Si elle revient sur les impacts sociaux et environnementaux de ce phénomène, l'étude analyse également le jeu des acteurs impliqués dans un marché principalement tourné vers l'export et dominé par les firmes européennes.
Un marché d'exportation avant tout
Si une partie de l'accaparement des terres de l'Afrique est destinée à l'alimentation, le verdissement des politiques de transports des pays du Nord a également accéléré cette tendance. La demande croissante d'incorporation d'agrocarburants dans les transports a en effet créé un véritable marché.
L'Union européenne s'est par exemple fixé un objectif de 10 % d'énergies renouvelables dans les transports d'ici 2020, dont la majorité devrait être assurée par les agrocarburants. Ce qui a entraîné une progression des agrocaburants dans les transports européens de 41,8 % entre 2006 et 2007, 30,3 % entre 2007 et 2008 et 18,7 % entre 2008 et 2009. Pour répondre à ses besoins, l'UE se tourne notamment vers l'Afrique. Dès 2007, une étude de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) dénonçait cette politique qui pourrait causer, selon elle, une pénurie alimentaire et provoquer la destruction d'habitats naturels sans véritable impact sur les changements climatiques (3).
En face, de nombreux acteurs y ont vu une nouvelle manne financière. Si le Sénégal a lancé un programme national ''Biocarburant'', si le Nigeria a fixé un objectif d'utilisation de 10 % d'agrocarburants d'origine nationale dans les transports d'ici à 2020 et si le Mozambique entend réduire sa dépendance aux importations de pétrole grâce au jatropha, les autres pays africains semblent avoir clairement fait le choix des marchés de l'export.
Quinze Etats dont le Bénin, le Ghana, le Sénégal et le Mali ont d'ailleurs signé en juillet 2006 le traité de fondation de l'Association panafricaine des non-producteurs de pétrole (PANPP), ''assimilée à une OPEP verte'' afin de promouvoir la production d'agrocarburants. L'organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) a mis en lumière ce phénomène dans une étude (4) : sur les cinq pays observés, aucune des terres destinées aux agrocarburants en Ethiopie, au Ghana, à Madagascar ou au Mali, n'est vouée à la consommation intérieure.
Les firmes européennes sont très présentes sur ce marché
Les acquisitions de terres en Afrique sont davantage le fait de firmes privées que de gouvernements. La Chine fait figure d'exception, avec des entreprises d'Etat qui se sont procuré plus de 2,8 millions d'hectares en République démocratique du Congo notamment pour y aménager des plantations de palmiers.
La majorité des entreprises impliquées sont des PME, souvent des start-up ayant identifié des perspectives commerciales dans les agrocarburants. Parmi elles, ''les firmes européennes semblent dominer les acquisitions de terres destinées aux agrocarburants en Afrique'', note l'étude.
''Les firmes de biotechnologies se sont elles aussi empressées d'encourager en Afrique les agrocarburants, qui ouvrent de nouveaux débouchés à des variétés génétiquement modifiées éventuelles. La Fondation Bill & Melinda Gates dépense 120 millions de dollars pour le développement des récoltes en Afrique, dont des subventions spécifiques pour la mise au point de cultures GM'', ajoute l'étude.
La plupart du temps, les terres sont louées, et non pas achetées, avec des baux à long terme, pouvant atteindre 99 ans.
Une concurrence directe entre alimentation et énergie
Pour rappel, la plupart des cultures développées aujourd'hui pour les agrocarburants entrent en concurrence directe avec le marché alimentaire (canne à sucre, sorgho sucrier, maïs, palmier à huile et le manioc), avec un risque de hausse des prix des denrées alimentaires comme cela a été le cas en 2008. Seul le jatropha n'entraîne pas de concurrence directe, ce qui ne signifie pas pour autant qu'il n'a pas d'impact sur les autres cultures.
Si le Brésil est le leader mondial de la canne à sucre, y compris pour la production d'éthanol, des installations industrielles importantes ont été développées en Afrique du Sud, au Mozambique et au Malawi. Le sorgho sucrier, traditionnellement cultivé à des fins alimentaires, peut également servir à la production d'éthanol. Les graines de soja, la patate douce, l'arachide, le blé, le palmier à huile et le coprah sont également utilisés comme cultures énergétiques dans les pays africains.
Plus problématiques encore : les cultures alimentaires de base (maïs et manioc) sont également utilisées pour produire des agrocarburants. Des recherches sur des types de manioc génétiquement modifiés seraient en cours avec pour partenaires le gouvernement nigérian et Shell.
Enfin, si le jatropha est présenté comme un végétal particulièrement adapté à la production d'agrocarburants car il n'est pas comestible, ''il s'est toutefois avéré que les plants de jatropha réclament bel et bien de l'eau au début de leur croissance, et que les plants cultivés sur des terres plus fertiles donnent de meilleurs rendements''.