Le débat sur l'évaluation et l'autorisation des OGM à l'échelle européenne est bel et bien relancé. Alors que le Haut conseil des biotechnologies (HCB) et l'Agence de sécurité sanitaire (Anses) viennent d'invalider les résultats de l'étude du professeur Séralini sur la maïs NK603, les différentes parties prenantes font une lecture bien différente des avis de ces deux instances.
Pour l'Association française des biotechnologies végétales (AFBV), les consommateurs "peuvent être rassurés sur la qualité des aliments qu'ils consomment lorsqu'ils contiennent cet OGM autorisé à l'importation depuis 2004". Elle estime même que "le ministre de l'Agriculture a le devoir et la responsabilité de lancer une campagne d'information pour rassurer les consommateurs qui ont été inquiétés, à tort, par des discours de dramatisation. Y renoncer serait le signe d'une défiance des pouvoirs publics vis-à-vis de l'expertise collective publique".
Pourtant, tout en jugeant les conclusions de cette étude non robustes scientifiquement, le HCB et l'Anses ont souligné les insuffisances de l'évaluation actuelle des OGM. Le HCB a recommandé la réalisation d'une étude à long terme indépendante, transparente et contradictoire sur le NK603 afin "de lever le doute soulevé par l'étude de Séralini". L'Anses est allée plus loin en soulignant l'originalité et l'ambition de cette étude. Elle estime nécessaire d'approfondir les connaissances sur les effets à long terme des OGM associés aux préparations phytopharmaceutiques et appelle à la mobilisation de fonds public français ou européens afin de consolider les connaissances sur les risques sanitaires insuffisamment documentés.
Dans un communiqué commun, les ministères de l'Agriculture, de l'Ecologie, de la Santé et de la Consommation indiquent que le "gouvernement retient la proposition formulée par l'ANSES de renforcer les études sur les effets à long terme de la consommation des OGM et des pesticides, qui doivent intégrer ces thèmes au niveau national et communautaire".
Renforcer l'évaluation…
Pour pouvoir mener à bien une telle étude et "engager régulièrement des études de fond sur d'autres sujets (nanotechnologie, phytosanitaire, neuroscience…)", le député UMP Bertrand Pancher demande au gouvernement "de prévoir l'affectation d'une somme de 20 millions d'euros supplémentaires par an aux budgets du HCB et de l'Anses". Vingt millions d'euros, c'est le coût estimé pour "une étude de 10 ans à partir d'un échantillon représentatif d'une centaine de rats", indique l'élu.
Le ministre de l'Agriculture Stéphane Le Foll a déclaré pour sa part qu'"au-delà des résultats de l'étude sur la validation des conséquences qui avaient été indiquées par Séralini, il y avait de toute façon un enjeu plus large, celui des différents protocoles d'autorisation qui existent aujourd'hui". Il a affirmé la volonté du gouvernement français de "faire bouger les choses au niveau européen", alors que "le débat a été engagé il y a deux ans avec la remise du rapport de Corinne Lepage". Selon lui, plusieurs questions demeurent "sur les données brutes, sur les durées de tests qui sont aujourd'hui limitées à 90 jours mais aussi sur les bases juridiques nécessaires pour que chaque Etat" puisse autoriser ou interdire à l'échelle nationale un OGM.
Aujourd'hui, la difficulté des Etats membres à se mettre d'accord sur ces questions entraîne une autorisation quasi automatique des OGM par la Commission européenne, à partir du moment où l'Agence de sécurité alimentaire européenne (Efsa) donne un avis positif. Tout récemment, le 20 octobre, la Commission a autorisé le maïs MIR162, alors que fin septembre les Etats membres n'étaient pas parvenus à un consensus sur sa commercialisation…
… et inverser la charge de la preuve ?
L'Anses et le HCB ont pointé du doigt le manque de connaissances sur les effets sanitaires à long terme des OGM. Et pourtant, pour Christine Noiville, présidente du Comité éthique, économique et social du HCB, "il n'y a pas lieu de demander une interdiction de cet OGM. L'interdiction pourrait se justifier s'il existait des risques réels".
L'absence d'études prouvant les effets à long terme signifie-t-elle l'absence de risques réels ? Non, répondent de nombreuses parties prenantes qui demandent l'application du principe de précaution et le renversement de la charge de la preuve, des autorités publiques ou de la recherche indépendante vers les industriels.
Greenpeace demande que les procédures d'évaluation des OGM prennent obligatoirement en compte des études de long terme pour mesurer les effets sanitaires, mais aussi les impacts socio-économiques des OGM. Et dans l'attente de cette révision, l'ONG estime qu'il est "indispensable que toute nouvelle autorisation d'OGM soit gelée et que les autorisations en cours soient suspendues". Même demande du côté de Générations futures : l'évaluation des effets chroniques des OGM et des pesticides formulés doit devenir systématique.
Corinne Lepage rappelle pour sa part que "la Russie a décidé d'une suspension du NK603 et aujourd'hui, le comité d'experts de l'Inde veut un moratoire de 10 ans sur l'expérimentation des OGM" et s'interroge : "En attendant que les études indispensables soient enfin menées, le principe de précaution va-t-il être appliqué à la firme Monsanto ou aux consommateurs européens ? La commission européenne vient de trancher une fois de plus en autorisant un OGM testé sur 5 rats !".