La Stratégie mondiale de la conservation, publiée en 1980, jette les bases de la conservation de la nature associée au développement et propose une première définition du développement durable. L'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) souligne alors l'importance de respecter la capacité de charge des écosystèmes, ce qui renvoie à la notion écologique fondamentale de limites de l'environnement, mesurées notamment par l'empreinte écologique. Tous ces principes ont été affinés dans le document Sauver la Planète, stratégie pour l'avenir de la vie, publié en octobre 1991 par le Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE) et le World Wild Fund for Nature (WWF). C'est dans ce document qu'est approfondie la définition du développement durable, mise en rapport avec la capacité de charge et les limites de la biosphère, dans le cadre d'une économie ''qui préserve le capital des ressources dont elle dépend''.
La biodiversité ne se réduit pas à la conservation
Publiée en 1992 par le World Resources Institute, l'Union mondiale pour la nature et le Programme des Nations unies pour l'environnement, la Global Biodiversity Strategy introduit une évolution majeure dans la philosophie dominante des milieux dédiés à la protection de la nature : elle souligne que la conservation de la biodiversité ne se réduit pas à la protection d'espèces sauvages dans des réserves naturelles, mais qu'elle consiste aussi et surtout à sauvegarder l'intégrité des grands écosystèmes de la planète, appréhendés comme conditions de la vie sur Terre. La diversité des cultures humaines, des représentations, des imaginaires est indissociable de la diversité biologique. La biodiversité désigne une politique de la coexistence des êtres vivants sur une planète aux ressources limitées.
Selon Robert Kasisi, de l'Ecole d'architecture du Paysage de Montréal, ''biodiversité est un terme qui ne passe pas dans le public. L'approche par la conservation ne tient pas compte de la diversité culturelle des visions du monde''. Comme l'écrivait l'anthropologue Philippe Descola, il y a bien une pluralité des intelligences de la nature. Pour l'éleveur, la forêt, c'est l'obstacle. Pour un Occidental, une table en bois est un objet de décoration. Pour une nomade du Sahel, elle sert à faire du bois de feu. La biodiversité ne se limite donc pas à un inventaire du nombre d'espèces présentes sur la Terre, mais désigne une pluralité d'usages. Ainsi les contes et les chansons Pygmées permettent de comprendre les relations avec la faune en République du Congo.
Les écologues affinent la notion de diversité biologique en fonction des niveaux d'organisation du vivant : la diversité génétique désigne la diversité des gènes déterminant les différences entre individus d'une même espèce ; la diversité spécifique correspond à la diversité des espèces proprement dite ; la diversité écosystémique désigne la diversité des systèmes biologiques sur la Terre, au sein desquels se développent des combinaisons plus ou moins complexes d'espèces végétales et animales, en fonction des facteurs prépondérants caractérisant les milieux physiques : le climat (température, lumière, hygrométrie) et les sols. Chaque niveau de biodiversité influence les autres niveaux et subit leurs variations en retour. La sauvegarde de la biodiversité se joue donc à plusieurs échelles, locales et globales. L'initiative japonaise Satoyama (Satoyama Initiative) expérimente dans les banlieues de Tokyo la création de ''paysages socio-écologiques''. Cette approche à échelle humaine s'inspire de traditions ancestrales qui utilisent les ressources naturelles dans les limites de la capacité de charge du terrain et en boucle cyclique.
