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AccueilCamille JarryPour vendre heureux (un site pollué), ne pas vendre caché

Pour vendre heureux (un site pollué), ne pas vendre caché

Un arrêt de la Cour de cassation rappelle que la cession d'un bien immobilier ayant accueilli des activités polluantes est une source de risque juridique, financier et technique pour le vendeur, l'acquéreur, mais pas seulement. Détails avec Camille Jarry,

Publié le 19/07/2017
Environnement & Technique N°372
Cet article a été publié dans Environnement & Technique N°372
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En l'espèce, les faits ne sont pas d'une grande originalité : des particuliers cèdent en 2007 à une SCI familiale le rez-de-chaussée d'un immeuble où avait été exploité, par lesdits vendeurs, un garage automobile. Aucune information ou alerte spécifique sur l'historique ou l'état éventuel de pollution du bien n'accompagne la cession. Et l'acquéreur, qui entend affecter ce niveau à l'habitation, accepte, via une clause très classique, de prendre les biens "dans l'état où ils se trouveront le jour de l'entrée en jouissance sans aucune garantie de la part du vendeur, soit de l'état du sol ou du sous-sol de l'immeuble à raison de fouilles ou excavations qui auraient pu être pratiquées, soit de l'état des biens vendus, de l'immeuble dont ils dépendent, des vices de toute nature apparents ou cachés dont ils peuvent être affectés".

Après l'acquisition, la SCI fait mener des investigations environnementales, qui révèlent la présence dans le sous-sol d'hydrocarbures et de métaux lourds provenant de cuves enterrées et de fosses, générant un risque sanitaire et impactant le déroulé et le montant du chantier envisagé. Elle introduit alors une action judiciaire, contre les vendeurs, les notaires et l'agent immobilier, en garantie des vices cachés et indemnisation de son préjudice.

Le vendeur n'aura pas gain de cause

Pour mémoire, l'article 1641 du Code civil dispose que le vendeur "est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus". Si une clause de non-garantie des vices cachés est acceptable, elle n'est toutefois susceptible de décharger le vendeur de cette garantie légale que s'il ne connaissait pas les vices affectant la chose vendue, le vendeur professionnel étant présumé avoir connaissance de ces vices.

Le vendeur tente de se défendre et de maintenir l'absence de garantie, en arguant notamment que :

  • il connaissait certes l'existence des cuves, mais nullement l'existence d'une pollution des sols ;
  • le rapport d'expertise avait conclu que la pollution, révélée dans le cadre du chantier mené par l'acquéreur, ne pouvait être diagnostiquée au moment de la vente ;
  • l'acquéreur connaissait l'activité antérieure et était en mesure d'apprécier le risque de pollution.

A l'issue de dix ans de procédure, incluant une expertise judiciaire, ces moyens sont rejetés par la Cour de cassation1, jugeant "qu'en sa qualité de dernier exploitant du garage précédemment exploité par son père, M. X... ne pouvait ignorer les vices affectant les locaux et que l'existence des cuves enterrées qui se sont avérées fuyardes n'avait été révélée à l'acquéreur que postérieurement à la vente".

L'agent immobilier pointé du doigt

La Cour rappelle également que pèse sur l'agent immobilier une obligation d'information loyale et de conseils adaptés, y compris à l'égard de la partie qui ne l'a pas mandaté et envers laquelle il engage, en cas de défaillance, sa responsabilité délictuelle. En l'occurrence, la responsabilité de l'agent immobilier est retenue, au motif que ce dernier avait admis avoir eu connaissance de la présence des cuves enterrées et qu'il n'en avait pas informé l'acquéreur et les notaires. Soulignons que selon l'agent immobilier, cette information avait bien été donnée lors des visites ; néanmoins face à la dénégation de l'acquéreur, aucune trace écrite n'a pu être rapportée par l'agent immobilier…

Ainsi, le vendeur et l'agent immobilier (à hauteur de 25%) sont condamnés à verser à l'acquéreur plus de 150.000 euros (outre les frais d'expertise et de justice), étant précisé que le prix de vente du bien était de 460.000 euros.

Précisons que de son côté, l'acquéreur n'est pas considéré comme seulement victime. En effet, est laissé à sa charge un quart du coût des travaux nécessaires pour remédier à la pollution globale du site, quote-part correspondant à la pollution liée à "l'activité ordinaire" de garage, "dont tout un chacun pouvait avoir connaissance".

Enfin, la responsabilité des notaires avait également été recherchée, démarche rejetée par la Cour considérant que ni le vendeur, ni l'agent immobilier n'avaient informé les notaires de la présence de cuves enterrées sous le garage et qu'aucune faute ne pouvait donc leur être reprochée sur l'existence du vice de pollution.

Anticipation, information, gestion contractuelle

Ces faits rappelés, quelles leçons en tirer, s'agissant d'une configuration encore aujourd'hui relativement répandue ? Nous constatons en effet fréquemment que des cessions immobilières (tout comme des transmissions d'entreprises) font fi des enjeux environnementaux, pourtant cruciaux.

A cet égard, les professionnels de l'immobilier intervenant dans la vente d'un bien potentiellement pollué sont invités à la plus grande prudence, vendeurs et acquéreurs lésés hésitant de moins en moins à engager leur responsabilité eu égard à leur obligation de conseil. Dans la présente affaire, il aurait pu être reproché au notaire de ne pas avoir alerté les parties sur le potentiel classement du garage automobile sous le régime des installations classées (ICPE) et sur les risques associés. Notre recommandation de praticiens spécialisés en droit de l'environnement tient en ces mots clés : anticipation, information, gestion contractuelle.

La transmission d'un bien potentiellement pollué ne s'improvise pas : elle doit être préparée par le recueil des informations utiles sur l'historique des activités, sur l'état environnemental (pollution des sols, des eaux souterraines), sur les responsabilités attachées aux impacts constatés. La délivrance de l'information est non seulement une obligation légale (cf. notamment article L. 514-20 du Code de l'environnement) mais également la clé de voûte des engagements des parties en matière environnementale.

En effet, et cette jurisprudence le confirme, l'existence d'une pollution peut constituer un vice caché et un vendeur ne peut s'exonérer de la garantie des vices cachés s'il connaissait, ou ne pouvait ignorer, cette pollution sans la révéler à l'acquéreur. Soulignons qu'une autre voie d'action aurait pu être utilisée ici, et est du reste souvent pertinente en la matière, à savoir l'obligation de délivrance : le vendeur est tenu de délivrer un bien conforme avec sa destination contractuelle, ici un usage d'habitation. Mais dans certains actes, la destination contractuelle est celle d'un bien "dépollué", la seule existence d'une pollution (sans considération de risque) ayant été sanctionnée par les juges. Sur la base de l'information recueillie, une stratégie de négociation, puis de rédaction des actes, peut être construite.

Cette méthodologie permet aux parties prenantes de prendre conscience des enjeux, de les maîtriser dans la mesure du possible (la législation environnementale étant en constante évolution), pour sécuriser juridiquement et financièrement leur opération.

Avis d'expert proposé par Camille Jarry, avocat, spécialiste en droit de l'environnement, département environnement au cabinet FIDAL

1 Chambre civile 3, 29 juin 2017, pourvoi n° 16-18087

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