Pour autant, c'est au prix de concessions envers les pays les plus réticents que les Vingt-Sept sont parvenus à cet accord, historique pour les uns, décevant pour les ONG environnementales. L'Allemagne, touchée par la crise économique, a défendu les intérêts de son industrie automobile, la Pologne a fait valoir son charbon… Le mode de négociation imposé par la présidence française a court-circuité le Parlement européen, puisque l'accord a été finalisé dans le huis clos du Conseil, où le consensus est obligatoire. Du coup, la procédure, si elle a permis à la France de boucler tambour battant ce paquet énergie-climat et d'obtenir in extremis le vote du Parlement européen avant l'échéance de sa présidence fin décembre, a autorisé des compromis qui ont raboté les dispositions initialement prévues. Pourtant, en juillet dernier, le président Sarkozy avait déclaré devant les parlementaires européens que l'unanimité, c'est la mort de la démocratie. En décembre, devant ce même Parlement, il proclamait le contraire, arguant du fait que l'unanimité donnait de la force à l'accord. D'où le rabotage du « paquet », pour tenir compte des exigences des uns et des autres et arracher un consensus dans le contexte d'un télescopage d'agendas politiques, les ministres européens passant de Bruxelles à la conférence de Poznan. Au final, un accord au départ ambitieux, truffé d'échappatoires à l'arrivée.
Les énergies renouvelables, pivot du paquet
Le paquet énergie climat repose sur six textes législatifs : la directive sur les énergies renouvelables, la révision du système européen des droits d'échange d'émissions, la décision relative à la répartition des efforts entre Etats-membres, le cadre législatif en matière de capture et de stockage de carbone, la directive sur la qualité des carburants et la réglementation sur les émissions de CO2 des voitures. Cet ensemble de dispositions ambitieuses vise à réaliser l'objectif des 3x20 d'ici à 2020 : réduire de 20% les émissions de gaz à effet de serre (et de 30% en cas d'accord international), porter à 20% la part des énergies renouvelables dans la consommation énergétique européenne, et réaliser 20% d'économies d'énergie. Reste à envisager la manière d'y parvenir. Pour arracher le consensus des Vingt-Sept, certains points du paquet initial ont été rabotés. Ce qui autorise des interrogations quant à l'intégrité environnementale de ce dispositif à plusieurs étages.
La directive sur les énergies renouvelables est incontestablement la plus convaincante du point de vue de l'intégrité environnementale de l'ensemble du « paquet ». Elle permettra de donner un coup d'envoi aux énergies renouvelables et d'en faire les premiers fournisseurs d'électricité d'ici à 2020. Parallèlement à l'exploitation des potentiels locaux, quatre projets de grande envergure sont prévus au niveau européen. La mise en place d'énormes installations d'éoliennes dans la mer du Nord, l'édification de parcs photovoltaïques en Méditerranée, la construction d'unités de biogaz en Europe de l'Est et le développement d'une plateforme pour le développement de voitures électriques sont autant de projets qui permettront à l'Europe de renforcer son indépendance énergétique.
L'exception confirme la règle
Autre dispositif majeur du paquet, la révision du système européen de droits d'échange d'émissions prolonge sur la période 2013-2020, le mécanisme d'échange de permis d'émission dans les secteurs de l'énergie et des industries lourdes, qui comptent pour 45% des émissions totales. Point positif, la directive fixe un objectif contraignant d'au moins 20% de réductions d'ici 2020 par rapport aux niveaux de 1990. La directive renouvelle aussi l'engagement européen de porter cette réduction à au moins 30% en cas d'accord international, mais cette nouvelle avancée ne sera pas automatique, car elle devra être entérinée par un nouveau processus législatif. La directive établit le principe de mise aux enchères de la totalité des droits d'émission pour tous les secteurs et pour tous les Etats-membres. Cependant, aux termes du compromis européen, l'entrée en vigueur du mécanisme est retardée pour des pans entiers du secteur de l'énergie. Si la plupart des industries énergétiques y seront soumises dès 2013, des exemptions ont été accordées pour les centrales des pays d'Europe centrale et orientale jusqu'en 2020.
