Robots
Cookies

Préférences Cookies

Nous utilisons des cookies sur notre site. Certains sont essentiels, d'autres nous aident à améliorer le service rendu.
En savoir plus  ›
Actu-Environnement

Cuir et déforestation amazonienne : l'industrie de la chaussure pointée

Sous-produit de l'élevage bovin accusé de déforestation et de pollution, le cuir est pointé par Envol Vert. L'ONG demande plus de traçabilité aux fabricants de chaussures, dans une filière mondialisée et exposée au dumping environnemental.

En Amérique du Sud et principalement au Brésil, l'élevage des bovins destinés à produire de la viande et du cuir sont à l'origine des 2/3 de la déforestation de l'Amazonie, alerte l'association Envol Vert dans un rapport  (1) publié en janvier.

L'Amazonie qui possède 10% des espèces connues au monde perd ses forêts "principalement à moins de 50 km des principales autoroutes brésiliennes suite aux feux de forêt déclenchés pour laisser place aux pâturages bovins", a expliqué le 7 mars Daisy Tarrier, présidente d'Envol Vert, à l'occasion d'une conférence de presse. Ces bovins "abattus pour notre consommation ont besoin de presque un hectare en moyenne par tête de bétail". Le cuir issu de leur peau "représente un revenu indispensable pour les fermes avec 20% de la valeur moyenne d'un bœuf". Issu du tannage  (2) de ces peaux, le cuir a par conséquent un impact via sa vente" lucrative" comme sous-produit de l'industrie de la viande bovine, et soutenue par la forte demande en articles de cuir, souligne l'association.

Un phénomène accentué depuis la réforme "assouplie" du code forestier brésilien, adoptée en 2012 par la présidente Dilma Rousseff. Ce nouveau texte fragiliserait le ralentissement du taux de déforestation en Amazonie "en permettant à de grandes propriétés agricoles d'acheter du foncier et de le revendre pièce par pièce aux petits propriétaires soumis à des règles moins strictes", prévient le rapport. En dépit de la législation nationale, la déforestation se déplacerait désormais vers le Cerrado, "le joyau oublié brésilien" menacé "d'une reprise immédiate de la déforestation", et où l'élevage de bovins fait pression.

Les chausseurs français réagissent

Ces forêts tropicales sont "peu à peu détruites pour fournir le cuir de nos chaussures", déplore Daisy Terrier. Selon l'International Council of Tanners (ICT) cité par les ONG, près de 65% du cuir utilisé mondialement serait en effet d'origine bovine. Les produits finis de l'industrie de la chaussure occuperaient le premier rang avec 53% de l'utilisation de cuir toutes origines confondues, sachant qu'au niveau mondial, 30% de la production de chaussures serait à dessus cuir, d'après l'ICT. Ce cuir "sert massivement à la confections de nos chaussures. Pourtant, le secteur est encore très peu sensibilisé à cette problématique", dénonce Envol Vert, notamment en France, deuxième consommateur de chaussures au monde avec 6,5 paires par an et par habitant, selon le ministère de l'Industrie.

Envol Vert estime qu'une chaussure en cuir sur sept vendue en France (soit 13,5%) contient directement ou indirectement du cuir issu d'élevages bovins brésiliens "à fort risque de déforestation". Les deux tiers sont importés via la Chine et l'Italie, deux pays qui se fournissent en cuir brésilien.

A la sortie du rapport, l'association a lancé début janvier une campagne de sensibilisation citoyenne et a interpellé les marques de chaussures françaises et les acteurs du cuir pour "les faire réagir" et les engager vers plus de transparence dans leur chaîne d'approvisionnement pour garantir "le zéro cuir issu de la déforestation". Une campagne similaire avait déjà été lancée par l'ONG Greenpeace en 2009 après la publication de son rapport choc sur le "massacre de l'Amazonie". (3) Les réponses de Timberland, Nike, Adidas, Geox, Reebook ou Clarks avaient été quasi-immédiates et s'étaient engagés à ne plus se fournir en cuir provenant d'une ferme responsable de la déforestation d'ici trois ans. Bertin, premier exportateur de cuir au monde, JBS-Friboi, premier producteur mondial de viande bovine, Marfrig, quatrième négociant mondial de viande bovine et Minerva, troisième exportateur brésilien de bœuf se sont également engagés auprès de l'ONG, ainsi que le groupe français LVMH.

