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''Les marges de progrès pour protéger les océans sont considérables''

Du fait de leur nombre, les organisations internationales ont du mal à endiguer les menaces traditionnelles et émergentes pesant sur les milieux marins. Pas sûr que le Grenelle de la mer fasse avancer le dossier. Entretien avec Julien Rochette, chargé de projet Océans et zones côtières à l'Iddri à quelques jours de l'ouverture d'un forum mondial sur les océans à Paris.

Interview  |  Eau  |    |  V. Roux-Goeken
   
''Les marges de progrès pour protéger les océans sont considérables''
Julien Rochette
Chargé de projet Océans et zones côtières à l'Iddri
   
Le Forum mondial sur les océans, les côtes et les îles qui se tient à Paris du 3 au 7 mai à Paris peut-il aboutir à des résultats concrets ?

Ce forum a été créé en 2001 en préparation du Sommet mondial sur le développement durable de Johannesburg de 2002 afin de réunir la communauté marine sur les enjeux et problématiques spécifiques aux milieux marin et côtier. Après d'autres sessions organisées en 2003, 2006 et 2008, la France a la chance d'accueillir cette cinquième édition qui réunira près de 700 participants provenant de plus de 80 pays. Il s'agit avant tout d'une enceinte informelle de discussion et de débat : il ne faut donc en attendre aucune décision précise mais de tels échanges permettent incontestablement de porter les questions marines au plus haut niveau et de préparer les prochains rendez-vous internationaux (Conférence de Nagoya d'octobre 2010 sur la biodiversité, session droit de la mer de l'Assemblée générale de l'ONU…).

Après l'échec de l'inscription du thon rouge à l'annexe 1 de la Cites, la protection de la mer et des océans peut-elle encore progresser ? Quelle est la responsabilité du consommateur en matière de chute des stocks de pêche ?

Bien sûr que la protection des océans peut encore s'améliorer, les marges de progression sont même considérables ! Il faut par exemple intensifier la lutte contre les activités illégales, de pêche notamment, subordonner davantage l'octroi de subventions accordées aux activités maritimes au respect des exigences environnementales, systématiser le recours aux études d'impacts pour le développement de nouvelles activités, combler certaines vides juridiques existant en haute mer…

Il est certain que l'épisode du thon rouge a été vécu par beaucoup comme une lourde défaite de la cause environnementale. Doit-on pour autant aujourd'hui faire porter la responsabilité de leur préservation aux seuls consommateurs ? Je ne le pense pas. S'engager à réduire ou à supprimer sa consommation de thons rouges relève d'un choix individuel. Mais comme le dit Daniel Pauly, expert mondial de la pêche, « on ne gère pas les stocks avec son estomac » et le pouvoir de réguler la pêche appartient d'abord aux États. Si l'on veut militer pour la préservation du thon rouge, il est sans doute plus efficace de faire pression auprès des autorités avant la prochaine réunion de l'Iccat en septembre prochain que de supprimer sa visite hebdomadaire chez son poissonnier.

Quelles sont les menaces pesant le plus sur les milieux marins ?

Il faut d'abord souligner le poids de la pollution tellurique qui représente 80% de la pollution du milieu marin. Rien qu'en Méditerranée, près de 60% des eaux urbaines sont rejetées en mer sans traitement préalable. C'est une pollution peu visible mais quotidienne, beaucoup moins spectaculaire que le naufrage de l'Erika mais qui constitue LA cause majeure de dégradation du milieu marin.

La mer est également menacée par la croissance exponentielle des activités maritimes traditionnelles que sont le transport et la pêche. Près de 90% du transport mondial de marchandises est assuré par voie maritime. Le transport maritime participe à la dégradation de la biodiversité marine à travers les pollutions par hydrocarbure, l'introduction d'espèces invasives par les opérations de déballastages ou encore la pollution acoustique dont les effets sur les poissons, mammifères marins et organismes invertébrés sont de mieux en mieux évalués.

Enfin, la pêche couvre tous les espaces maritimes du globe, non seulement en surface mais également « en profondeur » puisqu'un chalut peut atteindre 3.000 mètres de fond sans difficulté. 80 millions de tonnes d'espèces marines sont pêchées chaque année, contre une petite vingtaine dans les années 1930, et la FAO estime que 75% des stocks sont pleinement exploités ou surexploités. Il faut également ajouter que certaines pratiques de pêche, comme le chalutage de fond par exemple, participent également de la dégradation de la biodiversité par la destruction des écosystèmes qu'elles entraînent.

