La procédure de la transaction pénale, qui permet de punir un contrevenant sans qu'il soit déféré devant une juridiction pénale, existait en matière d'eau, de pêche en eau douce et d'infractions commises dans les parcs nationaux.
L'ordonnance du 11 janvier 2012, qui entre en vigueur le 1er juillet prochain et dont on attend encore un décret d'application prévoit d'étendre cette possibilité à l'ensemble des infractions commises dans le domaine de l'environnement, y compris donc en matière de police des déchets et des installations classées (ICPE). Certains spécialistes redoutent les effets négatifs de ce texte sur l'effectivité du droit pénal de l'environnement, que Dominique Guihal, conseillère à la cour d'appel de Paris, qualifie pourtant aujourd'hui d'"échec global", si on laisse de côté les succès obtenus en matière de pollution par les hydrocarbures.
Transiger avec les personnes physiques ou morales
Le principe est le suivant. "L'autorité administrative peut, tant que l'action publique n'a pas été mise en mouvement, transiger avec les personnes physiques et les personnes morales sur la poursuite des contraventions et délits prévus et réprimés par le présent code", prévoit l'article L. 173-12-1 du code de l'environnement intégré par l'ordonnance.
La transaction, qui est proposée par l'Administration, doit être acceptée par l'auteur de l'infraction et homologuée par le procureur de la République. A défaut, c'est la procédure pénale classique qui sera appliquée. Le texte prévoit d'ailleurs que l'acte par lequel le procureur accepte la proposition de transaction interrompt la prescription de l'action publique. Et que cette dernière n'est éteinte que lorsque le contrevenant a "exécuté dans les délais impartis l'intégralité des obligations résultant pour lui de l'acceptation de la transaction".
"Autorité administrative"
"Mais qui va transiger ?", interroge François-Guy Trébulle, professeur à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne pointant le terme d'"autorité administrative". "Il peut y avoir des difficultés de mise en œuvre, confirme Dominique Guihal. Si l'autorité compétente pour transiger est l'Etat, cela ne devrait pas poser de problème, mais s'il s'agit de l'exécutif d'un établissement public ou d'une collectivité territoriale ?". La compétence devrait alors être prévue par un texte de valeur législative, estime la magistrate.
"Les procureurs sont-ils à même de porter un jugement technique fondé sur les propositions de transaction de l'Administration ?", demande en outre le professeur de droit. D'autant, que l'autorité administrative ne sait pas faire de transaction pénale, estime Michel Thénault, conseiller d'Etat. "Le dialogue entre l'autorité administrative et les parquets est assez peu suivi", ajoute l'ancien préfet de région.
Et il risque de ne pas se renforcer, surenchérit Dominique Guihal, pour qui l'Administration ne va pas "se compliquer la tâche" avec une procédure transactionnelle, compte tenu de la "surabondance des moyens de coercitions" de nature administrative prévus par l'ordonnance et de la relative "imprévisibilité de l'institution judiciaire" pour l'autorité administrative.
Infractions les plus graves
La possibilité de transaction "n'est pas applicable aux contraventions des quatre premières classes pour lesquelles l'action publique est éteinte par le paiement d'une amende forfaitaire", précise le code de l'environnement. Ce sont donc les infractions les plus graves, délits et contraventions de 5e classe, qui vont être concernées.
Ce qui peut poser question car l'amende transactionnelle ne peut excéder le tiers du montant de l'amende encourue. Certes, il peut "le cas échéant" être ajouté des obligations pour faire cesser l'infraction, éviter son renouvellement, réparer le dommage ou remettre les lieux en conformité. Mais des peines complémentaires auraient pu également être prononcées en cas de condamnation par une juridiction pénale.
Le Conseil d'Etat avait d'ailleurs émis un avis défavorable sur le projet d'ordonnance en raison de la généralisation de la transaction pénale sur des infractions potentiellement très graves. "On peut également s'interroger sur la conformité du texte à la directive de 2008 relative à la protection de l'environnement par le droit pénal qui prévoit des sanctions effectives, proportionnées et dissuasives", ajoute Frédéric Tiberghien, membre du Conseil. "Comment dissuader si les sanctions ne sont pas rendues publiques ?", interroge-t-il, rejoint par François-Guy Trébulle qui évoque les risques d'"opacité" de la procédure, d'absence de garanties d'examen contradictoire par une juridiction et de caractérisation de la récidive.
"Pas de transaction en cas d'intentionnalité flagrante"
L'ordonnance prévoit pourtant que "la proposition de transaction est déterminée en fonction des circonstances et de la gravité de l'infraction, de la personnalité de son auteur ainsi que de ses ressources et de ses charges".
Mais comment apprécier "les ressources et les charges du contrevenant ?", se demande le professeur de droit, évoquant un risque de chantage à l'emploi en cas de difficultés financières de ce dernier, qui pourrait confronter l'autorité administrative à des "cas de conscience".
En tout état de cause, "il ne faut pas proposer de transaction en cas d'intentionnalité flagrante", estime Alexis Delaunay, directeur du contrôle des usages et de l'action territoriale à l'Onema. Cette procédure n'est bien utilisée qu'en cas de négligence, ajoute-t-il.
Et de citer l'exemple du canal de Gignac où son utilisation a abouti un résultat gagnant/gagnant : une association syndicale autorisée qui, ne respectant pas le débit réservé de l'Hérault, engage des travaux de modernisation de son réseau privilégiant une irrigation par goutteurs moins consommatrice d'eau plutôt que par submersion. Avec, au final, l'amélioration de l'état écologique du fleuve.