En outre, le compromis a abouti à de considérables exemptions de mises aux enchères des droits d'émission pour les industries des secteurs non énergétiques - cimenteries, industries chimiques, industries du verre, de la chaux et de la céramique, aciéries. Au motif de limiter la « fuite carbonique » de ces entreprises (leur délocalisation dans des zones à moindre réglementation environnementale), il a été décidé de déroger au principe universel des droits d'émission et d'allouer gratuitement ces droits à certaines d'entre elles. La directive ne porte donc plus sur l'ensemble des industries polluantes, mais seulement sur 4% d'entre elles. A fortiori, l'affectation des recettes des enchères à des fins de protection du climat ne sera pas automatique, contrairement à la proposition initiale du Parlement européen : l'accord se contente de suggérer l'attribution de 50% des revenus à des projets dans les pays pauvres. Résultat politique discordant avec les discussions de Poznan, où l'établissement d'un financement sûr et pérenne pour les programmes d'atténuation et d'adaptation au changement climatique est apparu comme une des clés de voûte de la crédibilité du futur accord international sur le climat. Enfin, autre porte ouverte aux échappatoires, les entreprises pourront acheter des crédits d'émission dégagés par des projets environnementalement responsables ailleurs dans le monde, au lieu de réaliser un effort de réduction à la source. L'exception tend potentiellement à devenir la règle.
Echappatoires
Les mêmes tensions parcourent le troisième dispositif du paquet climat, qui porte sur les réductions d'émissions pour les secteurs non couverts par le système européen de droits d'échange d'émissions : le transport, l'agriculture, le chauffage domestique, le bâtiment. Le point positif est que cette décision fixe là aussi un objectif contraignant de réduction des émissions d'au moins 20% d'ici 2020 par rapport aux niveaux de 1990, avec des objectifs annuels intermédiaires progressifs. Le texte reprend l'engagement d'aller au-delà de 30% en cas d'accord international, bien qu'en le conditionnant aussi à une nouvelle procédure législative. Il précise également que d'ici 2016, des propositions devront être formulées pour réduire de 80% les émissions à l'horizon 2050. Autre innovation allant dans le sens de l'intégrité environnementale, un système de sanction, préfigurant le comité d'observance international, instaure des mécanismes de contrôle et des pénalités pour les contrevenants.
Reste que 80% des efforts de réduction des émissions pourront être externalisés, dès lors que les Etats-membres pourront acheter des crédits d'émissions en échange d'investissements dans des projets de développement propre (MDP) ailleurs dans le monde. Comme le souligne Satu Hassi, rapportrice (Verts/ALE) de cette législation relative au partage des efforts entre les Etats-membres,plusieurs études récentes ont suscité des réserves sérieuses quant à l'intégrité et à l'additionnalité des réductions d'émissions dans le cadre des projets MDP/MOC. Si les compensations ne sont pas additionnelles et « réelles », leur utilisation pour la mise en conformité en lieu et place de l'application de réductions d'émissions nationales aura un effet négatif évident sur le climat. Selon le rapport Hassi, la proposition de la Commission, entérinée par le Conseil européen, signifie jusqu'à 700 tonnes de compensations possibles dans le cadre de projets MDP/MOC, ce qui représente plus de 50% des réductions prévues dans ces secteurs. De quoi mettre en doute l'intégrité environnementale du dispositif.
Escamotée dans cet inventaire de mesures contradictoires, l'efficacité énergétique, mise en avant dans la rhétorique politique, est en fait le parent pauvre du « paquet », laissée à la discrétion des Etats, sans caractère contraignant ni financements spécifiques. Quant à la capture et le stockage de carbone, elle fait l'objet d'un cadre législatif à part entière. Par nature, ce procédé de récupération assistée des hydrocarbures risque d'encourager à extraire davantage d'énergies fossiles, sous prétexte d'espérer pouvoir en ré-enfouir une partie. Aux termes de ce règlement, les nouvelles centrales au charbon devront pouvoir être équipées de systèmes de captation, mais ne seront pas tenues d'émettre moins de CO2. Quant à la réglementation sur les émissions de CO2 des voitures, qui fixe une limite de 130 g/km, elle a d'abord été reportée de 2012 à 2015, mais n'entrera en pratique pour l'ensemble du parc automobile européen qu'en 2019, sous la pression des constructeurs automobiles.