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Actu-Environnement

“La fréquence des El Niño extrêmes pourrait doubler après 2050”

Avec un réchauffement de cinq degrés, si rien n'est entrepris pour limiter le changement climatique, les phénomènes El Niño extrêmes pourraient voir leur fréquence doubler à partir de 2050. Explications d'Eric Guilyardi, directeur de recherche LOCEAN-IPSL/CNRS.

Interview  |  Gouvernance  |    |  D. Laperche
   
“La fréquence des El Niño extrêmes pourrait doubler après 2050”
Eric Guilyardi
Directeur de recherche LOCEAN-IPSL/CNRS, un des experts du phénomène El Niño et de ses impacts sur le climat.
   

Actu-environnement : Comment fonctionne le phénomène El Niño ?

Eric Guilyardi : Pour comprendre El Niño, il faut s'intéresser à l'état normal dans le Pacifique car ce phénomène est une anomalie. Habituellement, dans le Pacifique tropical, des alizés soufflent d'est en ouest et poussent les eaux chaudes tropicales vers l'ouest.

Autour de l'Indonésie, nous retrouvons ce que nous appelons une piscine d'eau chaude indonésienne où les températures dépassent les 28 °C. A l'inverse, dans l'est du Pacifique, cette eau déplacée est remplacée par de l'eau qui vient des profondeurs, donc plus froide - entre 22 et 25 °C. Cette différence de température entre l'est et l'ouest engendre une différence de pression dans l'atmosphère avec des hautes pressions à l'est et des basses pressions à l'ouest. C'est cet écart de pression qui entraîne les alizés : le système s'auto-entretient. Certaines années, ce système couplé océan-atmosphère se dérègle, les alizés s'affaiblissent, la piscine d'eau chaude s'étend vers l'est et diminue la différence de température qui ralentit encore plus les alizés, les eaux chaudes reviennent encore plus à l'est : cela dure un an et c'est un phénomène El Niño.

El Niño joue des coudes et déplace les régimes normaux de circulation atmosphérique dans les tropiques. Nous observons alors des impacts dans l'Atlantique, dans l'Océan indien et sur les continents adjacents.

The El Niño of 2015-2016 - Raw, international animation

AE : Quelles sont les relations entre le changement climatique et le phénomène El Niño ?

EG : Ils sont de deux ordres. Le premier effet du réchauffement climatique est d'intensifier les impacts des précipitations intenses liées à El Niño. Le phénomène redistribue en effet les cartes entre les régions où il pleut et celles qui sont arides. Par exemple, l'Indonésie, qui normalement reçoit beaucoup de précipitations, connaît des sécheresses et des incendies pendant El Niño. Quand l'atmosphère est plus chaude - du fait du réchauffement climatique - les précipitations sont plus intenses puisque l'atmosphère contient plus d'humidité.

Le second aspect concerne les modifications du phénomène lui-même : son intensité, sa fréquence et ses caractéristiques générales. Si nous prenons la moyenne des projections d'El Niño, nous ne constatons pas de changement dans le futur. Par contre, si nous nous intéressons aux événements extrêmes d'El Niño, comme ceux de 1982-1983, 1997-1998 et le dernier de 2015-2016, où l'anomalie de température atteint l'extrême Est du Pacifique, dans le scénario du laisser faire, du "business as usual", après 2050 nous arrivons à un doublement de la fréquence de ces El Niño extrêmes, soit un tous les quinze ans.

AE : Avez-vous réalisé des simulations qui suivent les engagements pris pendant la COP21 et savez-vous à partir de combien de degrés d'augmentation, le changement climatique aura un impact sur le phénomène El Niño ?

EG : Si nous arrivons à limiter le réchauffement à 2°C (1) , il ne devrait pas y avoir de changement de l'occurrence des El Niño extrêmes. Ensuite, il est difficile de donner un seuil précis. Si nous nous basons sur le moment à partir duquel émergent les modifications dans le scénario élevé, cela devrait être d'environ trois degrés, ce qui correspond aux engagements actuels des pays, engagements qui sont donc insuffisants car trop proches de ce seuil.

AE : Le phénomène El Niño risque-t-il d'être moins prévisible à l'avenir avec le changement climatique ?

EG : Nous n'avons pas d'éléments pour dire que le phénomène El Niño serait moins prévisible dans le futur. Aujourd'hui, nous arrivons à prévoir les événements six à neuf mois à l'avance et prévenir les populations concernées. C'est un progrès comparé à l'événement de 97-98 : les centres de prévisions avaient bien anticipé l'événement mais l'information n'était pas parvenue dans tous les pays concernés. Depuis, une chaîne s'est mise en place pour établir de véritables services climatiques, similaires aux services météorologiques, pour que les pays puissent s'organiser plusieurs mois à l'avance. Ainsi, le Pérou est en état d'alerte depuis l'été dernier, pour prévenir les impacts attendus cet hiver : des inondations là où il pleut normalement peu. Sans les remontées d'eaux froides qui apportent les nutriments aux poissons, les pêcheurs péruviens ne pêchent plus pendant El Niño et la filière doit se réorganiser durant cette période. Le savoir à l'avance limite les impacts sociétaux même si nous ne pouvons pas empêcher les impacts météorologiques.

En Indonésie, avec El Niño, la pluie s'arrête causant une réduction de moitié de la production agricole de riz. Acheter du riz sur les marchés au dernier moment fait monter les cours et les déstabilise fortement. En anticipant, l'Indonésie peut constituer des stocks de riz à l'avance et à un coût moindre.

Nous travaillons à pouvoir prévoir l'arrivée d'El Niño un an à l'avance pour que les agriculteurs puissent savoir quoi planter en adaptant leur culture à des sécheresses ou inondations.

AE : Quels sont les obstacles à cette prévision ?

EG : Les obstacles sont de plusieurs ordres. Tout d'abord, il faut améliorer les systèmes de prévisions : disposer de réseaux d'observations de l'océan, de l'atmosphère, encore plus précis mais également améliorer les modèles pour réaliser ces prévisions. Nous y travaillons.

Ensuite, il y a également une limite naturelle à la prévisibilité : de la même façon que nous ne pouvons pas prévoir la météo au delà d'une dizaine de jours, il existe des mécanismes qui limitent la capacité à prévoir. Par exemple, avant le printemps, les prévisions d'El Niño sont beaucoup moins fiables qu'après. Nous essayons de mieux comprendre les limites de cette prévisibilité.

AE : Le phénomène pourrait-il avoir des répercussions au niveau européen ?

EG : Au niveau météorologique, il existe peu de lien entre El Niño et l'Europe… Peut-être une fin d'hiver plus sèche et plus froide mais la relation n'est pas très robuste. L'impact est davantage économique, avec dans les pays directement affectés, des conséquences sur le cours des denrées alimentaires. En 2002, le phénomène El Niño, qui n'était pas spécialement fort, a affecté la mousson et a coûté 3% de son PIB à l'Inde.

Il y a une diversité d'événements El Niño, qu'ils soient extrêmes ou pas, et leurs impacts sont également différents d'un El Niño à l'autre.

1. Lire notre dossier spécial COP21
https://www.actu-environnement.com/cop21/

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