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Actu-Environnement

“COP 21 : à 198 pays, on ne peut rien refuser, rien arbitrer”

A deux mois de la COP 21 de Paris, Actu-environnement lance une série d'entretiens pour appréhender tous les enjeux des négociations climatiques. La première donne la parole à Amy Dahan et Stefan C.Aykut, co-auteurs de Gouverner le climat, pour une approche historique éclairée.

Interview  |  Gouvernance  |    |  A. Sinaï
Environnement & Technique N°353
Cet article a été publié dans Environnement & Technique N°353
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“COP 21 : à 198 pays, on ne peut rien refuser, rien arbitrer”
Amy Dahan et Stefan C.Aykut
Co-auteurs de Gouverner le climat, Presses de Sciences Po, 2015
   

Actu-environnement : Peut-on gouverner le climat ?

Amy Dahan : La question que nous posons dans le titre de notre ouvrage contient plusieurs réponses : la planète n'est pas gouvernable tant qu'il n'y a pas une construction de la solidarité internationale beaucoup plus avancée, parce qu'on ne peut pas prétendre gouverner la planète et la Terre si on n'a pas la conscience d'être une Humanité Une et d'habiter une planète Une. On est très loin de la gouvernabilité du climat.

Stefan Aykut : C'est le paradoxe qui est au cœur de notre livre : d'un côté, les scientifiques nous disent que nous sommes devenus une force climatique majeure. Les rejets de gaz à effet de serre provoqués par la combustion de ressources fossiles, par l'agriculture et les changements d'utilisation des sols, transforment le climat. Or les négociations n'ont pas réussi à réellement influer sur ces processus. La gouvernance climatique est dans l'impasse non pas parce que nous n'arrivons pas à gouverner le climat, mais à cause de notre incapacité à gouverner les sociétés humaines.

AE : Vous insistez dans votre ouvrage sur le schisme de réalité propre à ces négociations...

AD : Il y a bien un décalage croissant entre la réalité du monde, celle de la globalisation des marchés, de l'exploitation effrénée des ressources fossiles, de la crise financière, de la croissance industrielle de la Chine, et plus généralement des dynamiques majeures d'accélération qui ont recomposé l'environnement mondial, et la sphère des négociations, enfermées dans leur bulle, qui semblent avoir de moins en moins de prise sur la réalité extérieure.

SA : La notion de schisme de réalité renvoie à la déconnexion profonde entre les processus qui, de fait, gouvernent la dégradation du climat et les instances officielles de la gouvernance du climat qui ont été mis en place depuis 20 ans. Un exemple : en suivant les exemples de la lutte contre les pluies acides et le trou d'ozone, les négociations climatiques se sont concentrées sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Au lieu de discuter de la question des inputs, c'est-à-dire des énergies fossiles et des modes de production et de consommation, on discute des outputs de notre système économique et productif basé sur la combustion d'énergies fossiles bon marché. Or, ce qui a plutôt bien marché pour d'autres problèmes environnementaux s'avère impuissant dans le cas du climat. On ne peut pas résoudre les problèmes causés par la combustion des énergies fossiles après coup, en régulant uniquement les rejets, sans poser la question de l'extraction, celle du commerce ou encore celle des infrastructures que nous sommes en train de construire et qui nous mettent sur des trajectoires très carbonées, qui rendront très difficile et coûteux tout retour en arrière.

AE : Pourquoi le processus est-il si long, une véritable fabrique de la lenteur face à la Grande Accélération dites-vous ?

