Les nanomatériaux présents dans la vie quotidienne
Saisie en juin 2008 par les Directions générales de la santé, des risques et du travail, l'Afsset a mené une expertise collective visant à élaborer et étudier des scénarios d'exposition de la population générale à quelques nanomatériaux manufacturés et évaluer les risques potentiels pour l'environnement et la santé.
Après dix huit mois de travaux, les experts ont recensé plus de 1.000 produits de consommation contenant des nanomatériaux dans le monde et ce, dans de nombreuses applications (cosmétiques, textiles, agroalimentaire, électroménager, jouets, bâtiment…). Ils sont notamment utilisés pour leurs propriétés antibactériennes et antimicrobiennes (peluche, chaussettes…). En France, 246 produits ont été identifiés, contenant une vingtaine de nanomatériaux au total. Les cosmétiques apparaissent de loin comme les premiers utilisateurs de ces matériaux. ''Il est cependant difficile aujourd'hui de faire un inventaire exhaustif, il n'y a pas de déclaration obligatoire'', précise Martin Guespereau.
Quatre produits finis ont été sélectionnés et analysés de près. Pour les chaussettes antibactériennes, contenant des nanoparticules d'argent, l'expertise conclut que les risques pour l'homme sont non négligeables (exposition cutanée) et les dangers environnementaux importants (dispersion forte, propriété biocide). ''Si 10 % de la population portait ce type de chaussette, 18 tonnes d'argent seraient rejetées dans les eaux superficielles via les lessives…'', illustre le directeur général de l'Afsset.
Concernant le ciment autonettoyant, contenant des nanoparticules de dioxyde de titane, l'expertise n'exclut pas les risques pour l'homme (voie d'exposition respiratoire) et l'environnement (dispersion) même s'ils ne peuvent pas être évalués aujourd'hui.
L'étude du lait solaire contenant des nanoparticules de dioxyde de titane révèle que des incertitudes subsistent, notamment sur le potentiel de pénétration cutanée et sur l'activité phototoxique pour l'homme et sur la dispersion dans l'environnement.
L'étude révèle les mêmes incertitudes pour l'ingrédient alimentaire à base de silice, utilisé dans le sel, le sucre, le poivre etc comme antiagglomérant.
L'étude de ces quatre produits a révélé l'absence de données suffisantes sur les produits finis contenant des nanomatériaux et la nécessité de mettre en place des méthodologies d'évaluation multidisciplinaire appropriées.
De la nécessité d'améliorer les connaissances
''La difficulté, c'est que ce n'est pas la substance chimique mais la forme et la caractéristique du nanomatériau qui va conditionner sa toxicité, note Gérard Lasfargues, directeur général adjoint et scientifique de l'Afsset. Or, les nanomatériaux peuvent changer de forme entre la fabrication du produit, sa phase d'utilisation et sa fin de vie. On ne peut pas se contenter de faire des évaluations de risques classiques''.
Aujourd'hui, seuls 2 % des recherches sur les nanomatériaux seraient consacrés aux risques, contre 98 % au développement de ces matériaux. ''Les moyens de la recherche sur les risques vont devoir augmenter, note Martin Guespereau. L'Afsset se propose de s'autosaisir pour créer une grille de classification des risques des nanomatériaux. Il est possible de rendre cette grille opérationnelle d'ici deux ans. Il y a urgence à travailler sur la caractérisation puis sur la toxicologie et l'écotoxicologie. Il n'y a pas de temps à perdre avec les mots. Si les industriels de l'agroalimentaire ne considèrent pas utiliser de nanomatériaux mais plutôt des produits nanostructurés, nous considérons que ce sont des nanomatériaux même si ceux-ci dépassent le nanomètre. Donc oui, pour nous, certains aliments contiennent des nanomatériaux et il est nécessaire de travailler dessus''.
En attendant que la recherche progresse, l'Afsset préconise un certain nombre de mesures à prendre d'urgence pour limiter les risques liés aux nanomatériaux.
L'urgence et la précaution
''Au nom du principe de précaution, il faut dès aujourd'hui limiter les nanomatériaux aux usages essentiels. Les chaussettes antibactériennes sont un bon exemple d'usage non essentiel : le bénéfice est très court alors que la diffusion dans l'environnement peut avoir des effets à long terme avec un impact majeur sur l'eau. En revanche, les nanomatériaux apportent un vrai gain pour la protection solaire alors que les risques ne sont aujourd'hui pas évalués. Il faut néanmoins pousser très vite la connaissance. En attendant, la réponse doit être graduée, et il faut rechercher le plus possible les substitutions''. France Nature environnement va plus loin en demandant ''un moratoire partiel sur les nano-objets à usage non médical et en contact, dans leur usage normal, grand public, avec le corps humain : produits et emballages alimentaires, cosmétiques, produits bronzants, vêtements… L'actuel avis de l'Afsset et les recommandations qui y sont incluses ne font que conforter notre demande. Nous attendons des pouvoirs publics des décisions courageuses''.£L'Afsset recommande de rendre obligatoire la traçabilité des nanomatériaux, ''un devoir pour la science'' pour ne pas rééditer le scandale de l'amiante. ''Il faut rendre obligatoire les déclarations afin de connaître l'ensemble de la chaîne de production. Pour une technologie émergente comme celle-ci, il est essentiel de travailler avec les industriels. Certains jouent le jeu aujourd'hui. Mais dans le secteur de l'agroalimentaire, beaucoup n'arrivent pas à jouer la transparence. Nous devons pourtant unir nos forces''.
L'Agence préconise également la mise en place d'un étiquetage qui mentionne la présence de nanomatériaux dans les produits et informe sur la possibilité de relargage à l'usage. ''Ce n'est pas de la défausse, c'est un élément de responsabilité de toute la chaîne. Le consommateur a le droit de savoir''. Si l'étiquetage obligatoire des cosmétiques est prévu par un règlement européen dès la fin 2010, l'Afsset souhaite une remise à niveau des règlements européens sur l'ensemble des domaines concernés (agroalimentaire…). La difficile détection des nanomatériaux pose néanmoins la question des produits importés.