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AccueilGabriel UllmannDroit de l'environnementLe Conseil d'Etat et l'environnement : un droit à géométrie variable

Le Conseil d'Etat et l'environnement : un droit à géométrie variable

En analysant les décisions récentes du Conseil d'Etat, Gabriel Ullmann, Docteur en droit, met en évidence la volonté manifeste du Conseil d'assurer coûte que coûte la sécurité juridique des autorisations, notamment pour les installations classées.

Publié le 13/02/2017
Environnement & Technique N°368
Cet article a été publié dans Environnement & Technique N°368
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Le Conseil d'Etat n'a de cesse de faire évoluer sa jurisprudence, et ce faisant la législation, dans les sens de la sécurité juridique… des seules autorisations administratives. Son parti pris en l'espèce est manifeste, comme l'énonce sans ambages le vice-président du Conseil : il s'agit avant tout d'assurer "la prédominance contemporaine de sécurité juridique". Il en résulte que le juge doit prendre, au pis, des "mesures alternatives de régularisation" en lieu et place de l'annulation1. Ce pré-jugement de principe témoigne, à lui seul, de l'esprit du Conseil.

Bien qu'énoncé publiquement, ce principe reste occulte, car aucune décision ne s'en réfère expressément, faute de fondement juridique, mais il est largement mis en application. Et parfois même à l'encontre des principes qui fondent, quant à eux, la Charte constitutionnelle, comme à l'encontre de droits fondamentaux régis par des conventions (convention d'Aarhus, etc.). Le champ des installations classées va nous servir d'illustration. De nombreux exemples auraient pu être pris dans bien d'autres domaines, comme celui du nucléaire, où aucun recours ne trouve grâce aux yeux du Conseil, y compris lorsque l'obligation de la saisine préalable de l'Autorité environnementale n'a pas été respectée (arrêt Roozen2). Ou bien celui des grandes infrastructures3.

Le cas démonstratif des installations classées pour la protection de … l'environnement

Le Conseil d'Etat élargit sans cesse le champ d'intervention du juge administratif, pour considérer que le juge du plein contentieux peut prendre notamment en compte, à la date à laquelle il statue, la régularisation du dossier de demande d'autorisation qui avait été affecté par des irrégularités, "sous réserve qu'elles n'aient pas eu pour effet de nuire à l'information complète du public4".

Ainsi, à l'occasion de l'affaire Sietom de la région de Tournan-en-Brie portant sur une unité de compostage de déchets ménagers, le Conseil renforce les pouvoirs dévolus au juge administratif, en énonçant que lorsqu'il prononce l'annulation d'une décision d'autorisation d'exploiter une installation classée "le juge de pleine juridiction a toujours la faculté, au titre de son office, d'autoriser lui-même, à titre provisoire, et le cas échéant sous réserve de prescriptions et pour un délai qu'il détermine, la poursuite de l'exploitation de l'installation en cause, dans l'attente de la régularisation de sa situation par l'exploitant5". Mais surtout, ce qui est nouveau, il juge que les obligations relatives au contenu du dossier de demande, notamment en ce qui concerne sa complétude, relèvent désormais des règles de procédures, et non plus des règles de fond comme l'avait jusqu'alors établi la jurisprudence, certes hésitante, mais globalement en faveur de cette dernière analyse6.

La révision de cette jurisprudence, dans le sens de l'exploitant, en devient peu cohérente et d'une impartialité qui questionne. En effet, placé dans cette situation, le juge du plein contentieux apprécie le respect des règles de procédure au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date de délivrance de l'autorisation, contrairement aux règles de fond (appréciation à la date à laquelle il se prononce). Or, si le Conseil d'Etat juge que les règles qui régissent la composition du dossier relèvent dorénavant des règles de procédure, dans le même temps il ne se prive pas d'apprécier la complétude et la régularité du dossier, non pas à la date de l'octroi de l'autorisation, comme il le devrait, mais bien à la date à laquelle il statue. Ce tour de passe-passe lui permet ainsi de tenir compte des régularisations intervenues postérieurement à l'autorisation, sans considérer que cela nuit à la complète information du public, qui n'a pourtant pas eu connaissance de ces nouveaux éléments, compte-tenu de leur caractère devenu purement formel… puisqu'ils relèvent désormais de simples règles de procédure.