Si la campagne de Greenpeace a fait mouche, Envol Vert a également réussi à convaincre le groupe Eram, premier fabricant de chaussures français et une vingtaine de marques dont Bocage, TBS, Gémo, Fabio Lucci, Texto, Heyraud et France Arno. Interpellé par une pétition citoyenne "forte de 26.000 signatures" recueillies sur la plateforme Change.org, le groupe Eram s'est engagé jeudi 7 mars à ne plus utiliser de cuir à risque de déforestation amazonienne d'ici 2015. Dans un communiqué, le groupe indique notamment "mener un audit auprès de ses fournisseurs pour déterminer précisément l'origine des cuirs entrant dans la fabrication de ses chaussures" et leur interdire d'utiliser des cuirs provenant "des élevages incriminés".

Daisy Terrier s'est félicitée du "succès" de la campagne : "Le groupe Eram à travers son engagement montre l'exemple à suivre. Nous sommes heureux que le groupe ait également pris contact avec nous pour nous présenter sa feuille de route", a-t-elle déclaré. Mais "nous resterons extrêmement vigilants sur le respect de ces engagements", a prévenu la présidente d'Envol Vert.

Le réseau professionnel LWG pour un cuir éthique

Le groupe Eram a également annoncé sa participation au réseau professionnel Leather Work Group  (4) (groupe de travail sur le cuir) dans "la perspective de contribuer à ce groupement et de bénéficier de son expérience, ainsi que des procédures et labels (LWG) mis en place".

Le LWG est un réseau multi-acteurs (marques, distributeurs, tanneurs, fournisseurs et experts techniques) qui fédère à ce jour 50 marques et distributeurs et plus de 150 fabricants de cuir. Son comité exécutif est composé de trois tanneries, trois marques et une entreprise de produits chimiques. Le réseau ne délivre pas de certification mais formule des recommandations de bonnes pratiques environnementales pour les tanneries, et développe un protocole de traçabilité. Ce protocole est révisé par des ONG telles que Greenpeace et WWF US. Des marques comme Timberland ou les français LVMH et Bata sont déjà membres du réseau. (5) Les fournisseurs s'approvisionnant au Brésil doivent notamment s'assurer de ne pas se fournir auprès de fermes impliquées dans quelque forme que ce soit de déforestation depuis octobre 2009.

"Cette initiative unique est un premier pas indispensable afin de travailler sur les garanties environnementales des approvisionnements auprès des tanneurs", estime Boris Patentreger, co-fondateur d'Envol Vert en soulignant toutefois des bémols autour du réseau appelé à "s'améliorer". "La gouvernance du LWG, actuellement de l'ordre du secteur privé, pourrait être plus équilibrée. Il n'y a pas d'ONG au sein même du comité exécutif". Autres critiques : les garanties de traçabilité "se concentrent uniquement sur la protection du biome amazonien et uniquement au Brésil. Or, ce problème concerne d'autres régions de la planète. De même, le réseau n'intègre pas les référentiels comme les zones à haute valeur de conservation (HCV) pourtant reconnues au niveau international", déplore M. Patentreger.

