Le domaine viticole de Gruissan se situe dans une zone géographique où la pluie est devenue trop rare pour les vignes. Une culture pourtant connue pour ses faibles besoins en eau. L'irrigation semble être indispensable mais l'accès à l'eau est difficile. Le réseau d'eau brute (eau non potable, utilisée pour l'agriculture) ne distribue pas tout le territoire. De plus, en saison estivale la demande en eau est forte ; la population est multipliée par trois avec l'afflux des touristes. Du coup, les quantités d'eaux usées augmentent aussi mais après traitement elles sont rejetées en mer… alors, pourquoi ne pas utiliser ces eaux traitées pour l'irrigation ? C'est le point de départ d'une expérimentation appelé Irri-Alt'Eau, réalisée entre différents partenaires, publics et privés (Veolia, Aquadoc, La cave de Gruissan, Inra, Le Grand Narbonne).
Après trois années d'expérimentation, les résultats semblent concluants
D'un coté, il fallait pouvoir répondre à des exigences sanitaires concernant le traitement de l'eau. La réglementation qui date de 2014 autorise l'utilisation d'eau traitée par les stations d'épuration uniquement pour des besoins d'arrosage. Il a été défini une qualité d'eau en fonction des usages. Exemple, la catégorie A répond aux normes les plus exigeantes, pour l'irrigation de cultures maraîchères ou l'arrosage d'espaces verts ouverts au grand public, comme les golfs. Ainsi de A à D, la qualité de l'eau devra respecter différentes normes sanitaires plus ou moins sévères établies par l'Anses.
Pour l'expérimentation de Gruissan, l'eau devait atteindre la catégorie B. Un deuxième traitement a dû être mis en place en sortie de la station d'épuration, une deuxième épuration !
De l'autre coté, les chercheurs de l'Inra ont analysé en tout point le comportement de la vigne (terre, racines, feuilles, raisins). Objectif : comprendre quelle différence il y aurait entre une vigne irriguée avec de l'eau de rivière et cette eau traitée provenant de la station d'épuration. Résultats : aucune différence. Peut-être même que l'eau traitée contiendrait plus d'éléments nutritifs pour les ceps de vigne ! Il va toutefois falloir aux scientifiques encore quelques années d'expérimentation pour approfondir ces théories ; savoir si les débits ne sont pas altérés par ces eaux chargées, peut-être diminuer les apports d'engrais si l'eau en apporte déjà et analyser sur le long terme tout l'écosystème…
Une chose est sûre, l'expérience est encourageante pour tous les partenaires et va se poursuivre par une deuxième phase prévue pour 2016 : passer le stade de démonstration industrielle sur 50 hectares.
Les clés de la réussite pour réutiliser ces eaux traitées
Comme toujours, c'est une question de prix. Pour Veolia, il y a un traitement spécifique, des pompes, un réseau… ça a un coût et il faut qu'il soit supportable pour les viticulteurs.
Cependant pour réduire ce coût de fonctionnement, le distributeur compte sur la diversification des usages. "Plus il y aura de consommateurs et d'usages différents et plus le prix baissera et deviendra acceptable", reconnaît Brigitte Goral, directeur technique de Veolia Eau en zone Méditerranée. Trouver donc d'autres cultures à irriguer ou bien faire évoluer la règlementation "pour des usages dans la ville, notamment pour le nettoyage des rues, ce qui n'est pas encore autorisé aujourd'hui mais peut-être demain", ajoute Brigitte Goral.
Autre aspect : l'acceptabilité sociale. Il va sûrement falloir être très pédagogique pour expliquer aux consommateurs que leur élixir est arrosé avec une eau qui provient d'une station d'épuration. Ou alors ne pas en parler du tout, mais tout finit par se savoir !
Peut-être pourra-t-on leur expliquer que cette pratique s'est déjà largement développée dans d'autres pays où la ressource en eau est devenue précieuse comme en Arizona, en Californie, en Chine, en Israël, en Espagne, en Italie, en Tunisie ou encore à Chypre.