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''L'archéologie préventive, ce n'est pas le gendarme de l'aménagement''

Face à l'urgence de la réalisation des grands projets annoncés (autoroutes, TGV, EPR, etc.), la France a-t-elle les moyens de préserver son patrimoine archéologique ? Éléments de réponses de l'archéologue Jean-Paul Demoule, premier Président de l'Institut National de Recherches Archéologiques Préventives (INRAP).

Interview  |  Aménagement  |    |  C. Saïsset
   
''L'archéologie préventive, ce n'est pas le gendarme de l'aménagement''
Jean-Paul Demoule
Président de l'Institut National de Recherches Archéologiques Préventives (INRAP)
   
AE : Quelle est la probabilité de trouver un site archéologique lors d'un aménagement sur le territoire métropolitain ?
Jean-Pierre Demoule :
Où que ce soit en France, si on fait un trou de 4 hectares de surface, on est sûr de trouver quelque chose. Le nombre de sites archéologiques y est estimé à plusieurs millions. Quant aux nouveaux espaces aménagés, il y en aurait 60.000 hectares/an, mais il n'existe aucune statistique totalement fiable là-dessus. Sur une autoroute ou une ligne de TGV, on trouve aujourd'hui en moyenne un site par kilomètre. Mais tous ces sites ont été détruits lors des premiers aménagements de ce type (autoroutes de Lille à Nice, TGV Paris-Lyon, etc.). Jusqu'aux années 90, rien n'a été fait.

AE : Comment expliquez-vous l'intérêt récent pour le patrimoine archéologique français ?
JPD :
Aujourd'hui, la France compte 3.000 archéologues, contre 600 au début des années 70. Pendant les Trente Glorieuses, il n'y a pas eu d'archéologie préventive alors que la France était proportionnellement plus riche qu'aujourd'hui. Nous avons pris un retard considérable par rapport à des pays comme le Royaume-Uni, le Canada, la Suède ou le Japon. Dans les années 70, le rapport de force a changé avec les aménageurs : ils ont accepté de payer des fouilles archéologiques pour se prémunir d'une infraction au Code Pénal qui dit que nul n'a le droit de détruire un site archéologique et que quiconque en découvre un se doit de le déclarer. Dans un monde que beaucoup trouvent devenir de plus en plus fou, ce revirement coïncide avec le besoin de se retrouver dans une histoire, d'acquérir des connaissances qui donnent des repères, du sens. Quand on parle des OGM, par exemple, il est intéressant de savoir que la première manipulation du vivant date du Néolithique (9.000 ans avt JC), avec la domestication des animaux et la sélection des plantes ; qu'elle a engendré le contrôle de l'alimentation et le boom démographique que nous observons aujourd'hui.

AE : En quoi le patrimoine archéologique est-il porteur de sens ?
JPD :
L'archéologie préventive, c'est la conciliation entre le développement économique et social, la conservation du patrimoine et la recherche scientifique. C'est évidemment un équilibre fragile, sans règle ; une relation entre les possibilités économiques d'une société, la demande sociale et le niveau scientifique. À travers la reconstitution des sociétés du passé, l'archéologie participe au rapport que la société actuelle entretient avec son histoire. Ce qui passe non pas par la recherche à la Indiana Jones de l'objet rare voué à être magnifié dans un musée, comme le buste de Jules César extrait du Rhône qu'a salué la ministre de la Culture. Mais par la découverte de pollens, de plantes, de coquillages microscopiques qui montrent si le paysage était ouvert ou cerné de forêt, de bouts d'os, de poteries, etc. Toutes ces choses curieuses reconstituées au fil des ans sur un million d'années n'ont rien de spectaculaire, mais elles apportent des réponses aux interrogations : Que mangeaient-ils ? Connaissaient-ils la traction animale ? Venaient-ils de là ou d'ailleurs ? Prenez la Champagne pouilleuse. À l'époque de la Gaule, elle a été très peuplée, puis surexploitée et abandonnée. Aujourd'hui, elle est le siège d'agriculture intensive et de sites de stockage de déchets nucléaires.

