Chiffré à environ un milliard d'euros, le renouvellement du centre de traitement des déchets d'Ivry-Paris XIII (1) est le plus gros projet français en matière de déchets. Initié il y a dix ans par le syndicat intercommunal de traitement des ordures ménagères (Syctom) de l'agglomération parisienne, il vise à remplacer l'incinérateur qui, en 2009, a atteint 40 ans d'exploitation, sa limite théorique de fonctionnement. Mais, alors qu'initialement 2014 devait marquer le début des travaux, de nombreuses questions restent en suspens.
L'incinérateur actuel dispose d'une capacité de traitement de 730.000 tonnes. Entre 1997 et 2000, le système de dépollution des fumées a été modernisé et un centre de tri créé. Entre 2009 et 2011, un autre programme de travaux a été engagé pour prolonger sa durée d'exploitation jusqu'en 2019, date initialement prévue pour la mise en service du nouvel incinérateur.
En 2013, l'incinérateur a éliminé 685.000 tonnes de déchets en provenance des 1,4 million d'habitants de son bassin versant (2) .
Un dimensionnement revu à la baisse
Après avoir engagé en 2003 les premières réflexions sur l'avenir du site, le Syctom a réalisé des études de faisabilité. Ces travaux ont débouché sur un projet associant un nouvel incinérateur, une unité de tri mécanobiologique (TMB) et un méthaniseur. Il vise une réduction de 20% des tonnages de déchets traités annuellement.
Le projet soumis au débat public, fin 2009, prévoit de traiter environ 490.000 tonnes d'ordures ménagères résiduelles (OMR) via le TMB. Les biodéchets seraient méthanisés sur le site, alors que la fraction résiduelle du TMB viendrait alimenter un incinérateur d'une capacité de 350.000 tonnes. Ce dernier serait aussi alimenté par l'ajout de 110.000 tonnes de combustibles solides de récupération (CSR), en provenance d'autres sites du Syctom, dont l'unité de TMB prévue à Romainville (Seine-Saint-Denis), d'une capacité de 315.000 tonnes par an.
Mais, le projet a été revu à la baisse depuis. Si la capacité d'incinération reste identique, l'unité de TMB ne traiterait plus que 310.000 tonnes et l'ajout de CSR serait de l'ordre de 55.000 tonnes. Enfin, un point de réception des biodéchets collectés séparément est envisagé.
Côté calendrier, en 2009, le Syctom envisageait de désigner le concepteur et le constructeur en 2010-2012 pour demander les autorisations et réaliser l'enquête publique en 2013. La mise en service du nouvel incinérateur était annoncé pour 2019 et l'ouverture de l'unité de méthanisation pour 2023. Ce calendrier est aujourd'hui caduc, l'annonce de l'attribution des différentes tranches de l'appel d'offres étant prévue en octobre de cette année. "Aujourd'hui, on est plutôt sur le maintien de l'activité de l'incinérateur actuel jusqu'en 2022", confirme Dominique Labrouche, directeur général du Syctom.
Extrême prudence
Un incinérateur rendu indispensable ?
Seule la capacité de l'incinérateur n'a pas été revue à la baisse depuis 2004. Pourtant, "depuis plusieurs années, le Syctom communique sur une baisse sensible des déchets traités sur son territoire" rappelle le Collectif 3R, indiquant avoir formulé des propositions alternatives.
Selon les élus d'Ecologie Ivry Seine Amont, cet incinérateur est lié aux besoins du réseau de chaleur. En effet, cette usine, d'une puissance de 146 MW thermiques produisant 220 tonnes de vapeur par heure, alimente la Compagnie parisienne de chauffage urbain (CPCU). Ces élus déplorent en particulier que le conseil municipal d'Ivry ait légitimé la reconstruction de l'incinérateur en octobre 2013 lors de l'attribution d'une délégation de service public pour 20 ans pour la mise en œuvre d'un réseau de chauffage urbain à Ivry. Si ce réseau sera majoritairement alimenté par géothermie, le complément devrait être apporté par la CPCU qui propose d'utiliser la vapeur du Syctom. Le projet, porté par Coriance, de chaufferie bois (8,8 MW) couplée à une chaudière gaz de secours a été rejeté, malgré des coûts d'investissement et d'exploitation inférieurs. Quant aux impacts environnementaux, le projet CPCU proposerait un taux d'énergie renouvelable de 44,8%, contre 74,6% pour Coriance, assorti d'émissions de CO2 deux fois plus élevées, indique Ecologie Ivry Seine Amont.