Lever les obstacles de la traçabilité

Si le LWG figure néanmoins parmi les solutions visant à réduire l'impact du secteur sur la déforestation, la difficulté de tracer l'origine des cuirs utilisés dans la fabrication de produits persiste. La chaîne d'approvisionnement de la filière se divise en trois stades : la récupération des cuirs et peaux des animaux abattus, leur conversion en cuir préparé dans les tanneries et la fabrication d'articles de cuir qui seront ensuite commercialisés. "Nous pouvons élaborer une démarche de traçabilité à partir des tanneries mais c'est difficile entre l'abattage et le tannage. Il y a un énorme travail à faire à ce niveau", a répondu Jean-Pierre Renaudin, président de la fédération française de la chaussure (FFC), présent à la conférence. La peau de bovins brésiliens peut en effet être expédiée dans une tannerie indienne puis dans une usine de Chine, où le cuir sera transformé en chaussures. La plupart des marques dépendent de leurs sous-traitants qui peuvent être situés dans différents continents.

Le tannage en Asie utilisant des produits chimiques polluants et toxiques (tels que les métaux lourds comme le chrome hexavalent (Cr VI) cancérigène et le mercure, les phénols mais aussi les phtalates et les formaldéhydes reprotoxiques, le cyanure, les acides, les sels…) "pose problème dans l'UE à l'heure des restrictions dans le cadre du règlement Reach", souligne M. Renaudin. A contrario : aucune contrainte réglementaire ne sévirait au Brésil ni sur le contrôle des effluents en Chine, Inde ou Tunisie, gros transformateurs de cuir.

"La chaîne de traçabilité est compliquée à mettre en place pour la centaine de producteurs de chaussures français qui sont principalement des PME", poursuit-il. C'est pourquoi, le réseau Leather Work Group "demande des engagements aux fournisseurs en cascades", a rétorqué Frédéric Amiel, chargé de campagne forêts chez Greenpeace en reconnaissant "la faiblesse de moyens de contrôle au niveau de la chaîne".

Or, "nous les chausseurs, nous n'avons pas conscience d'être impliqués en amont dans la déforestation", affirme M. Renaudin. "L'élevage est d'abord destiné à approvisionner en viande. Le cuir, c'est 4 à 5% de la valeur économique de l'exploitation animale" et non les 20% annoncés par l'association, s'est-il défendu. De même, seuls 0,4% de paires à dessus cuir seraient importés de l'Amazonie, selon lui. "Le marché du cuir est un marché de conséquence. La demande en cuir est plus forte que la production et les prix montent", ajoute M. Renaudin. Conséquence : la principale tendance est à la diminution de mise sur le marché de chaussures à dessus cuir en France, de 33,5 % en 2006 à 27,6 % en 2010, en faveur des chaussures à dessus synthétique et caoutchouc/plastiques (de 30 % à 38 % entre 2006 et 2010), d'après la FFC.

Quid des alternatives de consommation ?

La substitution du cuir est le plastique "dérivé du pétrole" comme le simili cuir ou skaï en polychlorure de vinyle (PVC) ou en polyuréthane dont l'empreinte écologique n'est pas plus vertueuse, rappellent les ONG et M. Renaudin. Les phtalates essentiellement utilisés pour assouplir le PVC dans le cuir artificiel sont notamment pointés par Greenpeace pour leur "toxicité pour la reproduction". Remplacer le cuir par du skaï ne constitue pas de meilleure alternative alors que le "cuir a une durée de vie bien plus importante", souligne M. Renaudin.

Côté tannage : si des alternatives se développent pour remplacer le chrome par d'autres minéraux "moins impactants" comme le silice, l'aluminium et le titane, le tannage végétal émerge également via des extraits d'arbres (écorce, feuille ou racine) comme le mimosa ou l'acacia, utilisé notamment par le fabricant français Veja, non polluant mais néanmoins gourmand en eau et énergie…

Le cuir "n'est pas un produit anti-écologique en soi", concède Frédéric Amiel de Greenpeace mais reste "un sous-produit de notre consommation" soumis au choix du mode de fabrication, réitèrent les ONG. Après Eram, le leader français de chaussures Vivarte (et ses 24 marques comme André, Minelli, San Marina..) est également appelé à imposer "des garanties environnementales au niveau de ses approvisionnements en cuir. En tant que consommateur responsable, vous devez demander ces garanties ! Plus nous serons nombreux, plus nous serons entendus !", déclare Envol Vert. En tant que consommateur responsable, "on peut également avoir son mot à dire en préférant une nourriture moins carnée", selon l'association.

