En Allemagne, l'investissement des citoyens dans les énergies renouvelables n'est pas nouveau. Entre 2000 et 2010, plus de la moitié des capacités renouvelables électriques installées (53 GW au total) ont été financées par des personnes privées (40%) et des agriculteurs (11%). Dans le même temps, les quatre grands électriciens allemands (RWE, E.ON, EnBW, Vattenfall) n'ont investi que dans 7% des capacités renouvelables développées, note une étude réalisée par l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) et l'agence rhônalpine de l'énergie et de l'environnement (RAAE), publiée en janvier. L'implication des citoyens allemands touche le photovoltaïque, l'éolien terrestre et la biomasse, mais pas seulement : "Cette tendance dépasse également le seul domaine de la production d'électricité, comme en témoigne le nombre croissant d'initiatives citoyennes visant à développer des réseaux de chaleur ou encore à devenir distributeur d'énergie à l'échelle locale, souvent en s'associant avec une régie municipale existante". Ce phénomène pourrait profondément bouleverser le marché énergétique allemand, "jusque-là dominé par les quatre grands électriciens qui représentent actuellement 80% de la production d'électricité".
Pourtant, l'exemple germanique inspire. Alors qu'en France, les projets citoyens ou locaux restent minoritaires (bien qu'en augmentation), des mesures les favorisant pourraient être intégrées au projet de loi sur l'Economie sociale et solidaire (ESS) (1) , notamment sur le droit des coopératives. L'étude de l'Iddri et de RAAE a analysé les différences "culturelles" entre la France et l'Allemagne afin d'identifier les freins à l'investissement citoyen (2) dans l'hexagone. "Face aux besoins colossaux de financement de la transition énergétique, les mécanismes participatifs présentent un intérêt indéniable pour mobiliser davantage l'épargne privée et assurer un fléchage vers les projets locaux". L'Angleterre vient quant à elle de lancer une stratégie en faveur des investissements citoyens.
Assouplir le statut juridique des coopératives
Alors que l'Allemagne comptait 75 coopératives de l'énergie en 2006, six ans plus tard, 754 étaient enregistrées. Et encore, ce chiffre ne tient pas compte des nombreuses initiatives locales et citoyennes créées sous d'autres formes juridiques (association, SARL, sociétés en commandite par actions...), note l'étude. Justement, c'est cette multiplicité des formes juridiques et leur souplesse qui boostent les initiatives citoyennes.
En France, aucun format juridique "ne permet de répondre complètement à la spécificité citoyenne". La société coopérative d'intérêt collectif (SCIC), si elle permet une gouvernance démocratique et la participation au capital de collectivités, est par ailleurs très contraignante : obligation d'avoir un commissaire aux comptes, d'avoir un employé, absence de plus-value sur les parts, restriction de la rémunération des dividendes au taux moyen de rendement des obligations d'entreprises privées (TMO), mise en réserve impartageable de 57,5% des bénéfices…
La société par actions simplifiées (SAS) est donc plus utilisée pour des projets citoyens aujourd'hui. Malgré ses limites : les collectivités ne peuvent pas y participer et les offres au public de titres financiers sont limitées.
"Le modèle allemand de société coopérative pourrait servir de support à la réflexion en cours sur le projet de loi ESS en guidant la réflexion vers une évolution des SCIC en faveur d'une meilleure flexibilité et attractivité économique. Si les SCIC doivent conserver leur objet d'utilité sociale et faire primer l'intérêt collectif, leur développement ne pourra connaître un véritable essor que si le cadre juridique est simplifié et leur viabilité économique moins entravée", notent les auteurs.
En Allemagne, trois membres suffisent pour créer une coopérative, le principe de responsabilité limitée des sociétaires est reconnu, le capital est variable (et ne comporte pas de minimum à la création) et l'association de nouveaux membres se fait sans formalités notariales. Enfin, si la gouvernance peut y être démocratique (1 membre = 1 voix), celle-ci peut être également fondée sur les parts détenues, "ce qui peut notamment être pratique pour garantir une influence suffisante pour les collectivités". Ce qui est important, souligne l'étude : "La participation des acteurs publics locaux constitue un atout essentiel pour la réussite des projets citoyens. Cette participation peut également permettre à la collectivité d'atteindre ses objectifs de politique énergétique dans le cadre d'une démarche partagée avec les habitants". Pour les auteurs, le projet de loi ESS facilite leur participation en ouvrant la possibilité d'une hybridation entre les SCIC et les SAS. Mais elle pourrait être encore davantage encouragée par la possibilité pour les collectivités de contribuer en comptes courants ou en titres participatifs.
Faciliter les financements et la rentabilité des projets
En France, une autre difficulté de taille existe : l'encadrement lourd (et chronophage) de la levée de fonds citoyens. "La communication encourageant les citoyens à acquérir des titres financiers est encadrée par l'Autorité des marchés financiers (AMF). Seules certaines sociétés sont autorisées à recourir à l'OPTF (Offre au public de titres financiers) et doivent dans ce cas obtenir un visa de l'AMF". Energie Partagée a obtenu cette autorisation, qui lui a permis de lever, jusqu'ici, plus de 6M€ auprès de 3.000 citoyens. Les projets collectifs rencontrent plus de difficultés.
En Allemagne, les coopératives sont exonérées de l'obligation de publication de prospectus financier et donc de la nécessité d'obtenir une autorisation de la part du régulateur financier. En revanche, elles sont auditées par la fédération régionale de contrôle des coopératives (contrôle de gestion, analyse de la viabilité économique et juridique du projet).
Autre avantage outre Rhin : "La rentabilité des sociétés coopératives ne constitue pas un tabou, mais représente au contraire un élément clé du déploiement massif des projets renouvelables citoyens. Profitant d'un cadre réglementaire relativement favorable et d'un accès aux prêts préférentiels de la KfW, ces coopératives affichent un retour sur investissement de 4 % en moyenne".
En France, au contraire, les projets citoyens peinent à être financés et le statut des coopératives freine les retours sur investissement. En France, le modèle de la KfW a été à maintes reprises cité lors du débat national sur l'énergie. Peut-être reviendra-t-il sur le tapis lors de "la conférence bancaire sur le financement de la transition énergétique, prévue au printemps 2014, [qui] devrait également traiter le sujet de l'innovation bancaire, en encourageant notamment les banques à créer des produits d'épargne et d'investissements fléchés sur les projets locaux et citoyens, à l'échelle des territoires".
L'Angleterre a quant à elle fait le choix d'un fonds, doté de 10 millions de livres (environ 12M€), destiné à soutenir le lancement de projets de production d'électricité décentralisée. Parallèlement, le gouvernement souhaite encourager la mise en place de groupements d'achat et d'actions collectives de réduction des consommations énergétiques, via le lancement d'un concours, d'un guichet unique et d'un réseau de financement, a annoncé le ministre de l'Energie britannique le 27 janvier, lors de la présentation d'une stratégie pour le développement des collectifs énergétiques. Pour l'heure, seuls 60 MW de projets auraient été financés par des citoyens. Une étude estime entre 0,5 et 3 GW le volume de projets qui pourraient être financés collectivement d'ici 2020 dans le solaire, l'éolien ou l'hydraulique, ce qui représente de 2,2 à 14% de la capacité renouvelable installée à la même échéance.