Robots
Cookies

Préférences Cookies

Nous utilisons des cookies sur notre site. Certains sont essentiels, d'autres nous aident à améliorer le service rendu.
En savoir plus  ›
Actu-Environnement

L'analyse financière peine à prendre en compte les changements climatiques

Une étude réalisée pour l'Ademe illustre les difficultés rencontrées par le secteur financier pour prendre en compte les changements climatiques. La normalisation des données publiées par les entreprises semble un point de départ incontournable.

Gouvernance  |    |  P. Collet
   
L'analyse financière peine à prendre en compte les changements climatiques
   

Mercredi 11 mai 2011, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) a présenté la synthèse de l'étude "analyse financière et enjeux climatiques (1) " réalisée par OTC Conseil. L'objectif était de mesurer la prise en compte des aspects liés aux changements climatiques dans la composition des portefeuilles financiers et d'identifier les méthodes et les freins associés.

Le constat est sans appel : si 88 % des spécialistes français de la finance interrogés jugent nécessaire la prise en compte des risques et opportunités climatiques dans la composition d'un portefeuille financier, seulement 24 % déclarent en tenir compte effectivement. "Un petite déception", concède Franck Jesus, chef du service économie et prospective de l'Ademe.

Des analyses hétérogènes

L'étude constate "une multiplication des travaux, études, recherches et publications" sur l'impact financier lié au climat auquel pourraient être confrontées les entreprises. Cependant la profusion d'analyses cache deux problèmes, selon Hugues Chenet, responsable du pôle environnement d'OTC Conseil : la couverture sectorielle est hétérogène et les analyses risques/opportunités sont peu coordonnées.

En conséquence, si l'information existe, son utilisation par les acteurs financiers n'est pas aisée puisque la comparaison et l'évaluation des résultats sont difficiles, voire impossibles. "Peu d'études capitalisent réellement sur celles d'autres institutions, et les rares travaux collectant différentes sources n'offrent pas de cadre normatif pour aider à la capitalisation", regrette l'Ademe dans la synthèse de l'étude.

Les données brutes sont peu fiables

Ce problème de comparabilité concerne aussi les rapports Responsabilité sociale des entreprises (RSE) qui servent de base à l'analyse extra financière des entreprises. S'ils sont de plus en plus nombreux et fournis, ils présentent néanmoins des données différentes d'une entreprise à l'autre.

Une première difficulté réside dans l'absence d'historique permettant de comparer les données sur de longues périodes. Un problème illustré par Stéphane Voisin, responsable de la recherche ISR au Crédit Agricole Cheuvreux, qui évoque trois changements méthodologiques dans les données publiées par une entreprise sur les cinq dernières années. Par ailleurs, les informations réduisent trop souvent la problématique climatique à l'empreinte carbone des entreprises.

Pire, Stéphane Voisin fait état "d'erreurs et de confusion dans les données publiées par les entreprises." Selon le spécialiste, la cause serait liée au fait que 95 % des données extra financières ne sont pas auditées et certifiées par des cabinets indépendants. La publication des risques et opportunités liés au climat souffre donc de l'absence d'un cadre réglementaire qui favoriserait la standardisation des données. Franck Jesus précise à ce sujet que "la situation s'améliorera si le cadre réglementaire est renforcé" et indique que l'Ademe pourrait collaborer à la rédaction des règles et méthodes de reporting. En l'occurrence, la loi Grenelle 2 renforce les obligations en matière de publication RSE, mais le décret d'application devrait édulcorer la contrainte.

Les analystes financiers démunis

Finalement, les analystes et gestionnaires de fonds disposent de deux méthodes. La première, qualifiée d'empirique, cherche à établir un lien a posteriori entre la performance boursière et l'empreinte carbone. Quant à la méthode analytique, elle vise à déterminer à partir de modèles l'impact des risques et des opportunités sur les revenus futurs des entreprises.

Si la seconde méthode est utilisée couramment par les analystes pour les études financières classiques, elle est cependant peu efficace pour évaluer l'impact climatique faute de modèles fiables. En effet, trop d'incertitudes persistent sur les futurs possibles, la méthodologie – et en particulier l'actualisation financière – n'est pas adaptée au très long terme, les données disponibles sont problématiques et plus globalement ce travail est cantonné à la niche des produits labellisés Investissement socialement responsable (ISR).

"On a tout essayé"

Philippe Zaouati, directeur général délégué en charge du développement chez Natixis Asset Management, illustre les lacunes des principales méthodes. L'approche best in class souffre de l'absence d'historique et de comparaison fiable entre les entreprises. La sélection des entreprises qui affichent les plus fortes réductions des émissions de GES favorise indirectement celles qui avaient les émissions les plus élevées ou celles dont l'activité décline. Choisir les spécialistes d'un secteur vert est délicat car ils sont rachetés par de grands groupes à l'image du rachat d'EDF EN par EDF et de celui de Tenesol par Total. Quant à retenir les entreprises les mieux préparées aux changements climatiques, Philippe Zaouati est clair : "mis à par les réassureurs, les entreprises sont peu impliquées." Face à ces impasses Natixis renonce aux modèles quantitatifs et s'en remet à une sélection qualitative basée sur le pragmatisme et le recours à un comité d'experts.

"On a tout essayé", déplore lui aussi Stéphane Voisin qui revient notamment sur le Carbon disclosure project, présenté comme la démarche la plus aboutie au niveau mondial et dont il a piloté le volet français ces deux dernières années. Le spécialiste ne cache pas sa déception : "on ne renouvellera pas la collaboration en 2011" étant donnée "l'absence totale d'homogénéité des données et de langage commun."

La gestion à court terme en cause ?

Enfin l'étude relève "la probable incompatibilité entre l'horizon de long terme du changement climatique et celui de court terme des marchés financiers limite [...] l'émergence de pratiques d'analyse financière concrètes", ajoutant qu'"une évolution majeure est sans doute nécessaire pour que les acteurs financiers se donnent réellement les moyens de prendre en compte les enjeux climatiques,au-delà des marchés de niche." Pour Hugues Chenet, il s'agit là d'une "cause du problème."

Interrogés sur l'absence de prise en compte par les marchés financiers des risques systémiques de moyen et long terme, en particulier le peak oil et le risque inflationniste lié à la hausse des prix des matières premières, les gestionnaires de fonds présentent pour leur part une vision différente. Pour Philippe Zaoutati, "ces enjeux macro-économiques permettent une vraie prise en compte des thématiques environnementales par les gestionnaires des fonds classiques." Une vision partagée par Stéphane Voisin, qui juge que ces risques "sont dans le marché."

1. Consulter la synthèse
http://www2.ademe.fr/servlet/getBin?name=77FC2817FE9AA31D01FED26BE2ADF5FE_tomcatlocal1305042921244.pdf

Réactions1 réaction à cet article

merci pour l'article

said | 30 mai 2011 à 11h17 Signaler un contenu inapproprié

Réagissez ou posez une question au journaliste Philippe Collet

Les réactions aux articles sont réservées aux lecteurs :
- titulaires d'un abonnement (Abonnez-vous)
- inscrits à la newsletter (Inscrivez-vous)
1500 caractères maximum
Je veux retrouver mon mot de passe
Tous les champs sont obligatoires