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Actu-Environnement

“Passer de la logique de propriété à celle d'usage permet de diminuer drastiquement le coût de la mobilité”

Engagé dans une expérimentation originale de solution de mobilité, le Territoire de Belfort fait le pari d'optimiser le maillage multimodal de transports en commun afin d'offrir une alternative complète à l'automobile sans recours au tramway.

Interview  |  Transport  |    |  A. Sinaï
   
“Passer de la logique de propriété à celle d'usage permet de diminuer drastiquement le coût de la mobilité”
Christian Proust
Président du Syndicat mixte des transports en commun du Territoire de Belfort
   

Actu Environnement : Quelle est l'origine de ce changement d'approche sur la mobilité ?

Christian Proust : Ce n'est pas une pensée théorique, c'est une pensée pragmatique. Le Grenelle de l'Environnement suppose de réaliser 1.500 kilomètres de lignes nouvelles de tramways ou de bus protégées venant s'ajouter aux 329 existantes dans les 10 ans. Cet objectif de report modal équivaut à 18 milliards de kilomètres parcourus par les usagers. Avec, sur la France entière, une distance moyenne de 6 kilomètres par voyage dans les transports en commun, il faut, pour atteindre l'objectif du Grenelle de l'Environnement, générer près de trois milliards de voyages supplémentaires en transports alternatifs à la voiture par an. Mais trois milliards de voyages supplémentaires, c'est plus de six fois le total des voyages effectués sur l'ensemble des tramways existants en 2009. Il suffit de multiplier par 6,3 la longueur des réseaux actuels pour avoir une idée du problème. C'est près de 2500 kilomètres de lignes supplémentaires de tramway qu'il faudrait financer et non pas 1500. A 24 millions d'euros le kilomètre, cela revient à 60 milliards d'euros : c'est radicalement infaisable. Soit les objectifs du Grenelle de l'environnement sont impossibles à tenir, soit il faut changer complètement d'approche.

AE : Dans le Livre blanc sur les transports publics (1) , vous évoquez deux ruptures. Quelles sont-elles ?

CP : Nous proposons d'aborder les transports non pas par le biais de l'infrastructure, mais du point de vue des besoins de l'usager. La première des ruptures, c'est de ne pas confondre la fréquence avec la qualité du véhicule. Toutes les études, dont celles du CERTU (le centre d'études sur les réseaux, les transports, l'urbanisme et les constructions publiques), montrent que 60% des déplacements dans les grandes agglomérations font moins de trois kilomètres et durent 7 à 8 minutes. Si le client n'a pas accès à une fréquence très forte, il prend un autre moyen de transport. La première rupture, c'est de raisonner en termes de fréquence, et celle-ci n'est pas inhérente au tramway. La deuxième rupture, c'est l'approche matricielle. Ma conviction, c'est que dans une agglomération, les déplacements sont à 360° : cela tient plus du mouvement brownien des particules, c'est-à-dire d'une agitation désordonnée, que d'un mouvement du centre vers la périphérie. L'efficacité d'un réseau, c'est l'efficacité de la matrice, et non pas un réseau sur deux ou trois lignes. L'approche tramway est réductrice car elle conduit à concentrer sur une, deux ou trois lignes l'offre de transports de haut niveau, mais il y a peu de chance que cette offre couvre l'origine et la destination des usagers : il peut y avoir soit l'origine soit la destination. L'approche matricielle est statistique, elle part du point de vue du client en essayant de comprendre ce que sont les déplacements sur une ville. La plupart des élus, et mon ami Jean-Pierre Chevènement lui-même, ancien maire de Belfort, avaient du mal à me croire quand j'affirmais que seuls 20% des déplacements se faisaient vers le centre de l'agglomération. Souvent les structures de ville sont concentriques, donc on passe par le centre, mais l'excès de circulation dans les centres tient plus à l'organisation de la voirie qu'à la réalité des déplacements sur une agglomération. Attaquer seulement le marché centre-périphérie, c'est attaquer seulement un quart du marché du déplacement et renoncer au 75 % restant.

AE : Quels sont les avantages de cette approche ?

CP : L'approche "matrice" a permis de réduire très fortement les coûts d'investissements nécessaires sur les infrastructures et d'engager une action commerciale vis-à-vis de l'ensemble de la population de l'agglomération. L'investissement est concentré là et seulement là où il permet des gains de vitesse commerciale et par le moyen le plus efficace. Le bus n'exige pas, à la différence du tramway, un aménagement d'un bout à l'autre de la ligne. Une cinquantaine de carrefours équipés de priorité bus, quelques couloirs d'approches et de sites propres ont permis d'augmenter la vitesse commerciale moyenne de l'ensemble des lignes de 14 km/h à 21 km/h. Ces investissements ont été concentrés sur les nœuds du réseau "matrice". Ils ont permis d'abaisser d'un tiers le coût du kilomètre de bus et de produire, sans augmentation du budget, un million de kilomètres de bus supplémentaires.

