C'est une première en France. Une plainte sur le fondement du délit d'obsolescence programmée vient d'être déposée auprès du procureur de la république de Nanterre. L'association Halte à l'obsolescence programmée (HOP) s'attaque aux fabricants d'imprimantes. Par cette première action judiciaire sur ce fondement, associé à celui de tromperie, HOP met en cause les pratiques des fabricants d'imprimantes qui visent à raccourcir délibérément la durée de vie de leurs produits. Les marques HP, Canon, Brother et en particulier Epson sont citées dans la plainte. "Les imprimantes prêtes à jeter sont symptomatiques d'un modèle consumériste que nous dénonçons, mais cela concerne tous les secteurs, des collants aux machines à laver", déclare Laetitia Vasseur, co-fondatrice et déléguée générale de HOP.
L'association mise sur le bon sens de la justice
L'association est donc la première à utiliser le tout jeune délit d'obsolescence programmée créé par la loi pour la transition énergétique de 2015. Depuis ce texte, l'article L. 441-2 du Code de la consommation dispose qu'"est interdite la pratique de l'obsolescence programmée qui se définit par le recours à des techniques par lesquelles le responsable de la mise sur le marché d'un produit vise à en réduire délibérément la durée de vie pour en augmenter le taux de remplacement". Ce délit est puni d'une peine de deux ans d'emprisonnement et d'une amende de 300.000 euros qui pourra être portée jusqu'à 5% du chiffre d'affaires.
Mais l'un des principaux obstacles à la caractérisation de ce délit réside dans la difficulté à apporter la preuve d'une intention délibérée de la part du metteur sur le marché. Le délit d'obsolescence programmée nécessite en effet que soient caractérisés non seulement l'intention délictuelle - "réduction délibérée de la durée de vie du produit" - mais aussi le mobile ou le résultat espéré - "augmenter le taux de remplacement" -. Mais l'association reste confiante : "Il est possible que, dans la pratique, les juridictions répressives estiment, comme elles l'ont déjà fait pour d'autres infractions, que le mobile puisse être valablement déduit de la seule réduction délibérée par le metteur sur le marché de la durée de vie de ses produits, augmentant ainsi légitimement l'effectivité souhaitée de la répression. En effet, existerait-il une raison autre que l'augmentation des ventes susceptible de justifier une telle démarche ?", relève-t-elle.
Les arguments sont prêts
Pour étayer sa plainte, l'association a réalisé une enquête sur ce secteur souvent cité dans les débats sur l'obsolescence programmée. Et pour cause. Certains constructeurs se sont déjà frottés à la justice. En mars 2016, HP met à jour le firmware de ses imprimantes qui rend inutilisables les cartouches d'autres marques ou reconditionnées. Certaines plaintes des consommateurs ont donné lieu à des actions de groupes dans les Etats d'Alabama et de Caroline du Nord aux Etats-Unis, puis au Canada. L'affaire est encore en cours mais les juges pourraient se calquer sur la position de la Cour suprême des Etats-Unis qui a condamné Lexmark en octobre 2016 pour des faits similaires.
En France, l'association HOP met en évidence "des éléments particulièrement problématiques" qui pourraient être vus par le juge comme des pratiques d'obsolescence programmée. Elle cite l'affichage d'un témoin "réservoir d'encre usagée plein" ou "absorbeur d'encre plein" alors qu'après démontage de l'imprimante, il s'avère que ce n'est pas le cas. Elle s'interroge également sur la gestion des cartouches ou de l'encre : "après un certain nombre de copies, une puce fixée sur les cartouches désactive leur fonctionnement, empêchant toute nouvelle impression. Il s'agirait d'un témoin indiquant que les cartouches sont vides. Or, il resterait entre 20% et 30% d'encre", explique-t-elle. Enfin, une étude comparative démontrerait que le nettoyage des têtes d'impression consomme plus d'encre chez certaines marques que chez d'autres avec, pour conséquence, le remplacement plus fréquent des cartouches.
"Notre enquête révèle que les pratiques dénoncées touchent l'ensemble des fabricants. Il appartient désormais au Procureur et à la justice de s'en assurer via notamment des expertises judiciaires. Ces faits pourraient aussi révéler une entente illégale entre les fabricants d'imprimante. C'est pourquoi nous avons également informé l'Autorité de la concurrence. Des millions de français propriétaires d'imprimantes pourraient être lésés", déclare Emile Meunier, avocat de l'association qui envisage dès à présent de se porter partie civile directement auprès du juge d'instruction dans l'hypothèse où le procureur décide d'abandonner les poursuites. Un appel aux dons sur la plateforme de financement participatif GoFundMe a été lancé pour financer la procédure.