AE : Depuis 2002, les aménageurs ont obligation de faire diagnostiquer les sites avant l'implantation d'un nouveau projet. Selon quel mécanisme ?
JPD :
Tout projet d'aménagement du territoire passe entre les mains d'un des 150 agents publics des services archéologiques des Directions Régionales des Affaires Culturelles (DRAC) : tracé linéaire (gazoducs, oléoducs, autoroutes, LGV, canaux) ou aménagement de surface (zones industrielles, lotissements, etc.). Selon la nature du projet, il est décidé d'y mener un diagnostic archéologique (sondages et études d'archive) et des fouilles archéologiques. Ces travaux sont réalisés par des agents publics de l'Institut National de Recherches Archéologiques Préventives (INRAP), créé en février 2002 sous la tutelle des ministères de la Culture et de la Recherche, en application de la loi du 17 janvier 2001. Sur 15 % des surfaces étudiées par les agents des services archéo des DRAC, le ministère de la Culture décide d'un diagnostic archéologique. Dans 20 % de ces espaces diagnostiqués, l'INRAP réalise vraiment des fouilles, soit sur 2 % des surfaces aménagées. L'archéologie préventive, ce n'est pas le gendarme de l'aménagement ! Les gros aménageurs le savent bien, eux qui font valoir ces recherches comme le respect de valeurs éthiques et patrimoniales. Quant aux carriers, ils ont intégré les contraintes environnementales, dont la contrainte archéologie.

AE : En quoi la loi de Finances 2009 vient-elle fragiliser ce mécanisme récent ?
JPD :
L'INRAP dispose d'un budget de 160 M€/an, soit 1 à 2‰ du budget du BTP ou 2 à 3 €/an/français. En comparaison, cela ne correspond ''qu'à'' 1,5 avion de chasse sans ses armes. Ce budget repose uniquement sur le financement des aménageurs : la Redevance d'Archéologie Préventive (RAP). Les diagnostics sont financés par la RAP et les fouilles par le Fonds National d'Archéologie Préventive (FNAP) - alimenté par la RAP -, exceptées celles des gros aménageurs financées sur fonds propres. Dire que l'archéologie préventive est un obstacle au développement économique, n'est pas vrai. Le coût des recherches équivaut à 1 % du coût d'une autoroute ou d'une ligne TGV ! Mais cette RAP a été sous-dimensionnée : alors qu'elle devrait rapporter 100 M€/an, elle en rapporte péniblement 50 M€. Lors de l'adoption de la Loi de Finances 2009, nous avons essayé de la faire augmenter. Résultat ? Pas vraiment d'augmentation, mais désormais, l'archéologie préventive est soumise à des délais. Les services archéo des DRAC ont trois semaines pour étudier un dossier et dire si un diagnostic archéologique s'impose. Et à l'issue du diagnostic, s'il est décidé de fouilles, celles-ci devront s'arrêter au bout de six mois (renouvelable une fois), ce qui est en parfaite contradiction avec le Code Pénal ! Et le ministère des Finances a décidé de plafonner le personnel de l'INRAP à 2.000 agents publics, alors que les crédits existent pour en engager plus. C'est du dogmatisme!

AE : Quelle est la plus grande cause de destruction du patrimoine archéologique ?
JPD :
Il s'agit sans aucun doute de l'agriculture. Les engins émiettent les sites et même les murs… Là dessus, il n'y a aucune législation, ni en France ni ailleurs. Dans le décret de 2002 sur l'archéologie, les arrachages de vigne et le sous-solage à un mètre de la surface étaient soumis à des diagnostics préalables. Mais cela a été abandonné. Et dès 2003 a été introduite la notion de concurrence non pas pour les diagnostics qui demeurent monopole public (INRAP, collectivités locales) mais pour les fouilles ; le chantier restant contrôlé par les agents des services archéo des DRAC. Dans les faits, il n'a pas été constaté une baisse du coût de la prestation, mais des signes de dérives, comme aux Etats-Unis et en Italie qui pratiquent depuis longtemps cette mise en concurrence. Contrairement à ce qu'on pourrait croire, cette demande n'est pas venue d'aménageurs cherchant une entreprise capable de vidanger leur terrain au plus vite et au meilleur rapport qualité prix. Elle émane d'élus locaux. Or, le but de l'archéologie n'est pas de vidanger le terrain, mais de produire de la connaissance. Il y a eu là un détournement de cette notion de concurrence à des fins purement idéologiques.

