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“Nos décideurs économiques et politiques ne sont pas encore sensibilisés aux atteintes à l'environnement”

L'UICN France met sur la table une série de propositions pour rendre le droit pénal plus efficace pour protéger la nature. L'avocat Sébastien Mabile les détaille pour Actu-environnement et espère qu'elles prennent leur place dans la loi biodiversité.

Interview  |  Biodiversité  |    |  F. Roussel
   
“Nos décideurs économiques et politiques ne sont pas encore sensibilisés aux atteintes à l'environnement”
Sébastien Mabile
Avocat et président de la commission droit et politiques environnementales de l'UICN-France
   

Actu-environnement : En matière de criminalité environnementale, le nombre de poursuites pénales reste faible et les sanctions rarement dissuasives. Comment réformer le système judiciaire pour mieux protéger la nature ?

Sébastien Mabile : Pour l'instant, le droit de l'environnement prévoit une multitude de sanctions qui ne sont jamais appliquées pour 80% d'entre elles, alors qu'il y a atteinte à l'intérêt public. L'environnement est une valeur sociale protégée, érigée au rang d'intérêt fondamental de la nation. Il est urgent de créer un délit général d'atteinte à l'environnement, voir un crime d'écocide afin de faire entrer l'environnement dans le code pénal. Ce délit serait associé à une graduation des peines et à des circonstances aggravantes avec un raisonnement classique de pénaliste. Il existe par exemple un délit général de vol, qui permet de couvrir à la fois le vol de la banque de France et le vol d'une baguette de pain, avec l'application de plusieurs niveaux de circonstances (bande organisée, vol avec arme, récidive...).


Il faudrait prévoir également un second délit, celui de mise en danger de l'environnement, qui s'appliquerait par exemple à un exploitant qui ne respecte pas ses prescriptions préfectorales mais qui n'a pas causé de pollution. Aujourd'hui, il n'existe que deux crimes environnementaux passibles de la cour d'assises : les incendies volontaires et le terrorisme avec arme bactériologique.

AE : Le droit de l'environnement est un droit complexe. Comment former les magistrats pour qu'ils évaluent la gravité de l'infraction ?

SM : Ce droit est en effet complexe et technique. Les magistrats ne traitent que quelques affaires de ce genre par an. Ils se trouvent dépourvus face à des avocats spécialisés. Il faut donc qu'ils maîtrisent le droit de l'environnement mais qu'ils soient également sensibilisés pour comprendre les conséquences de l'infraction sur la biodiversité les écosystèmes. Nous proposons par conséquent une réorganisation de l'institution judiciaire par la création de chambres spécialisées au niveau des régions ou des départements afin d'avoir une spécialisation des magistrats, tant du siège que du parquet. Les conclusions du rapport du Comité ministériel pour la modernisation de l'action publique (Cimap) de février 2015 relatif à l'évaluation de la police de l'environnement vont également dans ce sens.


En parallèle, il est important de renforcer les capacités de contrôle des agents de terrain et d'encourager le dialogue avec les magistrats sous forme de formations croisées et/ou de sessions de terrain pour les juges... Dans les cours d'appel, le procureur général pourrait également organiser chaque année une conférence de consensus regroupant les acteurs économiques, les associations de protection de l'environnement, les magistrats. Ce serait l'occasion d'identifier les enjeux du territoire et les priorités pour l'année…

AE : Y-a-t-il déjà des preuves qu'un tel modèle fonctionne bien ?

SM : Oui, c'est le cas de la répression des rejets en mer par exemple. Après les marées noires de l'Erika et du Prestige, des juridictions spécialisées du littoral ont vu le jour au Havre, à Brest, Marseille et Fort-de-France (Martinique). Le quantum des peines a été relevé. Les juges sont formés et la répression est effective. Résultats : les infractions en mer ont été divisées par trois en quelques années - même si les bateaux dégazent encore dans les eaux des pays voisins...

C'est aussi le choix qu'a fait l'Espagne. Le pays a créé un parquet national spécialisé en environnement et urbanisme après les grands scandales des constructions illégales sur le littoral en 2006. Ce parquet dispose de moyens réels puisque 1.800 agents de la Guardia civil lui sont dédiés, avec une unité de police scientifique et technique. Depuis la création de ce parquet spécialisé, les taux de condamnation ont considérablement augmenté, les enquêtes étant mieux menées et les dossiers plus solides lorsqu'ils arrivent devant les juges.

AE : Pourquoi la France n'est pas en pointe à ce sujet ?

SM : Nos décideurs économiques et politiques ne sont pas encore sensibilisés aux atteintes à l'environnement. Nous sommes aussi dans un pays de culture administrative, ce qui est particulièrement flagrant en matière environnementale. On multiplie les contrôles en amont, au détriment des contrôles en aval une fois que l'autorisation a été délivrée. La circulaire de Manuel Valls d'août 2015 dans laquelle il demande de limiter les contrôles envers les agriculteurs le confirme.

