A la foire de Marseille, c'est la foire aux solutions : "performantes, existantes, innovantes", chacun arrive avec ses propositions, autour de 12 objectifs cibles qui doivent être "SMART" (spécifiques, mesurables, réalisables, réalistes et limités dans le temps) et "WISE" (large implication dans les échanges avec les parties prenantes), annonce le dossier de presse. Et ces 12 objectifs sont tous prioritaires, qu'il s'agisse de "garantir l'accès à l'eau pour tous, d'améliorer l'accès à l'assainissement pour tous, l'hygiène et la santé, prévenir les crises de l'eau, contribuer à la coopération et la paix, équilibrer les différents usages, contribuer à la sécurité alimentaire, harmoniser l'énergie et l'eau, promouvoir la croissance verte, améliorer la ressource, ajuster les pressions et les empreintes des activités humaines sur l'eau, faire face aux changements climatiques dans un monde qui s'urbanise"...
A un mois de l'élection présidentielle, la présence ministérielle et politique s'annonce faible à cet événement dont le manque de pluralisme est régulièrement critiqué par les associations, qui organisent un contre-forum parallèle. Créé à l'initiative des groupes français de l'eau en 1996, le Conseil mondial de l'eau est un lobby international qui regroupe quelque 300 structures publiques et privées, et des ONG du monde entier afin d'influencer les politiques de l'eau. Président du Conseil Mondial de l'eau (CME) depuis 2005, Loïc Fauchon est aussi le PDG du Groupe Eaux de Marseille depuis 1997, Société d'économie mixte qui appartient à Veolia.
Eau de Marseille épinglée
L'UFC-Que Choisir a accusé la SEM des eaux marseillaises de surfacturer les services de distribution d'eau et d'assainissement, dans une étude de 2007 sur les prix et les marges de l'eau qui concluait à une marge de 56,1 % pour la société dirigée par M. Fauchon.
Le suspense lié à cet événement semble donc limité : la déclaration Ministérielle est écrite d'avance et les engagements des parties prenantes ne relèvent pas du droit mais d'actions volontaires. Ces forums sont aussi des baromètres. En mars 2009, le forum d'Istanbul annonçait que le temps de l'eau facile était révolu, après ceux de Kyoto (2003), la Hague (2000), et Marrakech (1997). En 2006 à Mexico, l'objectif des Nations unies de diviser par deux d'ici 2015 le nombre de personnes n'ayant pas accès à l'eau potable dans le monde (1,3 milliard d'individus) était réaffirmé : il ne serait pas atteint si tous les acteurs ne se retroussaient pas les manches. Pour y parvenir, affirmait le forum de Mexico, il fallait s'appuyer davantage sur les collectivités locales, trouver les financements adéquats, faire preuve de pragmatisme et, surtout, "surmonter les postures idéologiques" : "Il faut arrêter de dogmatiser", affirmait Patrice Fonlladosa, directeur général de Veolia Water pour l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient, selon qui le débat public-privé était dépassé.
Bilan des partenariats publics-privés
Les années 2000 ont vu l'avènement des partenariats public-privé (PPP), célébrés en 2002 au Sommet de la Terre de Johannesburg (Afrique du Sud) pour financer l'aide au développement et les Objectifs du Millénaire (ODM). Aujourd'hui, ces "PPP" ne semblent plus d'actualité. "On ne les défend plus, car ils ne sont pas valables dans les pays instables", analyse la PDG d'Eau de Paris, Anne le Strat. "Aujourd'hui, la doctrine est plus flexible, tantôt en faveur du secteur privé, tantôt en faveur du secteur public, ce qui est déjà un progrès par rapport à l'engouement des années 90 pour les privatisations tous azimuts. C'était d'une naïveté sans nom de penser que le privé allait investir chez les pauvre". Les solutions du type privatisation, échouent dans de nombreux pays, de la Bolivie aux Philippines. D'après Carlos Santos des Amis de la Terre Uruguay, "les directives de privatisation issues du IIIème Forum mondial de l'eau ont échoué de façon spectaculaire en Uruguay, causant de graves problèmes sociaux, économiques et environnementaux. Face à la colère populaire, une réforme constitutionnelle, soutenue par 64,7% des citoyens uruguayens, a interdit la privatisation des services de l'eau et posé les jalons d'une gestion de l'eau durable et participative".