AD : La question de la lenteur est articulée avec le processus onusien et multilatéral. Les raisons du schisme sont à rechercher dans le processus onusien lui-même, mais aussi à l'extérieur de celui-ci. Sur le processus onusien, la façon dont la négociation a émergé est à penser dans le contexte de la chute du Mur et du libéralisme des années 1990, caractérisé non plus par la confrontation des blocs, mais par la coopération entre pays. Le régime climatique onusien est né dans ce contexte, selon l'idée qu'on est tous ensemble et qu'on va pouvoir proposer des choses. Cette vision a contribué à édifier un système de gouvernance climatique sans pouvoir aucun, contraint par la procédure d'unanimité. Or à 198 pays, on ne peut rien refuser, rien arbitrer. Il faut bien comprendre que le secrétariat de la Convention Climat n'a aucun pouvoir et ne peut pas en avoir si les pays ne veulent pas lui en donner. C'est la racine de la question de la lenteur. On le voit bien dans les différentes sessions de préparation de la COP de décembre, à Genève et à Bonn, à travers ces textes qui n'arrivent pas à être synthétisés. Alors qu'il faudrait passer de 160 pages à 20 pages, on en était encore à 79 pages à la dernière session de Bonn. C'est terriblement frustrant.

AE : Quelles ont été les principales étapes historiques de ces négociations depuis l'adoption de la CNUCC en 1992 ?

SA : Lors des premières COP, l'objet des négociations est de parvenir à un traité international permettant de coordonner les politiques climatiques des pays industrialisés. C'est chose faite en 1997 avec l'adoption du Protocole de Kyoto à la COP 3 au Japon. Acclamé par ses défenseurs comme un événement historique du droit environnemental international, le traité assigne des objectifs chiffrés de réduction modeste. Le protocole entérine l'hégémonie des mécanismes de marché au niveau international comme moyen de protection de l'environnement à partir d'une construction immatérielle : les unités de carbone non émises. La même logique sera appliquée aux questions de déforestation avec le mécanisme REDD.

AD : La scission politique entre Europe et Etats-Unis est entérinée par la mise en place de deux voies parallèles de négociations et d'une double structure lors des conférences climatiques, tandis que les pays en développement font d'une obligation de réductions chiffrées des émissions américaines la condition sine qua non de toute discussion de leur part. La notion de "vision commune" ne peut dissimuler l'impasse dans laquelle se trouve désormais le processus. La décennie 1997-2007 marque aussi la montée en puissance du thème de l'adaptation aux changements climatiques et la colonisation du régime climatique par les questions de développement sous l'égide du G77 piloté par les économies émergentes. En 2009, l'accord minimaliste de Copenhague consacre le couple formé par les deux puissances mondiales en concurrence, les Etats-Unis et la Chine.

AE : Qui a la main sur l'ordre du jour des négociations ?

SA -: Etant donné la manière dont on travaille sur un sentier déjà balisé, il est très difficile d'introduire de nouvelles idées, en tout cas avant cette COP ou dans un futur proche. Prenons l'exemple de la taxe carbone : c'est une mesure préconisée depuis longtemps par des économistes de l'environnement, et qui revient en force aujourd'hui à la faveur de l'échec patent des marchés du carbone. On aurait pu attendre de l'Europe qu'elle pousse pour une telle option, mais elle s'est d'une certaine façon alignée sur la position américaine alors qu'elle prônait une écotaxe au départ. Après l'échec de cette idée dans les années 1990 – l'Union européenne n'avait pas réussi à se mettre d'accord en interne – les permis d'émission ont été imposés par les Etats-Unis en 1997 à Kyoto. Depuis cet épisode, on voit mal comment l'introduction d'une taxe pourrait avoir lieu dans le processus multilatéral. C'est devenu un sujet tabou dans les négociations.

AD :  Cette perspective ne peut venir que d'un groupe de pays éclairés, qui accepteraient d'aller de l'avant sans attendre les autres. Il faut que cela se fasse dans des périmètres plus restreints et à géométrie variable, par exemple entre les trois ou quatre plus grands émetteurs. Actuellement, Chine, Etats-Unis et Europe représentent 58% des émissions mondiales, mais la Chine ne veut pas lâcher sa position de leader des pays en développement. Un réseau d'économistes du Giec a proposé des idées novatrices en vue de la COP mais elles ne sont pas à l'ordre du jour. Or il faudrait tout de suite faire les investissements nécessaires pour modifier tous les secteurs émetteurs. Actuellement, on estime que 500 centrales à charbon sont en projet ou en construction en Chine. On se réjouit de la vente des 150 Airbus en Inde. On est en plein schisme de réalité.

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