Comment adapter la gouvernance publique pour susciter et encourager le déploiement industriel des nanotechnologies et de la biologie de synthèse en France ? Tel est l'objet d'un rapport rédigé conjointement par les ministères de l'Agriculture, de l'Ecologie, de l'Economie, de l'Enseignement supérieur et de la Défense. Intitulé "Le déploiement industriel des nanotechnologies et de la biologie de synthèse sur les territoires, précurseur des manufactures du futur", le document (1) de 155 pages place "la question sociétale au cœur des enjeux de déploiement industriel sur les territoires".
Le document juge "urgent" de créer les conditions de la confiance entre industriels, chercheurs et société civile. Néanmoins, "compte tenu des échecs passés", et en particulier celui du débat national sur les nanotechnologies de 2009-2010, le rapport suggère un "investissement continu dans la culture scientifique, technique et industrielle, le dialogue permanent, banalisé sur les territoires, et en appui sur les acteurs régionaux institutionnels et industriels".
Objectif : que la France bénéficie de "ces technologies transverses et génériques [qui] servent autant la société de la connaissance et de l'information que la transition écologique et énergétique à l'horizon 2030". Les marchés mondiaux directs et indirects des nanotechnologies et de la biologie de synthèse sont estimés respectivement à 3.000 milliards et 10.000 milliards de dollars à l'horizon 2025, selon divers rapports internationaux.
Une démarche d'information et de concertation plutôt timorée
"Ces dernières années, des acteurs fortement engagés dans un combat contre les technologies émergentes (ONG, clubs de pensée…) ont pris position contre les nanotechnologies et, dans une moindre mesure, la biologie de synthèse, soulignant avec force les risques liés à l'usage de ces technologies tant pour la santé, l'environnement que pour les libertés publiques", constate le document.
Les manifestations et perturbations constatées lors du débat national sur les nanotechnologies de 2009-2010, ainsi qu'à l'occasion des premières manifestations de l'Observatoire de la biologie de synthèse, sont telles que "les pouvoirs publics, et à plus forte raison les industriels, ont adopté une démarche plutôt timorée en matière d'information et de concertation".
En conséquence, le document émet des "recommandations relatives à « l'acceptabilité sociale » des nanotechnologies et des autres technologies émergentes", car un "consensus social, même limité, s'avère nécessaire" à leur développement.
Les enjeux particuliers de la Défense
Le rapport formule cinq propositions spécifiques au secteur de la Défense.
Il s'agit, en premier lieu, d'"assurer le déploiement industriel nécessaire à l'armement".
Le deuxième objectif proposé vise à "contribuer à la préservation de la qualité et de la maîtrise des approvisionnements de Défense souverains" dans les deux domaines abordés.
"Se prémunir contre les risques fondamentaux liés aux nanotechnologies et à la biologie de synthèse dans un cadre national" est le troisième objectif proposé.
Le rapport plaide aussi pour que soit "[assurée] la prise en compte interministérielle des spécificités Défense dans le domaine des nanotechnologies et de la biologie de synthèse".
Enfin, il souhaite voir "[préservée] l'acceptation par la société de produits utiles à nos industries de Défense et nos industries duales, issus des nanotechnologies et de la biologie de synthèse".
La première priorité consiste à mieux connaître les risques. "Les spécialistes de l'évaluation des risques que la mission a rencontrés ont unanimement rappelé qu'on ignore encore en très grande partie les risques associés à ces technologies tant en termes sanitaires, d'impacts sur l'environnement ou de libertés publiques", rapportent les auteurs, précisant que "dans le domaine des nanotechnologies, l'existence de risques potentiels n'est pas mise en cause". Pourtant, les recherches sur les risques ne bénéficient que de "2 à 5% de l'ensemble des recherches en France sur les nanotechnologies".
Le rapport recommande de prendre en compte l'évaluation des risques dans les appels à projets de recherche et d'améliorer la participation des chercheurs français aux initiatives internationales en cours en matière de définition et d'harmonisation des procédures.
Appropriation des connaissances par le public et transparence
Une fois la connaissance acquise, la mission ministérielle propose deux voies de diffusion. La première consiste à favoriser l'appropriation de ces technologies par le grand public. Une "culture du risque" pourrait notamment être transmise à l'occasion des deux événements-phare organisés par le ministère de la Recherche et par le ministère de l'Industrie : la Fête de la science en octobre et la Semaine de l'industrie en mars ou avril. Le rapport recommande de confier aux Centres de culture scientifique, technique et industrielle l'organisation des deux événements.
Développer "l'appétence globale de la société pour la science" constitue une seconde priorité. Pour cela, le rapport préconise de s'inspirer des multiples initiatives destinées aux élèves et étudiants.
Par ailleurs, le rapport recommande d'améliorer la transparence et le débat, notamment par le biais des instances qui organisent des consultations avec certains représentants de la société civile. Il s'agit en particulier de l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), du Conseil national de l'industrie ou la direction générale de la prévention des risques. Dans ce domaine, le rapport déplore le manque d'efficacité de la "task force nano". "Elle aurait pu jouer un rôle très utile de coordination interministérielle interservices de l'action publique en matière de nanotechnologies mais n'a pas abouti à de réels résultats concrets", estiment les rapporteurs.
Participer à la normalisation
Par ailleurs, le document consacre un chapitre à la question de la traçabilité des nanomatériaux manufacturés, élément essentiel pour la conformité aux textes règlementaires. En effet, les déclarations des acteurs économiques, "pour être fiables et permettre l'exercice de contrôles par la puissance publique, ne peuvent que reposer sur une traçabilité physique de ces entités".
Or, "la Commission [européenne] a montré que les limites aux dispositifs de traçabilité des matériaux de synthèse sont sérieuses et doivent être surmontées", explique le document, précisant que "ces limites portent à la fois sur la définition des nanomatériaux et l'élaboration de méthodes techniques de caractérisation". Dans ce domaine, le rapport suggère "renforcer la présence et l'influence françaises dans les instances de normalisation européenne et internationale relatives aux nanotechnologies et aux biotechnologies".
Parmi les pistes avancées, figure le financement d'études prénormatives en langue anglaise correspondant aux priorités définies dans le cadre de l'Afnor pour les nanotechnologies et la biologie de synthèse.