Aux débuts du débat international sur le réchauffement climatique, l'adaptation était peu à l'ordre du jour, beaucoup voyant dans sa promotion le risque de minimiser les besoins d'atténuation en mettant en avant la capacité des sociétés à s'adapter aux changements. Cet état de fait poussa Al Gore, alors vice-président des États-Unis, à affirmer son opposition à l'adaptation en déclarant qu'elle représentait « une sorte de paresse, une foi arrogante en notre capacité à réagir à temps pour sauver notre peau ». Mais il est vite apparu qu'autant les capacités d'adaptation étaient limitées, autant les modifications du climat pouvaient être considérables si les efforts d'atténuation n'étaient pas suffisants. Dans le même temps, on comprenait qu'il était déjà trop tard pour que l'atténuation seule suffise à limiter les effets du changement climatique : l'objectif actuel de limiter le réchauffement à 2°C n'affranchit pas, loin de là, d'efforts d'adaptation importants. Les deux options, adaptation et atténuation, ont donc rapidement été reconnues comme complémentaires et indissociables.
Si l'on discute d'adaptation dans ces négociations climat, c'est qu'il y a un besoin de coordination internationale sur le sujet. Il s'agit d'abord d'un besoin de financement, réclamé par les pays en développement auprès des pays industrialisés suivant le principe pollueur-payeur : les premiers n'ont pas, ou très peu, émis de gaz à effet de serre et ne sont donc pas responsables du changement climatique ; or, ils en subiront les conséquences probablement plus intensément que les pays industrialisés (le changement climatique aura plus d'impacts dans les régions tropicales que dans les zones tempérées) et n'ont souvent pas les moyens financiers d'y faire face ; ils considèrent donc les seconds – les pays riches, dont les émissions de gaz à effet de serre depuis la révolution industrielle sont à l'origine de ce changement climatique – comme les pollueurs devant payer pour les surcoûts liés au réchauffement. Cette logique est globalement acceptée. Il reste néanmoins à se mettre d'accord sur des montants de financement, ainsi que sur les modalités d'un mécanisme international qui permettra de percevoir et de distribuer les fonds.
Le second besoin de coordination internationale, capital, concerne le partage de connaissances et de pratiques de mise en œuvre. Pour faire simple, on ne sait pas encore vraiment comment s'y prendre pour s'adapter au changement climatique. Dans les pays du Nord comme dans ceux du Sud il y a pourtant urgence : de nombreux choix faits aujourd'hui seront impactés par le climat – changé – que nous connaîtrons dans plusieurs dizaines d'années. Pour maximiser l'efficacité de leur action, éviter de multiplier les inventions de la roue et de reproduire les mêmes erreurs, les pays utilisent les discussions internationales pour échanger leur expérience et catalyser une recherche scientifique en la matière. Au-delà d'un forum mondial, les négociations climat tentent aussi de créer des mécanismes de mise en œuvre qui promeuvent la prise en compte de l'adaptation dans les processus de décision nationaux. Les décideurs ont en effet assez peu d'incitations à s'intéresser aux impacts du changement climatique, qu'ils jugent incertains et lointains.
Un accord sur l'adaptation sera sûrement trouvé à Copenhague. Il permettra de définir une charpente pour toutes ces questions mais il restera encore beaucoup de travail pour compléter l'architecture souhaitée d'ici à sa mise en service théorique en 2013. Ce travail invoquera des enjeux théoriques nouveaux et demandera d'être innovants sur de nombreux points : c'est sûrement là la partie la plus captivante de ces discussions. Déjà, une nouvelle conception de la gouvernance des fonds émerge, laissant un pouvoir nettement plus important – voire majoritaire – aux pays en développement. Par ailleurs, adaptation et développement sont très liés dans les pays du Sud, tant au niveau de la pratique – un bon projet d'adaptation est un excellent projet de développement –, qu'à celui de la coopération internationale – ils impliquent les mêmes acteurs. Ces liens de fait offrent peut-être une occasion unique : on sent les frémissements d'une volonté de revoir en profondeur l'approche actuelle de la coopération pour le développement, dont quarante ans de pratique ont montré les nombreuses limites, voire les impasses. Espérons que ce frémissement ne succombe pas à l'inertie du secteur, et que le changement climatique ait au moins ce bénéfice.
Benjamin Garnaud
Chargé de projet à l'Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI)