Jeudi 9 février 2012, le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) a présenté les grandes lignes des dernières simulations climatiques françaises destinées au cinquième rapport d'évaluation (AR5) du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec). Ces résultats devraient être pris en compte dans le cadre de l'"état des lieux critique" réalisé par le Giec en vue de la publication en trois parties de l'AR5 en 2013 et 2014, a indiqué Jean Jouzel, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement (LSCE) et membre du bureau du Giec.
Les travaux présentés s'inscrivent dans le cadre du Projet d'intercomparaison de modèles climatiques (CMIP-5, pour Coupled model intercomparison project) qui définit les simulations utiles au Giec. Les simulations retenues pour cet exercice concernent par exemple l'évolution passée du climat depuis 150 ans ou les projections climatiques pour les 30, 100 ou 300 prochaines années selon différents scénarios d'émissions de gaz effet de serre (GES).
Confirmation des prévisions pour 2100
Les résultats obtenus à partir des deux modèles français (1) ne bouleversent fondamentalement les connaissances précédemment acquises.
En premier lieu, "en accord avec les conclusions du GIEC en 2007, une tendance à l'augmentation des températures est observée à l'horizon 2100 pour tous les scénarios", indique le CNRS, précisant qu'"elle est plus ou moins marquée selon le scénario considéré : la hausse est de 3,5 à 5°C [par rapport à la moyenne constatée sur la période 1971-2000] pour le scénario le plus sévère, de 2°C pour le plus optimiste". Des résultats conformes à ceux présentés en 2007 dans le précédent rapport du Giec qui estimait, à partir d'un nombre plus important de modèles, que la hausse des températures en 2100 serait comprise entre 1,1 et 6,4°C, par rapport à l'ère préindustrielle.
Réduction du domaine des possibles
Le scénario le plus optimiste (2) correspond peu ou prou à l'objectif fixé lors de la conférence de Copenhague (Danemark) en 2009 qui visait une hausse maximale de 2°C de la température moyenne de la Terre d'ici 2100 par rapport à l'ère préindustrielle. Reste que "pour y arriver, il faudrait une action gigantesque qui commencerait dès demain", prévient Stéphane Hallegatte, ingénieur Météo-France et chercheur au Centre international de recherche sur l'environnement et le développement (Cired). Une action qui, pour atteindre des niveaux d'émissions de GES négatifs, combinerait une baisse drastique des émissions et une politique efficace d'usage des sols passant, par exemple, par la plantation de forêts pour séquestrer le carbone. Une stratégie qui soulève des questions : "faut-il planter l'Amazonie d'arbres destinés aux agrocarburants ?", s'interroge Stéphane Hallegatte, évoquant des questions environnementales telles que l'atteinte à la biodiversité.
Le scénario RCP8,5, le plus pessimiste des quatre, est lui aussi soumis à des impératifs qui ne sont pas forcément réalistes. Ici, il est surtout question du volume global des émissions qu'il implique, puisque, toujours selon Stéphane Hallegatte, les réserves actuellement prouvées de charbon ne sont pas suffisantes pour les générer. En effet, ce scénario implique que les émissions annuelles de GES continueraient à croitre fortement jusqu'à 2100, pour former un plateau à un environ 27,5 milliards de tonnes de carbone (GtC) entre 2100 et 2150. Ces mêmes émissions sont évaluées à environ 7,5 GtC par an aujourd'hui.
Nouvelles perspectives temporelles
A long terme, les scientifiques ont fait tourner leurs modèles jusqu'en 2300. Alors que les travaux utilisés pour l'AR4 considéraient une stabilisation climatique au-delà de 2100, cet exercice apporte un nouvel éclairage. Pour le scénario le plus optimiste, la température moyenne mondiale se stabiliserait au delà de 2100 et commencerait une très lente baisse. En 2300 la hausse serait contenue à moins de 2°C. Par contre le scénario le plus pessimiste fait apparaître un prolongement de la hausse de la température moyenne mondiale. Celle-ci pourrait encore doubler par rapport à la hausse annoncée par ce scénario au cours du XXIème siècle pour atteindre 10 à 12°C.
A l'opposé, les chercheurs ont aussi travaillé sur de nouvelles prévisions à court terme, c'est à dire spécifique à la période 2010-2040 par pas de dix ans. Une prévision décennale qui "correspond à un besoin souvent exprimé par les décideurs politiques ou économiques", rappelle le CNRS. Toute la difficulté de l'exercice réside dans la combinaison de la tendance de long terme et de la variation interne naturelle qui se caractérise par les écarts enregistrés d'une année à l'autre. Paradoxalement, "il est plus difficile de faire des prévision décennales qu'à l'horizon 2100", explique Christophe Cassou, chargé de recherche CNRS au Centre européen de recherche et de formation avancée en calcul scientifique (Cerfacs). Des difficultés illustrées par les résultats des calculs : les simulations effectuées sur la période 1960-2010 reproduisent plutôt mal la réalité constatée, en particulier à l'échelle régionale par rapport à l'échelle planétaire ainsi que sur les continents par rapport aux océans. "Notre capacité prévisionnelle est assez faible", regrette le chercheur du Cerfacs, déplorant la "faible prévisibilité au delà de 3 ou 4 ans". Et de conclure : "c'est une première qui reste du domaine de la recherche fondamentale". Tout l'enjeu du prochain rapport du Giec sera donc de présenter ces résultats tout en soulignant les fortes incertitudes les entourant…