Autres pistes alternatives aux consomm'acteurs ? Si la PME française Koru Organic développe depuis 2010 une gamme de chaussons en cuir issu d'élevages locaux et biologiques, l'entreprise britannique E-Leather produit des chaussures à base de cuir recyclé (6) à partir de chutes de production limitant l'usage de produits chimiques.

1. Pour télécharger le rapport
http://envol-vert.org/wp-content/uploads/2013/01/Rapport-Cuir-Tanne-Foret.pdf
2. Stabilisation de la peau en la rendant imputrescible et résistante au moyen de produits chimiques ou naturels3. Télécharger le rapport de Greenpeace
http://www.greenpeace.org/france/PageFiles/266591/massacre-amazonie-re.pdf
4. En savoir plus sur le réseau LWG et ses membres
http://www.leatherworkinggroup.com/lwg-members.htm
5. La liste des membres du réseau LWG
http://www.leatherworkinggroup.com/lwg-members.htm
6. En savoir plus sur le recyclage des chaussures en consultant l'étude de Bio intelligence service pour l'éco-organisme Eco TLC
http://www.ecotlc.fr/ressources/Dossiers_Etudes/rapport_chaussures_BIOIS.pdf

Réactions3 réactions à cet article

La cause est entendue: il faut protéger les forêts primaires.
je constate tout de même qu'il sera extrêmement difficile d'obtenir une traçabilité correcte vu le circuit de distribution entre producteurs de peaux, tanneurs, producteurs de chaussures.
Je constate également que les WWF, les Envol Vert, etc..., ont une fâcheuse tendance à exagérer les chiffres et pourcentages afin de faire passer leur message, sans se demander une seconde si leur action peut mettre à mal toute une industrie déjà fortement en déconfiture (en France). Les peaux venant d'autres horizons sont elles plus écolos??? L'article lui même ne semble pas donner de réponse affirmative...au vu de la réglementation REACH... Les substituts ne semblent pas non plus très écolos... ALORS, marchons PIEDS NUS, sur notre propre cuir, le seul dont soyons à peu près sûr ;))

JEF | 12 mars 2013 à 15h02 Signaler un contenu inapproprié

Ça a tout l'air d'une petite succursale du WWF, avec un caractère familial prononcé, promise à un grand avenir. Harceler, pressurer (il y a un mot d'origine anglaise plus parlant...) l'industrie du cuir... fallait y penser.

Petites questions :

Quelle est la production de cuirs et peaux du Brésil, par rapport au reste du monde ?
Quelle est la part de la production brésilienne entrant dans le cadre du racket politico-économico-médiatique de cette pseudo-ONG ?

Wackes Seppi | 14 mars 2013 à 21h37 Signaler un contenu inapproprié

La peau représente 3,5% de la valeur économique d'une carcasse (Source : Product Environmental Footprint Leather) et non 20%. D'où Envol Vert sort ce chiffre de 20% est un mystère.

De plus, la valeur de la peau est essentiellement (voir totalement) captée par l'abattoir et non pas l'éleveur. On peut dès lors se demander si la peau joue le moindre rôle dans la décision des éleveurs de mettre une nouvelle surface en pâture, car la peau ne lui rapportera rien

Jean Michel | 22 juin 2023 à 14h11 Signaler un contenu inapproprié

Réagissez ou posez une question à la journaliste Rachida Boughriet

Les réactions aux articles sont réservées aux lecteurs :
- titulaires d'un abonnement (Abonnez-vous)
- inscrits à la newsletter (Inscrivez-vous)
1500 caractères maximum
Je veux retrouver mon mot de passe
Tous les champs sont obligatoires