La loi pour la reconquête de la biodiversité, promulguée l'été dernier, a banni les termes d'"animaux malfaisants ou nuisibles" de la partie législative du code de l'environnement pour les remplacer par ceux de "spécimens d'espèces non domestiques" ou d'"animaux susceptibles d'occasionner des dégâts". Une évolution débattue lors du colloque "Sales bêtes ! Mauvaises herbes" qui s'est tenu les 31 janvier et 1er février à Paris sous l'égide de l'Association pour l'histoire et la protection de la nature et de l'environnement (AHPNE).
Notion anthropocentrée, variable selon les contextes
"Le qualificatif de « nuisible » est inapproprié car aucune espèce n'est néfaste par nature. Toutes les espèces ont leur place dans notre système ; il est important de le reconnaître", avait également déclaré la députée Geneviève Gaillard, rapporteure du projet de loi, durant la discussion à l'Assemblée nationale.
"La notion de « nuisible » est très anthropocentrée, variable selon les contextes et méconnaît le rôle des espèces", relève André Micoud, sociologue, en s'appuyant sur un avis (1) rendu en février 2016 par le Conseil scientifique de patrimoine naturel et de la biodiversité (CSPNB). "Rien n'est simple, le nuisible d'un jour peut être l'utile du lendemain", constate également Renaud Bueb, historien du droit à l'Université de Franche-Comté, qui a analysé l'évolution dans le temps de la législation de la destruction des nuisibles.
Le loup est l'animal le plus emblématique de cette évolution. "Le statut de l'animal a été complètement inversé, passant de la désignation infamante de « nuisible » à un statut d'animal « strictement protégé »", constate Jean-Marc Moriceau, historien à l'Université de Caen, qui déplore l'absence de juste milieu. Il faut dire que ce dernier a recensé les attaques de loups à travers les archives non seulement sur le bétail domestique mais également sur l'Homme. Des attaques "qui ne tiennent pas de la légende", rappelle l'universitaire. Ce constat d'un changement radical de statut peut toutefois être nuancé dans la mesure où le gouvernement continue à autoriser chaque année la destruction d'un certain nombre de spécimens du canidé.
"Un nouveau régime se profile"
En tout état de cause, "un nouveau régime se profile pour justifier notre action pour la gestion du vivant", estime André Micoud. Mais la transition vers ce nouveau régime ne fait pas l'unanimité et reste, sans doute pour cette raison, largement inachevée. "Aujourd'hui en France, les représentations sociales des animaux ne sont pas les mêmes selon que l'on questionne des ruraux, des agriculteurs ou des citadins", relève le CSPNB, qui ne se dit pas certain que l'évolution législative se traduise "effectivement et rapidement par un changement de pratiques sur le terrain".
Pour Aline Treillard, doctorante en droit public à l'Université de Limoges, l'intention du législateur reste confuse. Car, si le terme "nuisible" a été remplacé par des "périphrases", celui de "destruction" est en revanche resté dans le code de l'environnement. "Le terme de « régulation » aurait été plus adapté", estime la chercheuse. Le titre même de la loi "pour la reconquête de la biodiversité" perpétue, selon la juriste, l'organisation d'une rivalité entre monde sauvage et monde humain.
En d'autres termes, pour cette dernière, les nuisibles continuent à faire peur au législateur. Une assertion qui fait bondir Julien Astoul-Delseny du ministère de l'Environnement qui, très légaliste, se refuse à commenter "l'expression de la volonté de la Nation". Pour le représentant du bureau de la chasse et de la pêche en eau douce, la législation est forcément trop sévère pour les chasseurs/piégeurs et trop laxiste pour les naturalistes.
"Tous les animaux sont protégés"
"Il ne faut pas rester le nez collé à la vitre !", réagit Chantal Cans, maître de conférence à l'Université du Maine, qui propose de réunir ces deux approches du droit. "La loi devrait affirmer que tous les animaux sont protégés et mettre en place des dérogations en cas de nécessité", estime l'universitaire pour qui la règle de droit s'applique d'autant mieux qu'elle est intelligible.
Sans nul doute que le législateur sera appelé à se repencher sur cette question, d'autant que perdure dans le code rural la notion d'"organismes nuisibles" qui, rappelle le CSPNB, vise "tous les ennemis des végétaux ou des produits végétaux, qu'ils appartiennent au règne animal ou végétal".
En attendant, l'exécutif doit faire évoluer la partie réglementaire du code de l'environnement pour la mettre en conformité avec les nouvelles dispositions législatives. Un toilettage qui sera réalisé d'ici trois mois, assure Julien Astoul-Delseny.