D'autres menaces sont moins connues…

L'aquaculture est l'un des secteurs de l'industrie alimentaire qui a connu la plus forte croissance ces dernières années. La production mondiale de mariculture (l'aquaculture en milieu marin) est d'environ 20 millions de tonnes aujourd'hui. Or, cette activité n'est pas sans conséquence sur le milieu : pollution de l'eau due à une trop grande concentration des poissons, contamination des poissons sauvages par les substances chimiques employés dans l'élevage…

Il faut également souligner que les océans sont doublement menacés par le changement climatique. D'abord une menace directe, puisque les océans sont victimes des modifications du climat. A titre d'exemple, l'augmentation de la température de l'eau modifie l'équilibre du milieu naturel tandis que l'augmentation de la concentration de CO2 dans l'atmosphère provoque une acidification des océans. Ensuite une autre menace, émergente cette fois, provient de certaines solutions de géo-ingénierie qui sont aujourd'hui avancées. Le captage et stockage du carbone (CSC) dans les sols et sous-sols océaniques comporte d'énormes incertitudes. D'éventuelles fuites de CO2 ne feraient qu'aggraver le phénomène d'acidification. De même, de récentes études montrent que la fertilisation des océans a des conséquences néfastes sur l'équilibre du milieu.

Enfin, la bioprospection est une activité qui devrait sans doute se développer au cours des prochaines années : il s'agit d'aller chercher des ressources marines génétiques dans les écosystèmes remarquables entre 3.000 et 4.000 mètres pour en exploiter les propriétés génétiques. Elles intéressent beaucoup le secteur industriel, pharmaceutique notamment.

Ces dégradations sont d'autant plus problématiques que nous ne connaissons que très peu la biodiversité marine : en haute mer par exemple, nous n'en avons par exemple inventorié que l'équivalent de la surface de Paris intra-muros.

N'y a-t-il pourtant pas de nombreuses organisations internationales traitant des questions de mer ?

Elles sont nombreuses en effet et le cadre international de gouvernance des océans s'en trouve inévitablement fragmenté. La FAO s'occupe de la gestion des pêches, le Pnue d'environnement, l'OMI de navigation, l'Unesco des questions scientifiques… A cette fragmentation institutionnelle s'ajoute une juxtaposition de conventions internationales applicables au milieu marin : la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (Cites), les multiples accords de pêche…

Et à ce cadre global s'ajoutent les approches régionales, elles-mêmes reflets de la fragmentation du cadre international puisque pilotées par des agences différentes. Les organisations régionales de pêche, comme la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l'Atlantique (Iccat), dépendent de la FAO tandis que les mers régionales, comme le Plan d'action pour la Méditerranée, relèvent du Pnue.

Les approches régionales comme le Plan d'action pour la Méditerranée font-elles avancer le dossier ?

Elles contribuent effectivement à la protection de la biodiversité. Le plan d'action méditerranéen, créé par la Convention de Barcelone en 1976, est par exemple la seule enceinte réunissant l'ensemble des États du bassin méditerranéen. Ce plan d'action - un parmi les dizaines similaires sur le globe - a abouti à l'adoption de plusieurs protocoles visant à la création d'aires marines protégées, à la lutte contre la pollution tellurique ou à la protection des littoraux contre une artificialisation excessive.

Certes, les systèmes régionaux comportent des lacunes importantes. L'application des outils juridiques adoptés n'est pas systématique. En matière de pêche, c'est indéniable : les organisations régionales n'ont pas aujourd'hui réussi à enrayer la chute des stocks. De même, l'approche régionale ne permet de traiter que partiellement certaines problématiques, la gestion de la haute mer par exemple, qui relèvent d'une discussion globale.

Néanmoins, l'approche régionale revêt plusieurs intérêts : elle permet de réguler de manière spécifique les menaces pesant sur un écosystème particulier et les négociations entre un nombre limité d'États s'avèrent souvent plus simples et rapides qu'à échelle globale.

Comment l'UE tire-t-elle son épingle du jeu ?

L'Union européenne a permis de renforcer considérablement la protection des écosystèmes marins et côtiers à travers les réglementations relatives à la qualité de l'eau, à la sécurité maritime, à la mise en œuvre du réseau Natura 2000… Le système européen est d'ailleurs d'autant plus efficace qu'il existe un système de sanctions en cas de non-respect des normes. Aujourd'hui, l'enjeu est de coordonner l'ensemble des activités ayant un lien avec le milieu marin afin de les soumettre aux exigences environnementales : c'est un des objectifs majeurs de la « politique maritime intégrée ».

En France, plusieurs comités opérationnels du Grenelle de la mer ont fait récemment leurs premières propositions. Peuvent-elles porter leur fruit ?

On peut tout d'abord se demander si le principe même du Grenelle était une bonne idée. C'est en tout cas un reflet des tendances actuelles que de chercher à occulter au maximum les conflits entre acteurs, pourtant intrinsèques à l'élaboration de toute politique publique. On peut par ailleurs s'interroger sur le type de décision qu'un tel processus peut engendrer : la recherche d'un compromis à tout prix peut-elle réellement aboutir à une décision ambitieuse et durable pour l'environnement ou seulement à des engagements un peu « mous », permettant seulement à chacun des acteurs en présence de ne pas quitter la salle en baissant la tête ? La décision de la FNH de suspendre sa participation aux différents groupes de travail menés par le gouvernement pose en tout cas la question.

