Le 22 juillet, un rapport d'information a été présenté au Sénat par François Grignon (UMP-Bas-Rhin) et Yves Rome (PS-Oise) sur le thème "Voies navigables de France : un canal d'avenir au service du développement durable (1) ".
"La France possède un quart du réseau fluvial navigable Ouest-européen mais ne pèse que 8% du transport fluvial", s'étonnent les sénateurs. Pourtant, le transport fluvial a de nombreuses vertus : vecteur d'aménagement des territoires, solution de désengorgement des grands axes routiers, le fluvial est surtout plus respectueux de l'environnement que d'autres modes de transport. Cette sous-exploitation du potentiel français s'est cristallisée autour de l'affaire du Canal Seine-Nord-Europe.
Le canal, une chance pour la France
Le Canal Seine-Nord, c'est d'abord un projet lancé en 1993, consacré ensuite par la loi Grenelle I de 2009. Le projet est déclaré d'intérêt public en 2008. Et pour cause : ses 106 kilomètres de longueur, 54 mètres de largeur et 360 hectares de zones portuaires pourraient remettre à flot le transport fluvial français.
Mais voilà qu'après plusieurs années d'hésitations, le destin du canal n'est toujours pas scellé. Un abandon se solderait par "des pertes sèches sur les dépenses engagées jusqu'ici", avertit le rapport. En effet, des communes telles que Longueuil Sainte-Marie (Oise) ont déjà réalisé des "aménagements susceptibles de favoriser une exploitation rapide du canal", relaient les auteurs.
Au-delà du gaspillage des deniers publics, l'abandon du projet serait surtout un coup porté à la "reconquête fluviale" de la France, soulignent les sénateurs. Au canal incombe la lourde charge de supprimer "le goulot d'étranglement majeur du réseau fluvial européen". Cette dimension européenne se reflète dans l'évolution du nom du projet : né "Canal Seine Nord", la particule "Europe" est venue anoblir le projet en lui conférant explicitement un intérêt européen. De ce fait, des subventions de l'Union sont à espérer, des déclarations d'intention ayant déjà été formulées. Les opportunités budgétaires européennes devront être saisies par la France, prévient l'étude.
Le canal, un enjeu pour l'Europe et pour l'environnement
Surtout, le Grenelle de l'environnement a accentué la teinte écologique du projet. La loi de 2009 affirme en effet que le canal doit permettre le report sur les fleuves de 4,5 milliards de tonnes kilomètre par an. Ce chiffre correspond à une économie annuelle de 250.000 tonnes de CO2. Voies navigables de France (VNF) évoque même une économie de 570.000 tonnes de CO2 par an à partir de 2055.
Ce "vaste corridor de fret à grand gabarit" pourrait en effet multiplier par trois le trafic fluvial de l'axe nord-sud, explique le rapport. Par grand gabarit, on entend les convois de 1.000 tonnes et plus. Ainsi, le canal (2) connectera le Grand bassin parisien et le Nord Pas-de-Calais "au Benelux et aux sept ports de la rangée Havre-Rotterdam". Or, "un convoi grand gabarit peut remplacer plus de 100 camions", déclarent les sénateurs. Le canal permettrait quant à lui le passage de bateaux transportant jusqu'à 4.400 tonnes.
Un réseau fluvial français en mauvais état
Enfin, le rapport met en lumière les imperfections du réseau fluvial français. Alors que la France métropolitaine est irriguée par 8.500 kilomètres de voies navigables, dont les trois quart relèvent de VNF, "seuls 6.000 kilomètres seraient régulièrement empruntés".
En outre, beaucoup de voies navigables ne sont pas adaptées aux grands gabarits : moins de 20% d'entre elles permettent le passage de convois de 3.000 tonnes et plus. Et le réseau ne compte pas plus de 30% de voies pouvant accueillir des bateaux de plus de 1.000 tonnes. En 1998, le bassin Seine-Oise comptait 520 kilomètres de voies adaptées aux 1.000 tonnes, et le Bassin Nord Pas-de-Calais en présentait 200 kilomètres.
De plus, outre les multiples reports du projet de canal Seine-Nord-Europe, le paysage fluvial français souffre d'un "lourd handicap" : le réseau est "segmenté", les "capillaires" reliés au réseau principal sont "trop sous-dimensionnés" et le maillage est "imparfait, tant entre bassins qu'avec les ports maritimes". En effet, 1.800 écluses et 4.300 ouvrages d'art coupent le réseau français, détaillent les sénateurs. C'est beaucoup comparé au réseau allemand, qui n'a que 450 écluses et 300 ouvrages, et encore davantage que les 83 écluses néerlandaises, justifie le rapport.
Le problème, c'est que nombreux sont les ouvrages "en fin de vie ou de qualité médiocre", explique l'étude. Ils nécessitent trop souvent une manœuvre manuelle, source de "situations de travail pénibles et dangereuses". Ces caractéristiques conduisent à de fréquentes suspensions d'usage, créant ainsi un fort "risque commercial et juridique sur les intervenants de la chaîne de transport", conclut le rapport.