AE : Quel lien observez vous entre recherche archéologique et protection de l'environnement ?
JPD :
L'environnement et l'archéologie convergent du point de vue politique et juridique vers la question de la ressource. L'environnement, on peut le restaurer, le réhabiliter, réintroduire des espèces végétales ou animales, etc. tandis que la destruction d'un site archéologique, c'est irrémédiable. Le site préhistorique de 200.000 ans situé sur la commune de Biache Saint Vaast (Pas de Calais) a été sacrifié au nom de l'emploi pour une industrie métallurgique qui vient de fermer après 30 ans d'exploitation… Quand on pointe du doigt ces incohérences dans le temps, on nous dit : « Vous voulez privilégier les morts sur les vivants ». Mais en fait, ce sont les vivants de maintenant qui s'arrogent le droit de décider de ce qui va rester à tous les vivants futurs.

Réactions11 réactions à cet article

Bravo à l'INRAP pour le chantier de Noisy-le-Gran.

Les fouilles préventives d'une nécropôle mérovingienne à Noisy-le-Grand sont exemplaires. Période d'une histoire ayant laissée peu de sites.

Anonyme | 16 avril 2009 à 09h24 Signaler un contenu inapproprié
les nouveaux vandales

Entièrement d'accord avec Mr.DEMOULE.
En quelques trente années les aménageurs ont vandalisé beaucoup plus de sites qu'il ne s'en est détruit
en 5000 ans, y compris aprés le passage des hordes "Vandales".

La destruction de sites archéologiques est pourtant un délit prévu et réprimé par la Loi mais elle est surtout un "vol" d'un patrimoine qui avait réussi à traverser les siècles et qu'une personne détruit dans son intérêt personnel.

La convention de Malte , traité international ,signé par la France est bafoué .

La mécanisation de l'agriculture et la mise en herbe de nouvelles surfaces , favorisée par la Politique agricole Européenne ,poursuit inexorablement ce travail de destruction et se trouve pourtant ,hors champ de la législation sur l'archéollogie préventive

copie | 16 avril 2009 à 09h57 Signaler un contenu inapproprié
Il est nécessaire et urgent que les citoyens ...

soient partie prenante d'une politique qui valorise la connaissance du passé, non comme refuge contre certaines aberrations de l'époque contemporaine mais bien comme reconnaissance de nos origines afin de mieux cerner notre réalité actuelle; en connaissance de cause, nous pourrons mieux peser sur les choix "aménagistes" de nos élus.

Anonyme | 16 avril 2009 à 12h31 Signaler un contenu inapproprié
connaissance de l'archéologie

Pour une immense majorité du public le mot archéologie reste tres vague ce mot est il SEULEMENT évoqué à l'école?
Qui défendra une cause qu'il ne comprend pas ?
La nouvelle priére au nom du péze du fric et adieu l'esprit

vertaco | 17 avril 2009 à 07h16 Signaler un contenu inapproprié
l'archeologie est au service des archéologues

A force de fouiller les sites, on trouve toujours les mêmes choses qui finissent par envahir nos musées arhéologiques.
On ne trouve pas tous les jours un crater de VIX.
l'archéologie finit par entretenir l'activité des archéologues, sans plus d'intérêt pour la connaissance archéologique!

duchnok | 17 avril 2009 à 16h19 Signaler un contenu inapproprié
Déconstruction, démolition

Bonjour,

Je travaille en déconstruction, démolition, dépollution et je suis désolée de voir que par manque d'archéologues sur le terrain nos chantiers restent bloqués aussi longtemps. Est-ce fait volontairement ?

Isa | 17 avril 2009 à 21h14 Signaler un contenu inapproprié
Re:l'archeologie est au service des archéologues

C'est une conception très vieillie de l'archéologie, de penser que celle-ci chercherait des "trésors", dont le Vase de Vix (découvert en 1953) est un bon exemple - ou encore ce buste de César trouvé sans contexte dans la vase du Rhône, que je citais dans cette interview. L'archéologie cherche désormais à reconstituer des modes de vie, à partir de vestiges très peu spectaculaires (pollens, ossements d'animaux, morceaux de poterie, etc). Elle cherche à comprendre l'implantation humaine dans l'environnement, et donc travaille sur les très grandes surfaces (plusieurs dizaines, voire centaines d'hectares) mises au jour lors des grands travaux d'aménagement. Cela permet par exemple de mesurer la densité d'occupation à une époque donnée et la densité de la population, ou encore de mesure l'impact (négatif ou positif) de l'homme sur l'environnement. Il est vrai que certains musées ne savent pas encore complètement prendre en compte cette nouvelle dimension, plus difficile à montrer qu'un simple "trésor" ; mais il y a de plus en plus de progrès dans cette nouvelle pédagogie.