"Le seul objectif [de cette attribution] semble être de justifier la reconstruction sur notre territoire d'une usine d'incinération et de TMB méthanisation, en rendant les énergies de récupération issues du Syctom indispensables au fonctionnement de notre chauffage urbain", estiment-ils.
"Il s'agit d'une procédure assez classique pour de tels projets, qui traduit la bonne gestion du dossier, explique Dominique Labrouche, les tranches conditionnelles ne sont activées qu'une fois les autorisations administratives obtenues". Cependant, selon certains observateurs, le recours à des tranches conditionnelles traduit aussi l'extrême prudence du Syctom, qui garde les mains libres si le projet devait encore être revu. Surtout que le contexte règlementaire des déchets n'est pas stabilisé et l'acceptabilité sociale des projets de TMB n'est pas acquise, que ce soit au niveau local ou national.
Le Syctom a d'ailleurs fait l'expérience de l'âpreté du débat entourant le TMB. Lors de la clôture du débat public, la vive opposition à son projet l'a conduit à poursuivre la concertation sous forme d'ateliers restreints réunissant les parties prenantes. Cette concertation, tenue courant 2010, s'est achevée sans réellement conclure, la restitution publique finale ayant été annulée. Par ailleurs, le collectif Réduire, Réutiliser, Recycler (Collectif 3R), qui s'oppose au projet du Syctom, rappelle que le conseil municipal d'Ivry-sur-Seine s'est prononcé contre l'implantation d'une unité TMB et méthanisation sur son territoire.
De même, le Syctom a dû faire face à l'annulation en avril 2013 de l'arrêté préfectoral autorisant l'exploitation de l'unité TMB et méthanisation de Romainville. "La procédure d'appel suit son cours", explique Dominique Labrouche, assurant que "la décision du tribunal administratif n'a pas d'impact sur le projet d'Ivry".
Reste qu'"en privé, certains responsables du Syctom reconnaissent qu'ils ne voient pas trop comment ces deux projets de TMB méthanisation pourraient se faire en l'état, compte tenu du très mauvais retour d'expérience d'Angers, Montpellier ou Fos-sur-Mer", rapporte Anne Connan co-présidente du Collectif 3R.
La collecte séparée fait son retour
Autre point important, la question de la collecte séparée des biodéchets fait son retour. Parmi les travaux préparatoires initiés en 2003, le Syctom avait étudié la possibilité d'ajouter une telle collecte, avant d'écarter cette option au profit du TMB. Mais le débat opposant les partisans du TMB aux défenseurs d'une collecte sélective est loin d'être fini. Aussi, le Syctom réalise-t-il actuellement deux nouvelles études sur… la mise en place de collectes séparées des biodéchets des gros producteurs et des ménages. Les bassins versants des sites d'Ivry et de Romainville sont abordés séparément par chacune des études.
Aujourd'hui, il semble bien qu'au moins un point mette d'accord les acteurs du débat : la mise en place réussie de collectes séparées des déchets fermentescibles et des déchets recyclables rendrait inutile le recours au TMB et à l'incinération. Le cœur du débat porte plutôt sur la rapidité d'une telle mutation que sur sa réalité.
Le Syctom juge très difficile d'aboutir rapidement à une telle transformation. S'il considère que le tri à la source est l'objectif à terme, il juge ardu son déploiement chez les particuliers en zone urbaine dense. Le TMB est donc incontournable à court terme. En revanche, le syndicat envisage une collecte séparée pour les déchets des gros producteurs, complémentaire de la collecte en mélange des déchets des ménages. C'est d'ailleurs dans cette optique qu'une plateforme de collecte des biodéchets a été ajoutée au projet.
Les deux études, attendues pour le dernier trimestre de 2014, devraient apporter quelques réponses. Surtout, "elles permettront de prendre la décision finale", assure le directeur général du Syctom. Les lignes pourraient donc encore changer après l'attribution des tranches de l'appel d'offres.