A l'occasion de la publication, le 26 octobre dernier, de son deuxième rapport sur l’état des ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture (1) , l'organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) dresse un constat alarmant : ''la diversité génétique des plantes que nous cultivons et consommons - et des espèces sauvages apparentées - pourrait disparaître à jamais, compromettant ainsi la sécurité alimentaire future''.
Face à ce constat sans appel, la FAO avance des solutions ''légères'' selon Agir pour l'environnement (2) . L'association, qui se réjouit de la reconnaissance de l'importance de la diversité cultivée par la FAO, regrette que celle-ci ''n'ose pas aller jusqu'au nécessaire examen de conscience, et fasse l'impasse sur les causes politiques et économiques de la perte actuelle de biodiversité cultivée''. A la lecture du rapport, le lecteur reste en effet sur sa faim. ''Ce texte est probablement issu d'un compromis entre les différents courants de la FAO. La timidité de cette institution est également due à un constat qui remet en question quarante ans de politique onusienne. La révolution verte prônée par la FAO a découlé d'un choix de semences à haut rendement qui a conduit à uniformiser à l'échelle mondiale les pratiques agricoles'', analyse Jacques Caplat, chargé de mission pour Agir pour l'environnement.
Le constat d'une uniformisation des ressources génétiques
Déjà, en juin 2007, la FAO constatait dans un rapport sur l'état des ressources zoogénétiques mondiales pour l'alimentation et l'agriculture (3) , que ''l’essor rapide de la production animale industrielle ciblée sur une palette très restreinte de races est la plus grande menace mondiale à la diversité des animaux de ferme''. Entre 2000 et 2007, une race domestique a disparu tous les mois (sur un total de 7.000 races animales recensées par la FAO).
Un an plus tard, lors de la conférence mondiale sur la diversité biologique à Bonn, en mai 2008, la FAO tirait à nouveau la sonnette d'alarme, cette fois-ci sur l'érosion de la diversité végétale (4) : trois quarts de la diversité génétique variétale des plantes cultivées ont disparu au cours du XXe siècle. Seules douze espèces végétales et quatorze espèces animales assurent désormais l’essentiel de l’alimentation de la planète alors que ''dans le passé, 10.000 espèces étaient cultivées pour nourrir la planète''. Le riz, le blé, le maïs et la pomme de terre représentent 60 % des apports énergétiques d'origine végétale. ''L’érosion de la biodiversité pour l’alimentation et l’agriculture met gravement en péril la sécurité alimentaire mondiale'', notait alors la FAO.
Une prise de conscience à l'échelle mondiale mais des actions insuffisantes
Dix ans plus tard, la FAO fait le point sur la situation : ''on constate à présent une prise de conscience croissante quant à l'importance de cette diversité et de sa contribution à la sécurité alimentaire locale. Des progrès ont été réalisés dans la protection de la diversité des ressources phytogénétiques pour l'alimentation et l'agriculture au sein de nombre croissant de banques de gènes nationales''. Les quelque 1.750 banques de gènes nationales recensées à ce jour à travers le monde conservent environ 6,6 millions des 7,4 millions d’entrées totales détenues dans le monde. De nombreux pays se sont en effet dotés de programmes et réglementations nationaux à la suite de l'adoption de la convention sur la diversité biologique (CDB) en 1992 et du Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l'alimentation et l'agriculture (TIRPAA (5) ) en 2001.
Si cette évolution est jugée très positive par la FAO, celle-ci note néanmoins quelques points négatifs. D'abord, 45 % des ressources sont conservées dans seulement sept pays, contre 12 en 1996. Ensuite, ''la couverture des cultures est également inégale. La diversité génétique de certaines d’entre elles, comme le blé et le riz, est déjà largement représentée dans les collections, mais il existe encore de grandes lacunes concernant de nombreuses autres cultures. En effet, de nombreuses espèces végétales utiles ne se trouvent que dans la nature ou en tant que variétés locales dans les champs des agriculteurs''.
Autre manquement selon la FAO : ''une part importante de la diversité, notamment des espèces sauvages apparentées aux plantes cultivées et des espèces sous-utilisées, essentielles pour l'alimentation et l'agriculture, doit encore être protégée pour garantir son utilisation actuelle et future''. Si la FAO constate que le nombre et la couverture des aires protégées se sont étendus, ce qui a indirectement conduit à une meilleure protection des espèces sauvages apparentées aux plantes cultivées, elle souligne que peu de progrès sont réalisés dans la conservation de ressources phytogénétiques sauvages en dehors des aires protégées ou dans la mise au point de techniques de gestion durables pour la récolte des plantes dans la nature.
Un constat d'échec mais la promotion des mêmes outils ''améliorés''
Si elle reconnaît que les paysans sont les artisans dans leurs champs de la diversité génétique et que ''la plupart des programmes de sélection continuent de se concentrer sur une poignée de cultures de base et de viser le rendement en tant qu'objectif majeur'', la FAO maintient son soutien aux programmes de sélection végétale qui doivent cependant, selon elle, ''connaître un nouvel élan''.
La FAO note que la sélection végétale a continué de reculer dans le secteur public et que, dans certains cas, le secteur privé (6) commence à prendre la relève, ce qui ''a des répercutions sur les agriculteurs propriétaires d’exploitations de subsistance – le secteur privé se concentre en général sur quelques cultures seulement pour lesquelles les agriculteurs achètent des semences chaque année, et ce ne sont généralement pas les cultures qui constituent le fondement de la sécurité alimentaire dans la plupart des pays en développement''.
La solution ? ''Des systèmes adéquats doivent être mis en place pour rendre de nouvelles variétés accessibles aux agriculteurs par le truchement du secteur public et d'autres acteurs''.
Pour Jacques Caplat, ''cette analyse se télescope avec un logiciel de pensée qui reste le même. La FAO reste sur de vieux dogmes. Il ne suffit pas de quelques mesures correctives a posteriori ; c'est toute la politique de la FAO qu'il faut remettre en cause. Ainsi, le rapport reconnaît le rôle majeur des paysans dans la conservation in situ … mais ne préconise qu'une meilleure coordination entre organismes institutionnels. (…) Il est urgent de sortir les collections dans les champs pour que les variétés se remettent à co-évoluer avec leur environnement !''.