Une des cibles des Objectifs du Millénaire est de "réduire de moitié, d'ici à 2015, la proportion de la population n'ayant pas accès de manière durable à un approvisionnement en eau potable et à un système d'assainissement de base" par rapport à 1990. Dix ans plus tard, où en est-on ? L'eau demeure la première inégalité sociale et hommes-femmes de la planète. Les maladies hydriques sont la première cause de mortalité dans le monde. 900 millions de personnes n'ont pas accès à l'eau potable. 2,6 milliards de personnes n'ont toujours pas de toilettes à chasse d'eau et d'autres formes d'assainissement amélioré. Certaines sources estiment que ce sont en réalité entre 3 et 4 milliards d'individus qui n'ont pas accès à une eau potable, compte tenu de l'éloignement des points d'eau, leur intermittence, et parce que l'eau elle-même est de qualité douteuse. Selon l'ONU, les ODM seront atteints pour l'eau potable, même si plus d'une personne sur dix n'y aura toujours pas accès en 2015. Les populations pauvres et rurales restent désavantagées.
L'eau, enjeu de marché
Dans une proposition de résolution (1) datée du 6 mars 2012, le Parlement européen rappelle qu'il a demandé au Conseil et à la Commission, dans ses résolutions sur les quatrième et cinquième forums mondiaux sur l'eau, "d'encourager les pouvoirs locaux de l'Union à consacrer une part des redevances perçues auprès des usagers pour la fourniture des services d'eau et d'assainissement de l'eau à des actions de coopération décentralisée, et que ses demandes – bien qu'une action en ce domaine aurait accru pour la population la plus pauvre l'accès à l'eau potable et aux services d'assainissement – n'ont pas suscité la moindre action". La résolution déclare que "l'eau est un bien commun de l'humanité et que, dès lors, elle ne devrait pas être une source de profit et que l'accès à l'eau devrait être un droit fondamental et universel". La résolution du Parlement européen demande à ce que l'exécutif européen agisse pour encourager les Etats-membres à adopter le 1% solidaire. En France, la loi Oudin-Santini de 2005 permet aux communes, aux établissements publics de coopération intercommunale, aux syndicats mixtes chargés des services publics d'eau potable et d'assainissement, aux agences de l'eau d'affecter jusqu'à 1% de leur budget à des actions de coopération et de solidarité internationale.
Faut-il pour autant voir dans ce dispositif une démarche de philanthropie ? Comme le rappelle le rapporteur de cette loi (2) lui-même, le député André Santini (UMP, Issy-les-Moulineaux, 92), l'industrie française de l'eau occupe la première place des marchés dans le monde : "L'expansion des entreprises françaises s'est réalisée principalement par l'obtention de contrats internationaux et par croissance externe (acquisition de sociétés, alliances entre groupes concrétisées par l'instauration de filiales communes, prise de participation dans les entreprises...). Le pôle eau de Veolia (Veolia Waters) résulte de l'intégration de la Compagnie Générale des Eaux et de l'Américain USFilter et réalise un chiffre d'affaires de près de 13 milliards d'euros dont 61 % en Europe. (…) Donner aux communes, établissements publics de coopération intercommunale et syndicats mixtes, la possibilité de conclure des conventions de coopération internationale, est non seulement un moyen de permettre une exportation du modèle français de gestion de l'eau, mais aussi un moyen de compléter utilement la conquête de marchés par les grands groupes français". Les grandes majors de l'eau françaises deviennent ainsi les principaux agents de la coopération, avec le soutien du contribuable, via les agences de l'eau.
Ceci explique aussi que la France soit un des principaux bailleurs internationaux pour l'eau potable et l'assainissement. En 2011, l'Agence française de développement (AFD) a octroyé 643 m€ en prêts et 69 m€ en subventions en faveur de l'eau et l'assainissement dans les pays en développement. Selon le Partenariat français pour l'eau (PFE), ces financements permettent de fournir chaque année un accès à l'eau potable pour 800 000 personnes en moyenne, et 500 000 pour l'assainissement. Ils permettent aussi d'améliorer le service de 2,5 millions de personnes pour l'eau potable et de 1,5 million pour l'assainissement. L'AFD a ainsi octroyé une ligne de crédit de 30 M€ pour étendre et améliorer les réseaux d'eau potable dans les petites et moyennes villes de six provinces du delta du Mékong. Selon l'AFD, "le programme permettra d'améliorer le service de plus d'un million d'habitants (eau de meilleure qualité et disponible 24h/24, pression améliorée, etc.)". Le financement prend la forme d'un prêt à l'État rétrocédé à la Vietnam Development Bank qui l'affecte à des crédits en faveur des sociétés d'eau locales.
Associations et écologistes demandent que le Forum soit une instance indépendante, placée sous l'égide de l'ONU et dénoncent la "foire commerciale destinée aux multinationales françaises de l'eau", mettant en avant la "gabegie d'argent public" : le budget de l'événement s'élève à près de 30 millions d'euros, dont 17 millions de subventions publiques.