Cette construction jurisprudentielle amplifie la prééminence de la régularisation sur l'annulation, y compris jusqu'au jour où le juge se prononce. C'est pourquoi le Gouvernement n'a eu de cesse, dans le sillage du Conseil, de légiférer dans le sens des procédures de plein contentieux7 (autorisations uniques ICPE et IOTA, puis autorisation environnementale, etc.). Cette jurisprudence déprécie l'importance du dossier de demande, notamment l'étude d'impact, tout comme – indirectement – l'avis de l'Autorité environnementale, en les confinant à de simples règles de procédure et non plus à des règles de fond (notamment au regard de la bonne prise en compte du milieu naturel et humain).

L'interprétation du droit au service des exploitants

En moins d'un an, en cassant deux arrêts de cour, le Conseil d'Etat a construit un nouveau cadre de l'opposabilité des documents d'urbanisme aux autorisations d'exploiter, taillé sur mesure pour les exploitants, et ce quelle que soit l'évolution de ces documents. Ainsi, dans un premier temps, par arrêt n° 367901 du 22 février 2016, en se fondant sur l'article L.123-5 du code de l'urbanisme8, et après en avoir déduit que le PLU est "opposable aux seules autorisations d'ouverture d'installations classées accordées postérieurement à l'adoption du plan", le Conseil interprète l'intention du législateur. Ainsi, il juge que si postérieurement à la délivrance de l'autorisation, "les prescriptions du plan évoluent dans le sens défavorable au projet, elles ne sont pas opposables à l'arrêté autorisant l'exploitation de l'installation". Or, il résulte de l'article précité que si l'autorisation de l'installation est antérieure à l'évolution du plan, les nouvelles prescriptions de ce dernier ne lui sont pas opposables dans tous les cas, qu'elles évoluent dans un sens défavorable ou favorable. La disposition législative précitée ne permet donc pas une modification du plan en vue de régulariser la situation d'une installation déjà autorisée. D'autant plus qu'en vertu de l'article L. 514-6 du code de l'environnement, auquel le Conseil prend bien garde de ne pas se référer, "par exception [aux règles du contentieux de pleine juridiction], la compatibilité d'une installation classée avec les dispositions (…) d'un PLU est appréciée à la date de l'autorisation".

Dans un deuxième temps, par arrêt n° 391452 du 16 décembre 2016, le Conseil réinterprète l'article précité du code de l'urbanisme sans plus, cette fois, retenir l'exigence qu'il venait de rappeler précédemment, à savoir que le PLU est "opposable aux seules autorisations d'ouverture d'installations classées accordées postérieurement à l'adoption du plan". Cela, dans le but de faciliter toute régularisation ultérieure. S'il reconnaît, dans un autre considérant qu'il appartient au juge du plein contentieux des installations classées de "se prononcer sur la légalité de l'autorisation au regard des règles d'urbanisme légalement applicables à la date de sa délivrance", en contradiction avec l'article susvisé du code de l'environnement il n'hésite pas à juger autrement. Ainsi, il considère pour autant, de façon prétorienne, que "eu égard à son office", la méconnaissance par l'autorisation des règles d'urbanisme en vigueur à cette date ne fait pas obstacle à ce que "le juge constate que, à la date à laquelle il statue, la décision a été régularisée par une modification ultérieure de ces règles". Il résulte de ce principe ainsi posé, que toute évolution du document d'urbanisme favorable à l'exploitant, permettant la régularisation de sa situation, s'applique à l'installation.

La combinaison de ces décisions jurisprudentielles autorise tous les cas de figure au bénéfice de l'autorisation accordée et donc des exploitants. En présence de projets, le Conseil d'Etat s'inscrit désormais parfaitement dans le sens de la mission d'Etat qu'il s'est donnée : "Sauver le soldat Autorisation".

