modèles. Le premier est ''ségrégationniste'' : il sépare les espaces cultivés de ceux qui ne le sont pas au titre de la protection de l'environnement. ''Ce premier modèle requiert de fortes innovations de façon à limiter les dommages environnementaux dans l'espace productif. Mais c'est principalement dans le cadre de l'espace non-productif que sont alors pensés les problèmes environnementaux globaux et leur résolution, conduisant, à l'extrême, à la sanctuarisation de ces espaces''.
A l'inverse, le second modèle est ''intégrationniste''. Il associe, sur un même territoire, ''différents types de systèmes productifs et fait du territoire une mosaïque d'écosystèmes simultanément source de biens marchands et de services écologiques tels que la préservation des sols, la gestion optimisée de l'eau, le stockage de carbone ou la protection de la biodiversité''. Ce modèle intègre également des ''exploitations agricoles, éventuellement peu performantes à l'aune des seules performances technico-économiques classiques, mais qui jouent néanmoins un rôle environnemental et social essentiel, donnant tout son sens à la notion de multifonctionnalité''.