Jean-Paul Demoule | 20 avril 2009 à 12h22 Signaler un contenu inapproprié
Re:Déconstruction, démolition

Oui, c'est en partie volontaire. En effet, les aménageurs sont prêts à payer le coût des fouilles préventives, mais l'INRAP, qui en réalise la plupart, n'a pa le droit d'embaucher plus de 2000 archéologues à la fois. Le but est d'empêcher ainsi le développement de l'emploi public (la réduction de l'emploi public était au programme du candidat à la présidence de la République démocratiquement élu en 2007) et d'encourager le développement d'entreprises privées d'archéologie, comme il en existe dans certains pays. Mais si le l'économie de marché peut avoir un sens dans de nombreux secteurs, c'est un contre-sens dans celui de la recherche fondamentale. L'aménageur, comme je l'expliquais, n'est pas demandeur de recherche scientifique, mais seulement qu'on lui libère son terrain. C'est pourquoi l'archéologie "privée" a rarement donné de bons résultats, et l'exemple des États-Unis le montre bien. C'est pourquoi l'ensemble de la communauté archéologique et de ses instances scientifiques s'étaient déclarées défavorables à la création d'un secteur privé en archéologie. En attendant, les délais s'allongent pour les aménageurs, alors que l'INRAP pourrait parfaitement intervenir à temps si on lui en donnait les moyens (et, pour me répéter, ce n'est pas une question de budget, c'est seulement une question d'autorisation de recruter des archéologues supplémentaires).

Jean-Paul Demoule | 20 avril 2009 à 12h31 Signaler un contenu inapproprié
Re:connaissance de l'archéologie

Les programmes scolaires, très conservateurs, font en effet une place insuffisante à l'archéologie. Et les médias, de même et sauf exception, ne parlent que de l'archéologie de "prestige" et de "trésors", en décalage avec leurs devoirs pédagogiques.

Jean-Paul Demoule | 20 avril 2009 à 12h36 Signaler un contenu inapproprié
patrimoine archéologique et naturel même combat ?

Je me sens très proche de ce qui vient d'être écrit au sujet des fouilles préventives mais avec une légère nuance.
Ne croyez pas qu'il soit possible si facilement de recréer des milieux naturels. Celà dépend de leur dynamique et en fait bon nombre d'entre eux, soit les plus fragiles sont détruits irrémédiablement sans la moindre chance de reconstitution à nos échelles de temps tant il dépendent de processus et d'équilibre hydrogéomorphologiques subtiles (voir les tourbières, pannes dunaires, milieux fluviaux etc...). L'artificialisation mécanisée du territoire se poursuit avec telle ampleur que peu de gens on conscience de la dégradation des milieux et de l'effondrement de la biodiversité qui s'ensuit. Là encore c'est l'agriculture, c'est à dire l'exploitation du territoire par ses effets directs et indirects qui en est la principale responsable. Certe par endroit, le vivant reprend de la marge pour peu que l'on lui en donne laisse le droit mais il s'agit d'une bien faible consolation comparer au patrimoine "historique".
Pour se faire une idée il suffit de comparer l'habitat induit par certain paysage et l'agrosystème pastoral les constituant qui les accompagnaient et la désolation actuelle.
Et tous ces dégats pourquoi ? Une belle crise en perspective avec de belle friche polluée à la clé répandues ça et là comme témoignage de l'inconséquence.
Le passé est derrière nous, soit mais ce qui est le plus désolant c'est que bon nombre de nos concitoyens n'ont pas vraiment l'air d'en avoir pris la mesure.

Le territoire, patrimoine commun de la nation ! Archélogue et Ecologues unissez vous !

Anonyme | 21 avril 2009 à 20h18 Signaler un contenu inapproprié

Tout dépend de ce qu'on entend par patrimoine..A voir ce que M. Demoule en fait (2012) avec certains de ses collègues, à savoir prouver que nous - français -n'avons pas d'identité trans-historique (du genre nos ancêtres les gaulois ou pour d'autres nos ancêtres les berbères, les égyptiens, les bantous ou les bretons..) on se demande à quoi sertl'archéologie préventive sinon à la connaissance pure (ça existe?).

trois | 03 juillet 2013 à 17h49 Signaler un contenu inapproprié

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