Le bus au GPL n'émet aucun gaz à effet de serre parce que c'est un sous-produit de raffinerie et plusieurs projets de bus à hydrogène vont se monter, la motorisation des bus va évoluer.

AE : Il s'agit d'un nouveau concept, baptisé Optymo...

CP : Oui c'est une approche raisonnée, pas moins ambitieuse mais conciliable avec la crise des finances publiques. Optymo c'est le meilleur moyen de joindre les deux bouts, c'est notre slogan. Un des objectifs majeurs pour nous, c'est l'abaissement des dépenses des ménages : en utilisant les transports en commun, ils vont économiser 150 à 200 € par mois. Sur le territoire de Belfort, 22.000 ménages ont deux voitures car les deux personnes travaillent. Avec 8 millions de voyages supplémentaires, ce sont 8.000 ménages qui vont économiser 1.500 à 1.600 euros par an. Il s'agit d'une problématique où dépense publique et dépense privée ne s'opposent plus : les recettes supplémentaires générées par la nouvelle offre financent les dépenses supplémentaires. Dans cette économie politique du développement durable, on tente de voir les choses globalement : cela suppose une approche de long terme de l'investissement, qui devient socialement et spatialement soutenable.

AE : Où en est ce projet ?

CP : L'enquête publique est en cours actuellement et les travaux devraient démarrer à la mi-juillet et se terminer à la fin de l'année prochaine. L'ambition du Syndicat mixte des transports de Belfort est d'atteindre 80 % des 75.000 habitants du pôle urbain, soit 60.000 porteurs de Pass et de développer l'utilisation de ses services par les usagés actuels. La nouveauté est qu'on ne paiera le pass qu'à la fin du mois à l'issue de l'utilisation du service. Pour compléter l'offre bus, deux nouvelles prestations vont être intégrées à Optymo : l'autopartage et le vélo. Il s'agit, d'une part, d'offrir à chaque ménage une alternative attractive à la possession d'une ou de deux voitures pour les déplacements longs et, d'autre part, une solution vélo pour les déplacements courts quand le bus n'est pas assez efficace. La phase 2 de la démarche Optymo permettra de consolider et renforcer le réseau en limitant les investissements à la seule boucle de desserte du centre élargi sur laquelle circule l'ensemble des lignes du réseau, qu'elles soient à la fréquence de 5 minutes ou de 10 minutes.

AE : Quel est votre objectif ?

CP : Ce projet de 40 millions d'euros permettra de gagner, dès 2016, huit millions de voyages, soit 5€ d'investissement par voyage supplémentaire. Ce résultat est directement lié à l'approche "matrice" qui permet de faire, sur un carré d'un kilomètre de côté, des investissements qui bénéficient à l'ensemble des lignes et qui améliorent, en les diversifiant, les solutions de correspondances. L'idée étant de changer complètement le rapport aux déplacements en créant des solutions de mobilité et d'abaisser les coûts fixes alors que les ménages ne se déplacent que 5% de leur temps. Car ce qui emportera la décision du client, c'est l'avantage économique calculé sur l'ensemble de ses besoins. Passer de la logique de la propriété à celle de l'usage permet de diminuer drastiquement le coût de la mobilité en répartissant le coût fixe sur l'ensemble des utilisateurs. Je ne suis pas en train de dire qu'il ne faut plus construire de tramway, mais en avoir une approche raisonnée et le réserver aux grandes agglomérations, plutôt qu'aux villes moyennes de moins de 250.000 habitants. Celles-ci sollicitent des solutions spécifiques pour améliorer la mobilité des dix millions de Français qui y habitent, et ce à un coût soutenable. Leur marge de progression est considérable.

1. Consulter le livre blanc
http://www.smtc90.fr/images/livre-blanc_light.pdf

Réactions2 réactions à cet article

Si 60% des déplacements urbains font moins de 3 kilomètres, combien de personnes ont vraiment besoin d'un véhicule, individuel ou collectif ? Le réflexe santé, par la marche (25 minutes) ou le vélo (10 minutes), ne doit-il pas être promu au premier rang ? Autant de pollution, de danger soustrait à la circulation globale. Les réelles économies pour tous ne sont-elles pas ici aussi ? Peut-être faudrait-il élargir les trottoirs, mais les commerces de proximité diront merci aussi.

Spartiate | 03 mai 2012 à 09h04 Signaler un contenu inapproprié

Tout à fait d'accord avec Spartiate mais combien de personnes acceptent de marcher ou prendre un vélo, trop contraignant pour eux et préfère la voiture et réclamer des augmentations à leur employeur pour toujours avoir un véhicule dernier cri, même de ville, avec clim pour éviter d'avoir chaud en été ou froid en hiver sur les 3 kms de leur parcours...
Ceci est le triste constat d'échanges engagés avec ces gens dont le développement durable fait peur car il est contraignant. Nos générations zappettes ne veulent pas bouger...
Cet article est très intéressant et pose les vrais questions à la réflexion du transport en commun et du trafic urbain et doit, malheureusement, être couplé à l'interdiction de circuler en ville....

fab08022 | 03 mai 2012 à 10h36 Signaler un contenu inapproprié

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