Alors que l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a émis des prescriptions dès 1989 sur l'utilisation des eaux usées traitées dans le domaine agricole, pour répondre aux problèmes de pénurie d'eau douce de nombreuses régions dans le monde, la France traînait un projet d'arrêté depuis près de vingt ans, freinée par les scandales sanitaires qui ont émaillé le pays (sang contaminé, vache folle…). Car ces eaux peuvent être des nids à polluants (microorganismes pathogènes (bactéries, virus, protozoaires, helminthes), matières organiques et substances chimiques) et poser des risques sanitaires et de qualité des végétaux si leur réutilisation est mal encadrée.
En 1991, un premier projet d'arrêté avait été présenté par le Conseil supérieur d'hygiène publique de France (CSHPF) à la demande de la direction générale de la santé (DGS). Ont suivi plusieurs rapports et avis, de l'
Signé par les ministères en charge de la Santé et de l'Agriculture depuis le début de l'année, le texte n'attendait plus que l'aval du ministère de l'Ecologie pour être publié. C'est chose faite depuis le 2 août (pour une publication le 1er septembre).
Une pratique très développée dans le monde pour faire face à la pénurie d'eau
Très répandue dans les pays où la ressource en eau fait le plus défaut, la réutilisation des eaux usées reste limitée en France (une quarantaine de projets développés à titre expérimental pour l'irrigation des cultures, l'arrosage des golfs et les forêts et prairies). Elle pourrait s'avérer intéressante dans des zones de tension, comme le Nord Pas-de-Calais, la Manche, l'Atlantique et le pourtour méditerranéen, ou dans les îles, où le manque d'eau à usage domestique et agricole est souvent chronique. La réutilisation des eaux usées traitées est aussi vue comme une solution pour éviter de trop puiser dans l'eau des rivières ou des nappes phréatiques, à la période d'étiage notamment.
Sur le bassin méditerranéen, ces pratiques sont largement développées. La Tunisie réutiliserait 75 % de ses eaux usées. Selon une étude de l'Afssa menée en novembre 2008, l'Espagne, qui recycle les eaux usées traitées depuis près de vingt ans, réutilise 408 millions de m3 d'eaux usées traitées chaque année. Chypre caresserait même l'objectif de réutiliser 100% des eaux usées traitées.
Aux Etats-Unis, 63 % et 13 % des eaux usées traitées de Californie et de Floride sont recyclées pour l'agriculture. Une réglementation de l'Agence de l'environnement américaine (EPA) prévoit même la réutilisation des eaux grises pour tous les usages (arrosage, construction, alimentation d'immeubles de bureaux, climatisation, remplissage de bassins d'agréments…). La ville d'Irvine (Californie) a développé un double réseau, comme le Japon, qui réutilise ces eaux grises pour alimenter les toilettes ou encore l'Allemagne ou la Corée du Sud.
Dans les zones arides où la situation est extrême, ces eaux sont même réutilisées pour la production d'eau potable comme à Windhoek en Namibie et Chelmsford en Angleterre.
Le cadre réglementaire français
Outre de fixer quatre niveaux de qualité sanitaire des eaux usées traitées et des contraintes d'usage, de distance et de terrain, le texte définit les modalités de mise en œuvre de la réutilisation d'eaux grises pour l'irrigation des cultures et des espaces verts.
La demande de raccordement au réseau de distribution d'eaux usées traitées doit être adressée à la préfecture du département.
Pour éviter tout risque de ''contamination'', les canalisations de distribution d'eaux usées traitées doivent être distinctes du réseau de distribution d'eau potable.
L'exploitant de la station d'épuration doit mettre en place un programme de surveillance des eaux traitées, qui comporte le suivi analytique des Escherichia coli pendant la totalité de la saison d'irrigation, le suivi de la qualité des boues produites lors du traitement des eaux usées à raison d'au moins quatre analyses par an. Les résultats d'analyses, qui doivent être réalisées par un laboratoire accrédité, doivent être connus avant le début de la période d'irrigation. Ils doivent être communiqués une fois par an au préfet et aux maires concernés et aux exploitants des parcelles concernées par le programme d'irrigation.
L'exploitant de chaque parcelle irriguée par des eaux usées traitées doit quant à lui réaliser au minimum tous les dix ans une analyse du sol. Ces analyses, qui doivent être réalisées par un laboratoire d'analyse de terre agréé par le ministère de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche, portent sur les éléments traces et sur le pH. Les résultats des analyses doivent être communiqués à l'exploitant de la station d'épuration.
L'utilisation d'eaux usées traitées à des fins d'irrigation par aspersion peut être autorisée à titre expérimental par arrêté préfectoral, sur avis de l'Anses*. L'équipement utilisé doit alors .
Enfin, l'arrêté précise qu'est interdite l'irrigation des cultures et des espaces verts à partir d'eaux usées brutes, d'eaux usées traitées issues de stations d'épuration reliées à un établissement de collecte, de stockage, de manipulation ou de traitement des sous-produits d'origine animal, de catégorie 1 ou 2 (règlement européen 1774/2002) et soumis à la réglementation des installations classées.
Vingt ans de discussions ?
''Cet arrêté était très attendu. Une foison de projets vont voir le jour désormais. A priori, les précautions ont été prises pour éviter tout risque sanitaire ou environnemental'', explique Bruno Molle, chef de l'équipe de recherche du Laboratoire d'essais et de recherche des matériels d'irrigation (Larmi) à l'Institut de recherche en sciences et technologies pour l'environnement (Cemagref).
La France bénéficie en effet de vingt ans de retour d'expérience de l'OMS sur le sujet.
En septembre 2006, cette institution internationale a d'ailleurs révisé les lignes directrices pour la réutilisation des eaux usées traitées en agriculture.
Une expertise de l'Anses est néanmoins en cours sur l'évaluation du risque sanitaire de cette pratique. Elle est attendue pour juin ou septembre 2011.
''Deux risques peuvent être craints, note l'expert du Cemagref. Le premier, lié à des dérives non contrôlées de l'utilisation de ces eaux ou de la qualité bactériologique de l'eau, concerne l'environnement large, dont les animaux et les humains. Le deuxième risque concerne les végétaux. Ces eaux sont chargées en sels minéraux et parfois en matières organiques qui peuvent à terme aboutir à un engorgement des sols. Il y a un certain nombre de contraintes à respecter pour éviter un dysfonctionnement des sols, comme l'uniformité de la distribution d'eau pour éviter les recouvrements excédentaires ou la surveillance des systèmes de micro-irrigation qui peuvent parfois rencontrer des problèmes de sensibilité''.
* L'Afssa et l'Afsset sont regroupées aujourd'hui au sein de l'Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail).