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Actu-Environnement

“C'est un miracle que nous ayons cette interdiction du chalutage profond”

Le chalutage au-delà de la limite de 800 mètres a été interdit dans le cadre des discussions sur le règlement européen encadrant la pêche profonde. Retour sur les quatre années de négociations avec Claire Nouvian, présidente de l'association Bloom.

Interview  |  Biodiversité  |    |  D. Laperche
   
“C'est un miracle que nous ayons cette interdiction du chalutage profond”
Claire Nouvian
Présidente de l’association Bloom
   

Actu-environnement : Les trois institutions européennes - le Parlement, le Conseil, et la Commission – ont enfin trouvé un accord sur le règlement encadrant la pêche profonde après près de quatre ans de discussion. Quelles sont les principales avancées du texte ?

Claire Nouvian : Le règlement précédent, encore en vigueur, est une coquille vide. Avec cet accord, nous allons enfin avoir des mesures obligatoires et contraignantes pour tous les Etats européens et leurs flottes. Ils devront par exemple suivre un protocole pour éviter les organismes vulnérables : les navires cesseront immédiatement de pêcher s'ils les rencontrent et ne seront autorisés à reprendre leur activité que cinq miles nautiques plus loin.

Les navires classés comme ciblant les espèces profondes devront réaliser des études d'impact environnemental pour pouvoir pêcher en dehors de leur zone de pêche historique.

Les zones abritant ou susceptibles d'abriter des écosystèmes marins vulnérables devront être fermées à la pêche de fond à moins que la pêche puisse être gérée sans générer d'impacts négatifs importants.

Pour nous, la victoire très nette reste l'interdiction du chalutage profond car c'est une mesure très efficace pour protéger les écosystèmes profonds.

AE : La limite de 800 mètres est-elle suffisante ?

CN : Ce n'est pas suffisant en regard des recommandations scientifiques : les chercheurs britanniques se sont posés la question de la limite la plus efficace d'un point de vue environnement, pour préserver les écosystèmes, mais également économique. Et ils l'ont établie à 600 mètres. Ils ont en effet constaté qu'au-delà, les pertes économiques étaient plus importantes car la valeur des captures diminuait et les prises accidentelles augmentaient. A ce niveau, les écosystèmes sont également plus vulnérables car il n'y a pas de lumière, la nourriture est restreinte et la croissance des organismes comme les éponges ou coraux est beaucoup plus lente.

En revanche, c'est déjà un miracle que le principe même de l'interdiction du chalutage ait été actée. La rapporteure du règlement, Isabelle Thomas (Soc., France) a joué le jeu du Conseil et des Etats membres les plus rétrogrades comme l'Espagne… Jusqu'à la dernière minute, elle a tenté d'amoindrir la portée environnementale du texte, qu'elle a constamment tiré vers le bas en acceptant sans négocier, par exemple, la suppression par le Conseil de tout ce qui concernait la gestion durable des poissons.

AE : Vous dénoncez que l'Espagne a créé les conditions de son exemption de l'interdiction du chalutage à 800 mètres. Comment-a-t-elle procédé ?

CN : Leurs navires pêchant principalement en eaux internationales, l'Espagne a clairement dit au Conseil que si l'interdiction du chalutage profond s'appliquait à ce niveau, elle créerait une coalition pour bloquer le règlement.

Le texte se limite désormais aux seules eaux européennes et internationales de l'Atlantique Centre-Est. La proposition initiale de la Commission européenne, renforcée par le Parlement, englobait, elle, l'ensemble des eaux internationales de l'Atlantique Nord-Est.

AE : Le pourcentage d'observateurs scientifiques que les navires de pêche profonde - opérant en eaux européennes et dans les eaux internationales de l'Atlantique Nord-Est - doivent embarquer a finalement abouti à un taux de 20% ? Est-ce une bonne chose ?

