Après un essai infructueux en 2013, une étape vient d'être franchie concernant le devoir de vigilance des sociétés-mères : la nouvelle proposition de loi PS déposée en février 2015 a été adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale (1) , le lundi 30 mars.
L'objectif du texte : responsabiliser les entreprises, leurs filiales et sous-traitants lors de pollutions ou de violation des droits de l'Homme. Il s'inscrit ainsi notamment dans la continuité des principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l'Homme adoptés par le Conseil des droits de l'Homme des Nations-Unies (2) en juin 2011.
"Voyageant sur tous les continents, transformées dans de multiples fabriques, commercialisées, vendues, revendues, parfois des centaines de fois, [l]es productions relèvent aujourd'hui de législations nationales et de sociétés extrêmement fragmentées. Cette fragmentation est à l'origine d'une forme d'irresponsabilité, a pointé Dominique Potier, député socialiste, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, lors de la présentation de la loi. Le principe de la loi (…) est de mettre fin à l'impunité rendue possible par cette fragmentation".
Les débats en commission des affaires économiques et des lois ont élargi le périmètre du plan de vigilance à l'ensemble des sociétés sur lesquelles un contrôle exclusif est exercé ainsi qu'aux fournisseurs et sous–traitants avec lesquels il existe "une relation commerciale établie".
Une reconnaissance légale de la responsabilité des entreprises
Des sanctions à différents niveaux sont prévues en cas de non respect de cette obligation : tout d'abord un système de vérification par le juge sera instauré et l'entreprise sera exposée à une amende civile plafonnée à dix millions d'euros (non déductible du résultat fiscal). Lors d'une action en réparation fondée sur le régime de responsabilité civile de droit commun, la non application de ce devoir pourra également être invoquée devant le juge. Il est enfin prévu la diffusion d'une publicité sanction.
"S'il ouvre une brèche, ce texte a été grandement affaibli par rapport à la première proposition de loi qui avait été renvoyée en commission le 29 janvier dernier, regrette dans un communiqué l'association Les amis de la Terre. Ainsi, cette loi ne s'appliquera pas à un grand nombre d'entreprises, et l'accès à la justice des victimes restera un parcours du combattant".
Les amendements de différents groupes (3) portant sur le seuil des entreprises couvertes par l'obligation ont ainsi été rejetés. Le texte vise en effet les entreprises comportant "au moins cinq mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français, ou au moins dix mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français ou à l'étranger".
"Si j'en crois les chiffres de l'Insee en 2007, [le seuil] de la proposition de loi concernerait exactement 125 entreprises. Les entreprises responsables de la catastrophe du Rana Plaza ne seraient pas concernées, dénonce Danielle Auroi, députée écologiste, rapporteure du précédent texte renvoyé en commission. C'est pour cela qu'un certain nombre d'entre nous (…) proposons un seuil qui se rapproche de celui utilisé dans la directive sur le reporting extra-financier".
"Le compromis que je propose est raisonnable et fait de la France une pionnière entraînant les deux tiers de l'activité internationale de ses entreprises, a notamment répondu Dominique Potier. La détermination des secteurs stratégiques ou sensibles est par nature contestable car nous n'avons pas assez de recul pour discerner, par-delà l'émotion de l'actualité, les secteurs les plus fragiles".
Concernant les sanctions, des amendements émanant de différents partis proposant une proportionnalité de la sanction financière au regard du chiffre d'affaires et la suppression du plafond de 10.000 euros n'ont pas été retenus.
L'inversion de la charge de la preuve rejetée
Autre demande non retenue : l'inversion de la charge de la preuve et le renforcement de la solidarité tout le long de la chaîne de production. "Dans l'état actuel du texte, les victimes devront toujours prouver non seulement le manquement de la multinationale à son obligation de vigilance, mais aussi le lien de causalité avec le dommage, déplore Danielle Auroi. Dès lors, les société-mères pourront facilement tenter de démontrer que le dommage n'est pas dû au non-respect de leur obligation de vigilance, mais à une faute du sous-traitant"
Pour le rapporteur Dominique Potier, l'inversion de la charge de la preuve ne serait pas pertinente en droit international et pour ce sujet "novateur". "Il nous semble que le défaut de devoir de vigilance est la bonne prise pour une juge, a-t-il assuré. C'est la jurisprudence qui fera le travail, cela prendra un peu de temps, mais je préfère une loi lente à éclore et ayant une portée à terme planétaire à une loi idéale qui ne verra jamais le jour dans notre hémicycle".
Les modalités de présentation et d'application du plan de vigilance, ainsi que les conditions du suivi de sa mise en œuvre effective (dans le cadre d'initiatives pluripartites au sein de filières ou à l'échelle territoriale) seront renvoyées à un décret en Conseil d'Etat.
"Pour les victimes, la lutte éprouvante de David contre Goliath continue, estime l'association Sherpa (4) . La loi prévoit la publication d'un décret dont le contenu risque d'affaiblir la portée du texte, voire d'en annuler les effets si ce dernier tarde à paraître".
Une prochaine étape européenne ?
"Le texte qui nous est proposé aujourd'hui représente donc une première étape nécessaire, mais pas suffisante, s'est positionnée Danielle Auroi. Nous pourrons ensuite poursuivre ce travail à l'échelle européenne. Nous avons déjà amorcé cette deuxième étape en adoptant une résolution concernant le reporting extra-financier, laquelle mentionnait explicitement la nécessité d'un devoir de vigilance, à la fois au sein des Etats membres et à l'échelle de l'Union européenne".