Huit semaines après la catastrophe de Fukushima, près de 300 personnes se sont rassemblées à l'Assemblée nationale les 5 et 6 mai pour le second séminaire international consacré à la gestion post-accident nucléaire organisé par l'ASN. Pour l'OPECST, la première matinée fut l'occasion de procéder à des auditions dans le cadre de l'étude dont il a été saisi après cette catastrophe, portant sur la sécurité nucléaire, la place de la filière et son avenir, et confiée aux rapporteurs attitrés Christian Bataille et Bruno Sido.
Une doctrine du post-accident nucléaire en co-construction
« Fukushima, c'est un rappel brutal de la vulnérabilité associée aux INB [ndlr : installation nucléaire de base, par opposition à une installation nucléaire mobile], une constante », a déclaré Jean-Claude Delalonde, président de l'ANCCLI. Parmi les participants au séminaire se trouvaient les quelques 250 personnes engagées dans la co-construction de la doctrine relative aux conséquences d'un accident nucléaire ou radiologique en France, dont un quart ne relève pas du personnel administratif. Une mission du Comité directeur post-accidentel (Codir-PA) confiée à l'ASN (directive de 2005).
Etaient aussi présents des experts internationaux venus présenter une peer-review des travaux, notamment du guide de sortie de la phase d'urgence (1) dont la publication est prévue pour la fin de l'année. Une vue complète à la fois globale et dans le détail, l'éloignement des chiens et chats pas même oublié, un travail impressionnant en espérant qu'il soit superflu.... qui place la France en tête du peloton dans la gestion du post-accidentel nucléaire ! « Maintenant qu'on sait que ça peut arriver dans un pays civilisé comme le Japon, nul ne peut garantir qu'il n'y aura jamais d'accident nucléaire en France », a souligné André-Claude Lacoste, président de l'ASN et du CodirPA.
En France, pays centralisateur, l'enjeu majeur du CodirPA est de faire en sorte que ce guide de sortie de la phase d'urgence soit repris et expérimenté au niveau local (seules 3 tentatives pour l'instant). Et ce, notamment en intégrant les éléments de la doctrine dans les plans particuliers d'intervention (PPI, qui sont les déclinaisons départementales du plan ORSEC), et mieux encore dans les Plans communaux de sauvegarde (PCS). En tous cas dans ceux déjà mis en place... Sachant qu'en phase post-accident nucléaire, la responsabilité pénale vis à vis des administrés incombera aux maires.
Selon Jean-Paul Samain, président du GPRAD, le comité d'experts de l'ASN, « Le résultat du CodirPA constitue un squelette bien robuste, qui devra être habillé d'une chair bien consistante par les collectivités locales ». Pour Jean-Claude Autret de l'Association pour le contrôle de la radioactivité dans l'ouest (Acro), « Il faut alimenter ce squelette sans l'engraisser, tout en sachant qu'en cas d'accident nucléaire, le champ de la responsabilité devient planétaire ». Cet homme connaît bien les territoires contaminés de Biélorussie, comme beaucoup des participants à ce séminaire, et n'oublie pas ses amis lapons qui ne peuvent plus manger les rênes qu'ils élèvent dans le nord de la Norvège, pays d'Europe le plus touché par la catastrophe de Tchernobyl.
Les acquis de ce séminaire
De ce séminaire peuvent être retenus deux acquis : le zonage, permettant de prendre des mesures de protection de la population, et la mise en place de centres d'accueil et d'information (CAI) de la population. « Fukushima a montré que le zonage doit être rapidement mis en place pour tenir compte des mesures alimentaires sans en rajouter trop pour la population », a souligné Bruno Cessac de l'IRSN.
Qualifié de « colonne vertébrale » de ce squelette, le zonage serait établi selon la modélisation prédictive des doses prévisionnelles susceptibles d'être reçues par la population. Celles-ci seraient réalisées par l'IRSN, mais aussi par le CEA, puis renforcées par différentes mesures de radioactivité dans l'environnement. Tout en sachant que le lien entre ces mesures et les doses reçues par la population n'est pas évident, l'explication complexe...
En phase post-accident nucléaire, le territoire touché serait séparé en Zone d'éloignement (ZE) de la population, en Zone de protection de la population (ZPP) à vocation sanitaire avec interdiction de commercialiser les produits agricoles et une production de déchets en volumes conséquents (produits agricoles non commercialisables, produits de la décontamination, déchets verts...).
Les CAI seraient installés dans cette ZPP, avec une division de l'espace en sous-ensemble (informations sanitaires, anthroporadiamétrie, informations techniques, bureau d'aide d'urgence de d'indemnisation...). La catastrophe de Xynthia semble avoir servi de modèle de réflexion sur ce point.
Enfin, une dernière Zone de surveillance renforcée des territoires (ZST), avec surveillance de la radioactivité dans l'environnement et arrêtés d'interdiction de circuler en forêt, de cueillette, de récolte... ou encore de restriction de consommation d'eau potable, même si parfois les cours d'eau s'écoulent en déplaçant la radioactivité « hors de la zone ». Avec aussi la définition de denrées alimentaires et non. La distinction entre les unes et les autres pourrait reposer sur les Normes du maximum admissible (NMA) définies par le Codex Alimentarius, ou des valeurs moindres. En Suisse, les valeurs retenues ne représentent que 10% des NMA, considérant qu'elles sont établies comme en période de pénurie alimentaire...
En ce qui concerne la définition de déchets contaminés, certains préconisent l'établissement d'un « seuil de libération », tandis que d'autres soulignent qu'il faudra rehausser le seuil des portiques de contrôle de la radioactivité à l'entrée des décharges...
La catastrophe de Fukushima a montré que ce zonage est évolutif et complexe à mettre en place. Après l'évacuation des populations dans un rayon de 20 km autour de la centrale, le zonage a été redéfini avec des zones libres, de surveillance et de restriction. Les restrictions d'eau du robinet et de certaines denrées alimentaires (notamment le lait) ont été difficiles à faire admettre. « D'autant qu'à chaque ingestion, la dose reçue varie, même s'il s'agit d'un aliment de même nature... », a précisé un représentant japonais présent au séminaire.
Ce qui reste à faire
Sachant que la gestion du plan d'action découle inévitablement de la gestion en phase d'urgence, André-Claude Lacoste a averti : « On ne peut se préparer à une gestion de crise comme celle que vit Fukushima si les responsabilités de l'exploitant et du constructeur ne sont pas assumées ». En conclusion, il a souligné le besoin, maintenant, « de vérifier la robustesse du CodirPA en envisageant des scénarios différents, dont celui avec des rejets à vie longue ».
En effet, pour l'instant, le CodirPA repose sur trois catégories d'accidents (rupture des tubes d'un générateur de vapeur, accident dans la cuve d'un réacteur ou de transport de plutonium) sur une seule unité, et des rejets courts (24h). Tandis que la centrale de Fukushima, encore en situation instable aujourd'hui, montre que l'accident majeur peut concerner plusieurs réacteurs à la fois, même des piscines d'entreposage du combustible usé, provoquer des rejets pendant longtemps, ou encore impacter l'océan.
Si le CodirPA s'est beaucoup inspiré du retour d'expérience de la catastrophe de Tchernobyl, il faudra attendre des années avant de pouvoir y intégrer pleinement celui de Fukushima. En attendant, un groupe de travail planche déjà sur des lignes directrices de la gestion post-accident sur le très long terme, sur toutes ces années qui suivront la phase de transition.