L'évaluation des services écosystémiques comme argument politique
La valeur des services rendus par les écosystèmes est désormais l'argument clé pour rallier entreprises et Etats à des stratégies de développement qui anticipent la détérioration des ressources naturelles comme un manque à gagner pour les agents économiques. Dès 1997, l'économiste Robert Costanza et son équipe ont évalué à quelque 33.000 milliards de dollars par an (estimation minimale) la totalité des services rendus à l'humanité par les écosystèmes de la planète1. Cette estimation démontre que la valeur du capital naturel est supérieure au PIB mondial annuel, de l'ordre de 18.000 milliards de dollars par an. Divisés par six milliards d'individus, ces 33.000 milliards offrent environ 5.500 dollars par personne et par an de services offerts par la nature. Cela n'est pas cher pour ces services vitaux ''rendus'' par les écosystèmes, comme la régulation de la composition de l'atmosphère, du climat, de l'eau, la capacité de résilience, l'offre de ressources en eau, le contrôle de l'érosion, la formation des sols, le recyclage des nutriments, le traitement des déchets, la pollinisation, le contrôle biologique, l'habitat des espèces, la production de nourriture, de matériaux bruts, de ressources génétiques, de divertissement et de support de culture.
Publié en 2005, le Millenium Ecosystem Assessment croise l'approche économique de Robert Costanza avec l'observation fine des services rendus par des biorégions emblématiques. Menée sur quatre ans par quelque 1.360 naturalistes et scientifiques de 95 pays, cette vaste étude, rédigée par plus de 2.000 auteurs, fournit un diagnostic sans précédent et dresse un état des lieux des services rendus à l'humanité par ces écosystèmes. Elle démontre que les services que la biodiversité fournit sont la base du bien-être humain. Et que le maintien en bon état des écosystèmes est à la base de la sécurité des personnes, de la cohésion sociale et du respect de l'autre. Le Millenium Ecosystem Assessment tente de convaincre les industriels qu'à terme ils gagneront à maintenir les écosystèmes plutôt que de les exploiter à outrance.
L'influence du Millenium Ecosystem Assessment reste limitée, même si des initiatives voient le jour : l'Australie a évalué la pollinisation à 1,3 milliards de dollars, la compagnie de l'eau de la ville de New York a su protéger la biodiversité en amont des captages dans les Catskills, ce qui lui a permis d'éviter six milliards de dollars d'investissements. En Equateur, une négociation a été possible pour limiter l'impact des industries minières dans des zones protégées. Pour impliquer davantage encore les décideurs économiques, un rapport de plus a été commandé par l'IUCN et par la Commission européenne à l'économiste indien Pavan Sukhdev, sur les effets économiques de la perte de biodiversité. Ce rapport est à la biodiversité ce que le rapport Stern a été au climat. Sa version finale sera livrée lors de la COP 10 à Nagoya, au Japon, en octobre prochain.
Ni la décision politique, ni le comportement des agents économiques ne sont aujourd'hui guidés par la conscience de la valeur intrinsèque de la nature, constatent la plupart des participants à la conférence de l'Unesco. L'objectif lancé par la Convention sur la diversité biologique (1992) d'inverser les tendances actuelles de sa perte à l'horizon 2010 n'a pas été atteint. Il devrait être renouvelé par un objectif « 2x20 » (réduire de 20% la dégradation des écosystèmes d'ici à 2020). La COP 10 aura surtout la lourde charge d'impliquer les politiques dans le maintien en bon état des écosystèmes en les convainquant du caractère primordial de cet enjeu encore incompris. ''La biodiversité en général n'est pas une priorité des gouvernements'', se désole Ashok Khosla, président de l'IUCN. ''A qui profitent les écosystèmes ? Combien valent-ils ? Il y a encore du travail pour convaincre les politiques''. Améliorer la communication entre scientifiques et décideurs sera la mission du très attendu Groupe intergouvernemental sur la biodiversité et les services écosystémiques (Intergovernmental Platform on Biodiversity and Ecosystem Services). Cet IPBES sera à la biodiversité ce que l'IPCC (GIEC) est au climat. Il devrait voir le jour cette année. Selon M. Khosla, dans les cinq prochaines années, l'approche de la biodiversité devrait connaître une refonte totale. La sauvegarde des écosystèmes mobilisera de plus en plus les entités régionales et les pouvoirs décentralisés, en association avec les populations autochtones, qui possèdent une science citoyenne de la biodiversité.