De même, l'affaire Volkswagen qui a éclaté en septembre est une occasion en or pour créer ce parquet national que nous demandons aujourd'hui. Nous sommes face à une infraction de masse avec potentiellement des centaines de milliers de victimes sur le territoire français. Et pourtant le ministère de la Justice est resté étonnamment silencieux. Alors que l'affaire Cahuzac avait provoqué la création d'un parquet national financier, le cas Volkswagen n'a rien fait bouger. Faut-il attendre la prochaine catastrophe environnementale pour engager les grandes réformes que nous appelons de nos vœux ?

AE : Vous proposez de laisser plus de place aux associations de protection de l'environnement. Pourquoi ?

SM : Elles sont souvent en première ligne pour signaler les infractions et se porter partie civile. Mais la tendance est à la transaction pénale qui a été généralisée en mars 2014 à l'ensemble des délits et contraventions de cinquième classe prévus par le code de l'environnement. La transaction pénale constitue une alternative aux poursuites permettant de punir un contrevenant sans qu'il soit déféré devant une juridiction pénale. C'est plus rapide mais cela se joue entre l'accusé et le procureur de la République. Les associations de protection de l'environnement ne peuvent pas faire valoir l'atteinte aux intérêts qu'elles ont pour mission de protéger. De plus, l'amende transactionnelle ne peut excéder le tiers du montant de l'amende maximale encourue, participant ainsi à un affaiblissement du niveau de sanction.

AE : Quelles suites espérez-vous pour ces recommandations ?

SM : Le projet de loi biodiversité, dont l'étude reprend au Sénat, est une excellente occasion pour traduire ces mesures. Le projet de texte (1) contient déjà de nombreux éléments qui renforcent les sanctions, notamment en matière de trafic d'espèces protégées. Mais il ne va pas assez loin. L'Agence française de la biodiversité en cours de création pourrait par exemple jouer un rôle majeur en la matière. Pour l'instant, l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) en est absent. C'est regrettable. Il va falloir prévoir des modalités de coordination entre deux acteurs majeurs du droit pénal de l'environnement.

En commission du développement durable, les sénateurs ont proposé d'inscrire le préjudice écologique dans le code civil, proposition qu'ils avaient votée à l'unanimité en mai 2013 suite à la proposition de loi de leur collègue Bruno Retailleau, désormais président du groupe Les Républicains. Les travaux en séance plénière qui commencent le 19 janvier, pourraient être l'occasion d'aller encore plus loin, et donner un caractère historique à cette nouvelle loi sur la biodiversité. A défaut, nous proposons l'adoption d'une grande loi sur la prévention, la répression et la réparation des atteintes à l'environnement qui consacrerait ce droit en l'intégrant à la fois dans le code pénal et dans le code civil.

1. Consulter le dossier législatif sur le site du Sénat
http://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl14-359.html

Réactions3 réactions à cet article

Vous avez raison et pour cela, je suis convaincu qu'il faille multiplier les plaintes individuelles lors de constat flagrants. A ce propos , nous avons saisi avec mon avocat le Procureur des Ardennes pour une atteinte à l'environnement contre une commune qui déverse dans la Sormonne, toutes les eaux usées du village ! En tant que citoyen usager de la rivière, j'ai demandé à être reçu par la police de l'eau de la ddt où j'ai trouvé un écho très favorable devant cette dénonciation !
Les citoyens doivent donc agir auprès des services publics qui sont là pour ça et si besoin , saisir la Justice et se constituer partie civile.
Je reprendrai la synthèse de Corinne Lepage affirmant, qu' hélas il n'y a plus que le Pénal pour contraindre les politiques à faire respecter les lois environnementales.
La circulaire Tobira du 21 avril 2015 est désormais appliqué dans les parquets, la preuve en est à Charleville que le magistrat désigné est un substitut .
Il est important de se faire accompagner par un avocat, car les plaintes au préfet ou en gendarmerie, restent aléatoires puisqu'il "protège" d'emblée la parole de l'élu !
Une plainte menée par avocat contre récépissé coûte 300 euros....il faut savoir ce que l'on aime et faire un choix !

jeanmaco | 19 janvier 2016 à 10h38 Signaler un contenu inapproprié

Bonjour madame,

Je voudrais recommander cet article à mon avocat ardennais, mais je ne vois plus la possibilité de le faire en ligne .Est-ce possible ? Merci et bien cordialement.

jeanmaco | 19 janvier 2016 à 14h50 Signaler un contenu inapproprié

@ jeanmaco

Bonjour

En tête de l'article, au dessus de la photo vous trouverez un icone ressemblant à une enveloppe. Il vous permet de faire suivre cet article par mail.

Cordialement

Florence Roussel Florence Roussel
19 janvier 2016 à 15h06
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