Pierre Rellet : Les notions déchets/non déchets sont globalement clarifiées, même si les définitions restent sources de conflits d'interprétation. L'enjeu porte moins sur la sémantique que sur la faculté d'exonérer un non déchet des contraintes de la réglementation déchet. Nous avons défendu l'idée qu'un déchet doit garder ce statut le plus longtemps possible dans la chaîne de valeur : que l'on sache d'où il vient et ce que l'on va en faire. Toute tentative de déclassement nous paraît dangereuse en ce sens qu'elle ouvre l'opportunité de s'exonérer des contraintes de traitement et de rejets. Les nombreuses expériences de gestion a posteriori des sites de déchets orphelins démontrent la nécessité de maintenir des règles claires de responsabilité. Pour autant, nous ne nous opposons pas au passage du statut de déchet à celui de « matière première secondaire » que défend le Bureau International du Recyclage (BIR). Mais seulement à l'issue d'un véritable prétraitement, après exercice d'un métier spécialisé. Une tonne de papier-carton avec marquage doit pouvoir circuler à travers le monde avec des contraintes minimum liées à son statut.
AE : Le texte adopté en seconde lecture au Parlement européen pourrait voir sa phase ultime de négociation avant la Présidence française. Quelles en sont les principales caractéristiques ?
PR : Le texte reprend notamment l'ensemble des points de la directive sur les déchets dangereux que la Commission européenne entendait abroger et fusionner dans la Directive Cadre. Il fixe des objectifs de résultats avec un cadre de hiérarchisation des priorités. On privilégie d'abord la prévention (dégressivité des volumes), puis le recyclage et enfin le traitement. Ce sera déjà une véritable révolution pour la majorité des Etats-membres. Il est davantage adapté à ce qu'est un traitement ; avec prise en compte de la problématique d'émissions de CO2. Il reprend les acquis antérieurs avec plus de valorisation et de recyclage, moins de traitement traditionnel - mise en décharge des déchets organiques et incinération sans valorisation énergétique - et plus de traitement intermédiaire - préparation des déchets en vue de leur transformation en combustible de substitution ou via des processus de méthanisation et de Mecanical Biological Traitement (MBT). Avec cette nouvelle directive, n'importe qui ne pourra plus s'improviser spécialiste dans le domaine des déchets. La politique européenne devient avant tout marquée par une très forme ambition de faire progresser le recyclage et toute autre forme de valorisation prenant en compte des critères d'efficacité des procédés de traitement.
AE : Observez-vous un sujet de non-satisfaction dans la révision de cette directive ?
PR : Oui, l'obligation systématique d'organiser une collecte séparée des biodéchets, c'est-à-dire des déchets organiques. L'expérience française démontre les difficultés économiques de la collecte séparative au porte-à-porte de ces déchets et surtout le surcoût pour les collectivités. Et il n'existe pas encore de normalisation européenne des composts après le traitement des déchets ménagers.
AE : Quelles sont les évolutions dans la filière de traitement par incinération ?
PR : Vous voulez dire en termes de « recovery », de valorisation énergétique des déchets ? Cette filière de traitement, soutenue par les Français, a obtenu le soutien des autres fédérations de la FEAD. L'idée était d'associer incinération et efficacité énergétique. Il fallait pouvoir tenir compte des conditions climatiques qui influent sur le potentiel de valorisation énergétique. Nous avons plaidé pour que les seuils d'efficacité énergétique minimale des installations au statut de « energy recovery » soient homogènes tout en tenant compte de ce paramètre local. Même si une partie du parc français (moins de 40%) ne sera pas considérée comme « recovery » – ce qui supposera la fermeture de certaines usines et le non renouvellement d'autres, on peut imaginer le développement d'incinérateurs de plus grande taille sans pour autant pénaliser le recyclage. Le « recovery package » (comprenant également le recyclage) n'est qu'un problème de logistique, d'aménagement du territoire et de planification des investissements. Il serait préférable de gérer les installations de traitement à l'échelle régionale comme au Royaume-Uni ou en Allemagne (avec les länder). Et ce, d'autant plus si on veut augmenter les degrés d'efficacité énergétique des usines d'incinération. En France, ils pourraient augmenter de moitié si l'on développait les réseaux de chaleur et les unités de transformation en électricité. Certaines installations de petite taille mériteraient-elles d'être enfermées à moyen terme ?
AE : La controverse n'est toujours pas levée sur le risque sanitaire lié aux émissions des incinérateurs. Ne craignez-vous pas que des unités de plus grande taille la renforcent ?
PR : Au contraire. Ces usines sont assujetties depuis quelques années aux normes d'émissions les plus strictes du monde industriel. Il faut le faire savoir.
AE : Peut-on espérer une accélération des process de récupération du méthane issu de la fermentation anaérobie des déchets organiques ?
PR : La méthanisation fait partie des procédés de Recovery. Certes, de nombreux pays ne sont pas encore équipés en process de captation du biogaz des décharges. En France si, pour la quasi-totalité des sites. Qui plus est, les nouvelles générations de décharges sont des « bioréacteurs », avec procédé d'accélération de la fermentation. Reste à équiper certains petits sites en système de turbinage pour produire de l'électricité et ne plus brûler le méthane en torchère. J'ai personnellement œuvré à l'obtention d'un tarif de rachat de l'électricité garant permettant la rentabilité de tels équipements, grâce à l'existence du fonds de compensation de l'électricité qui impose que l'électricité produite soit d'une certaine manière subventionnée avant son injection sur le réseau. Mais il n'y a pas d'obligation de valorisation en électricité. Beaucoup d'autres pays font des efforts dans ce sens pour créer un cadre incitatif à la valorisation des biogaz.
AE : Mais qu'en est-il de la valorisation en tant que telle du méthane issu du biogaz?
PR : En termes de valorisation du biogaz en carburant, ça existe dans bien d'autres pays. En France, c'est novateur : il manque des flottes dédiées à cela. Je salue l'initiative de Paul Deffontaines, vice-président de la Communauté Urbaine de Lille, précurseur dans ce domaine. Et les autres projets à l'étude en France.
AE : Va-t-on voir évoluer la collecte sélective vers plus de tri matière et donc plus d'efficacité des filières de recyclage ?
PR : La collecte sélective, il ne faut pas la regarder par le petit bout de la lorgnette sans considérer son coût. Or plus elle est étendue, plus elle coûte évidement. La responsabilité des producteurs de déchets doit se traduire par une contribution financière réaffectée à de vrais bons modes de collecte et de traitements. En France, doit-on encore essayer de capter les 5% de verre, les 15% d'emballages de déchets ménagers encore non valorisés ? Je ne suis pas sûr qu'on soit obligé d'aller au bout du tout recyclage. Bien sûr, les taux peuvent progresser. Mais les points d'efficacité les plus faciles à trouver se trouvent dans la valorisation des déchets industriels et commerciaux. Ce secteur purement marchand fonctionne de manière optimisée sans subvention, selon les conditions de marchés. Le Grenelle de l'environnement a fixé comme objectif le passage de 5,2 millions de tonnes de déchets de la décharge ou incinération à la recyclabilité ou à la valorisation d'ici 2012. Une grande majorité de ce tonnage concerne des déchets industriels et commerciaux plus aisément transformables. Ce qui supposera de grosses mutations d'investissement afin de développer les capacités de tri, et l'aide des pouvoirs publics aux opérateurs pour qu'ils investissent massivement dans le recyclage. À l'échelle européenne, ce débat est crucial partout où le recyclage peut progresser.