Les rapports des comités opérationnels avancent des propositions souvent intéressantes. Il faudra néanmoins s'assurer que le passage à l'action s'effectue de manière ambitieuse. Tout le monde, des politiques aux fonctionnaires en passant les militants écologistes, se félicite par exemple de l'objectif de classer 20% de la zone économique exclusive (ZEE) en aires marines protégées d'ici 2020. En termes de conservation de la biodiversité, ce chiffre n'a pourtant aucun sens précis puisqu'il ne préjuge en rien des mesures de régulation qui seront effectivement adoptées dans ces futures espaces. Véritables sanctuaires marins ou simples coquilles vides, nul ne le sait. De plus, pour avoir un intérêt en terme de conservation, les zones en question devront être instituées dans des espaces où il existe bel et bien des enjeux de régulation. La Nouvelle-Zélande a récemment fermé 40% de sa ZEE au chalutage… principalement dans des espaces où le chalutage n'était pas pratiqué, car peu adapté dans ces zones.

Plus généralement, il faut espérer que les décisions qui seront prises permettront de résoudre les grands « points noirs » en matière de dégradation de la biodiversité marine et côtière, les pollutions d'origine agricole et l'artificialisation des sols notamment.

Réactions2 réactions à cet article

hmmmmm

Puisque les pollutions télluriques,la surpêche ,l'aquaculture et le frétage marime sont des causes de dégradations, je pense qu'il serait intelligent de mettre les acteurs des différents secteurs face a leur responsabilité... Je pense notament aux pays refusant le moratoire du thon rouge, aux collectivités territoriales,aux armateurs et aux groupes aquacoles qui devraient valider leur choix par écrit, que cette piéce reste enregistrée comme document et que dans 20 ans lors des constations des dégats ; des procés s'ouvrent..... lorsque le Japon se verra condamner internationalement pour le thon rouge, La chine pour ses pollutions,les Usa pour sa non gestion environnementale,les différentes collectivités territoriales de mediterranée mises en accusation, etc etc etc
L'europe ne s'en tirera pas mieux, mais à son corps défendant aujourd'hui on est le continent qui a le plus de recul, qui a le plus fait d'erreurs et qui commence à ouvrir un peu les yeux... Nous passons donc pour des donneurs de leçons, des freins au développement des pays tiers et surtout nous sommes, tout européens que nous sommes, la première puissance économique mondiale.....
Méditons
Donc nous européens nous sommes puissants et pouvons être acteurs de ces solutions... consommons responsable, boycottons, et au cas ou on l'oublierai notre économie européenne est auto suffisante...Chère surement mais auto suffisante...
J'aimerai bien que l'on me dise si un produit faisant vivre 3000 familles ne trouve pas de marché a cause d'une pratique faisant vivre 20 familles comment mathématiquement réagiront les différentes parties
Donc malgré ce qui vient d'être écrit dans l'article je pense que c'est le citoyen qui peut faire evoluer les choses...

jean lesbazeilles | 29 avril 2010 à 08h36 Signaler un contenu inapproprié
Qui sont ceux qui bloquent ?

Je pense que c'est aux états d'apporter des solutions pour restaurer les écosystèmes marins et mettre en place une gestion des pêches soutenable afin de maintenir les stocks de poissons et éviter l'effondrement des écosystèmes marins.
L’exploitation raisonnable des ressources planétaires n’est pas compatible avec la logique économique productiviste en cours. Il y a du laissez faire des politiques, car ceux-ci n'ont pas assez de courage pour imposer un modèle soutenable.Le système fiscal est "démodé" car basé sur un système de ressources inépuisables, avec des subventions accordées à des pratiques non durables, comme la pêche intensives. Tant que nous ne changerons pas cela, nous continuerons à détruire les écosystèmes. Il faut donc revoir la création de richesses économiques et leur partage à l’orée du bien être social et environnemental de toutes et tous. Cette destruction pourtant a un coût que les économistes essayent d’évaluer depuis des années, notamment avec le groupe de travail du TEEB* mené par Pavan Sukdhev dont les conclusions devraient être rendues à la conférence de la Convention sur la diversité biologique de Nagoya, en octobre 2010.La préservation des écosystèmes va devenir un enjeu économique fort. Espérons qu'une gouvernance écologique européenne, voire mondiale sera imposée les changements qu'il faut pour préserver la biodiversité marine (et terrestre, avec une agriculture écologiquement intensive).
Mais globalement, nous n'avançons pas...L’Europe qui devait enrayer l’érosion de la biodiversité en 2010 n’atteindra pas son objectif et, au niveau mondial, 60 % des services dus aux écosystèmes sont déjà perdus ou en déclin… Qui sont ceux qui bloquent ?

Océane | 29 avril 2010 à 17h44 Signaler un contenu inapproprié

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