CN : Le Parlement avait demandé 100% d'observateurs embarqués. Par exemple, les navires français quand ils pêchent dans l'océan austral, autour des îles Kerguelen ou Crozet, en ayant comme port d'attache l'Ile de la Réunion, ont 100% d'observateurs embarqués. Nous devrions avoir 100% d'observateurs sur des pêcheries qui sont particulièrement problématiques comme les pêches profondes.

Cela dit, dans l'actuel règlement, aucun pourcentage n'est énoncé : c'est à la libre interprétation des Etats membres de décider de mettre en place ou non un programme d'observateurs. L'accord trouvé prévoit également que les observateurs soient embarqués à bord des navires européens pour toutes les pêches à l'intérieur des eaux européennes mais aussi en eaux internationales de l'Atlantique Nord-Est. Et c'est vraiment un point qui nous intéresse car nous aurons ainsi une collecte de données sur ce qu'il se passe sur les pêcheries profondes dans les eaux internationales.

AE : Pourquoi les négociations ont pris autant de temps ?

CN : L'ensemble de la négociation a été trusté par des lobbies industriels remontés contre cette réforme car elle comprenait l'interdiction du chalutage profond. Que les lobbies essaient d'avoir gain de cause, est une chose - c'est leur travail - mais le problème, c'est que certains politiques, comme la rapporteure Isabelle Thomas, ont relayé mot pour mot leur position. Cette dernière a ainsi cosigné les amendements de la droite et conduit la délégation française socialiste, au niveau du Parlement européen, à s'opposer à l'interdiction du chalutage profond en décembre 2013 (contre le vote du reste des Socialistes européens).

AE : Ce règlement sera t-il suffisant pour préserver l'écosystème des grandes profondeurs ? Quels sont les points qu'il reste à faire évoluer ?

CN : Nous souhaiterions arriver à 600 mètres y compris dans les eaux internationales, avec un règlement qui intègre de façon nette des éléments de langage pour que la gestion de la pêche en eaux profondes soit durable. La politique commune de la pêche s'applique aux espèces de surface et n'est pas suffisamment ambitieuse pour des poissons aussi vulnérables et longévives que les poissons profonds.

Le Parlement avait ajouté au texte de la Commission européenne différentes mesures pour protéger de façon durable ces organismes. Le Conseil les a retirées car les Etats membres veulent garder la main mise sur les négociations des quotas. La première mesure pour gérer les poissons de façon durable aujourd'hui est en effet les quotas de pêche. Le Conseil n'avait pas envie d'amoindrir son propre pouvoir.

Nous allons désormais mettre le curseur sur les bateaux français qui ont des quotas de pêche en eaux profondes et surveiller qu'ils ne les utilisent pas dans les eaux internationales. Je pense par exemple à Euronor (1) . Nous allons également être vigilants aux allocations des quotas pour les espèces profondes (tous les deux ans) qui auront lieu en novembre et décembre 2016.

AE : Quelles sont les dernières étapes avant l'entrée en vigueur du texte ?

CN : Les prochaines étapes avant son entrée en vigueur seront un vote en Commission de la pêche du Parlement européen, puis un vote en plénière, avant une parution au Journal officiel. Cela nous amènerait - si tout se passe bien – à une mise en œuvre en janvier 2017.

Techniquement, les choses peuvent encore bouger : le rapporteur dirige la négociation jusqu'à la mise en œuvre. Ajouter un mot, en enlever un autre, peuvent modifier la force d'un règlement. Créer des béances en droit, c'est l'affaire des juristes dont les industriels sont généralement bien pourvus.

1. La flotte de pêche industrielle Euronor (le Comptoir des Pêches d'Europe du Nord) est basée à Boulogne-sur-Mer. Elle a été rachetée par UK Fisheries Limited. Selon Bloom, depuis 2011, Euronor ne dédie plus qu'un seul navire à la pêche de grands fonds six mois par an.

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