Avis d'expert proposé par Gabriel Ullmann, Docteur en droit et expert judiciaire spécialisé en environnement

1 J.-M. Sauvé, Bilan d'activités 2014, Conseil d'État, 2015, introduction, p. 6. Résumé éclairant de la position du Conseil, à l'appui de l'arrêt Département du Tarn-et-Garonne (CE, 4 avril 2014, n° 358994) qui consacre la priorité donnée à la sécurité juridique (ici dans le but de préserver la stabilité des contrats administratifs). Les décisions en ce sens se sont multipliées depuis lors. Pour de plus amples détails et exemples, voir G. Ullmann : « Le Conseil d'Etat, fossoyeur des droits des tiers et de l'environnement ? », Revue juridique de l'environnement, 1/2017, p. 47 à 65
2 CE, 1er mars 2013, Sté Roozen et autres, n° 340859, 340957 et 353009.
3 Voir notamment au sujet du projet Lyon-Turin : S. Charbonneau, La justice du Conseil d'État ? Toujours du côté des bétonneurs, Reporterre, 21 mars 2016. Dans ce cadre, la décision du Conseil annulant le décret de DUP relatif à la ligne grande vitesse Limoges-Poitiers, fait figure d'exception contraire (CE, 15 avril 2016, Fédération nationale des associations des usagers des transports, n° 387475, 388441, 388591, 388628, 388629, 388656, 390519 et 391332). Relevons toutefois que cette décision se fonde essentiellement sur l'insuffisance de l'évaluation économique et sociale et sur l'adoption immédiate du décret qui porterait ainsi une atteinte très importante aux droits des propriétaires des terrains dont la déclaration d'utilité publique autorisait l'expropriation, alors même que l'engagement des travaux n'était envisagé qu'à un horizon lointain, entre 2030 et 2050. Les lourds impacts environnementaux et agricoles n'ont pas servi de fondement à l'annulation. Au contraire, le Conseil relève que le projet réduirait les pollutions et nuisances liées à la circulation routière, du fait du report modal attendu, mais sans tenir compte, dans le sens contraire, des conséquences sur l'augmentation du trafic routier induit par la dégradation de la desserte des territoires situés entre Orléans et Limoges, qu'il souligne par ailleurs.
4 Laquelle peut être diversement interprétée et facilement contournée, ce que ne se prive pas de faire le Conseil d'Etat.
5 CE, 22 septembre 2014, SIETOM de la région de Tournan-en-Brie, n° 367889.
6 Le rapporteur public Xavier de Lesquen rappelait ainsi, un an auparavant, que la jurisprudence du Conseil d'État soutenait habituellement l'analyse contraire, selon laquelle le caractère complet du dossier soumis par le pétitionnaire ne relève pas de la procédure suivie par l'autorité administrative, mais des règles de fond qui s'imposent à elles, in X. de Lesquen, Concl. sur CE, 15 mai 2013, Sté ARF, BDEI, n° 46, juill. 2013, p. 31.
7 Dans un sens encore plus large, c'était le sens de la proposition de loi déposée au Sénat en juillet 2013, qui prévoyait de réformer le Code de justice administrative selon le principe général en vertu duquel : Les recours contre les décisions individuelles relèvent du plein contentieux (Hélène Lipietz, Prop. L. Sénat n° 806).
8 Le règlement et les documents graphiques du PLU sont opposables à toute personne publique ou privée (…) pour (…) l'ouverture des installations classées appartenant à la catégorie déterminée dans le plan. Article devenu L. 152- 1.

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3 Commentaires

Sirius

Le 14/02/2017 à 9h49

Même celui qui ignore le Droit constate que le C E donne systématiquement raison aux destructeurs de la nature et des paysages .
Il serait urgent d'en revoir la composition .

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Créon

Le 14/02/2017 à 16h50

Il faut au contraire se féliciter de la sage jurisprudence du Conseil d'Etat, qui poursuit des buts très explicites, contrairement à ce qui est dit, et qui sont aussi d'intérêt public. C'est évidemment un progrès de faire prédominer la sécurité juridique sur la faciliter à faire tomber des autorisations. Et il est heureux que le législateur aille dans le même sens notamment en racourcissant les délais de recours. La France est le seul pays européen où les recours sont si aisés et la juridiction administrative si efficace. Le contentieux est l'un des principaux problèmes de compétitivité pour l'industrie du renouvelable.

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Albatros

Le 16/02/2017 à 13h59

J'ai une propension à me méfier des "experts" qui ont la manie de systématiquement se donner le rôle de "chevaliers blancs" face à des institutions forcément corrompues (par ces s****ds d'exploitants, évidemment).
Je me demande quelle revanche contre lesdits s****ds ce monsieur aurait à prendre...

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