Député européen EELV
Actu-environnement : Vous avez indiqué la semaine dernière que la Commission européenne avait ouvert une procédure de précontentieux à l'encontre de la France dans le dossier de Notre-Dame-des-Landes. Qu'en est-il ?
Sandrine Bélier : Des représentants associatifs à l'origine de recours à l'encontre du projet d'aéroport (1) et moi même, en tant que député européen, avons rencontré la direction générale de l'Environnement de la Commission européenne la semaine dernière. Les représentants de l'exécutif nous ont annoncé d'emblée qu'ils ont engagé une procédure de précontentieux appelée EU Pilot.
Dans le cadre de cette procédure, la France dispose de 10 semaines pour répondre à la Commission et cette dernière dispose de 10 semaines pour étudier cette réponse et engager une procédure en manquement. La procédure ayant été engagée en janvier, le premier délai s'achèvera mi-avril et le second mi-juin.
AE : Sur quelles bases juridiques s'appuient ces recours ?
SB : Fin 2012 des associations ont ouvert des procédures devant la commission des Pétitions du Parlement européen. Elles visent le non-respect de plusieurs directives européennes dans différents volets du dossier du projet aéroportuaire de Notre-Dame-des-Landes. La Commission européenne en a retenu certaines relatives à quatre directives.
En matière d'eau, les questions concernent la directive cadre sur l'eau (DCE) et les mesures à prendre d'ici 2015 pour le rétablissement du bon état des masses d'eau. Sont aussi visés l'artificialisation des sols sur zone humide et l'absence de compensation.
La réglementation Natura 2000 est aussi visée, notamment parce que le projet menace 26 espèces d'intérêt communautaire listées en annexe de la directive Habitats. En France le Conseil national de protection de la nature (CNPN), rattaché au ministère de l'Ecologie, doit rendre un avis dans le cadre de l'étude technique en cours. Il semble que le CNPN étudie de quelle façon on pourrait déclasser certaines espèces, mais cela semble bien difficile puisqu'il y a beaucoup d'espèces de tritons qui sont liées aux zones humides. Or, on ne peut pas reconstituer leur habitat pour les déplacer.
Un autre point soulevé concerne le respect des textes communautaires sur l'évaluation environnementale qui encadrent les études d'impacts. Ici, deux arguments se distinguent parmi l'ensemble des moyens avancés. Tout d'abord, le dossier ne présente aucune alternative au projet d'aéroport, alors que différentes options doivent être envisagées pour que l'option la moins préjudiciable à l'environnement puisse être retenue. La participation du public n'est pas respectée puisqu'il n'y a pas de choix possible entre le projet et des alternatives. Ensuite, la question de l'indépendance de l'expertise a été soulevée. La direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) a instruit le dossier et a procédé à l'évaluation environnementale. Elle est à la fois juge et partie.
Enfin, ce projet est un vrai millefeuille qui va à l'encontre de la directive Plans et Programmes qui prévoit qu'un tel projet fasse l'objet d'un seul et même dossier pour assurer sa clarté.
AE : Comment se déroule la procédure devant la commission des Pétitions du Parlement européen ?
SB : La dénomination "pétition" n'est pas forcément bien choisi car il évoque en France la notion d'une opposition à un projet soutenue par un certain nombre de citoyens. En réalité, il s'agit d'une procédure en précontentieux qui vise la résolution des conflits avant la saisine de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE).
Lorsqu'un citoyen, une association ou une partie-prenante estime que le droit européen n'est pas ou est mal appliqué, il peut saisir la commission des Pétitions du Parlement européen. En France, dans de telles situations on se tourne directement vers le pouvoir judiciaire, alors qu'en Europe le pouvoir législatif peut être saisi en amont au travers de la commission des Pétitions.
Une fois la commission des Pétitions saisie, elle reçoit le pétitionnaire et laisse ouverte ou clôt la pétition en fonction de la solidité des arguments. Si la pétition est recevable, le Parlement peut demander des compléments à l'entreprise ou l'Etat membre concerné, il peut enquêter sur place et, dans certains cas, il peut voter une résolution en plénière. Il s'agit donc avant tout d'un pouvoir de pression politique.
Pour instruire ces dossiers, le Parlement saisit la Commission européenne qui est garante de l'application du droit communautaire. Elle participe donc à la procédure d'audition et elle doit surtout agir rapidement pour répondre aux parlementaires en interrogeant directement l'entreprise ou l'Etat visé. C'est aussi l'un des intérêts de la démarche, puisque le dossier progresse plus rapidement.
AE : Qu'attendez-vous de cette procédure ?
SB : Cette procédure a démontré son efficacité. L'un des premiers cas que j'ai suivi en tant que parlementaire membre de la commission des Pétitions concernait des permis de construire accordés en zone Natura 2000 à Guérande en Loire-Atlantique. Face à cette procédure, le maire de la commune concernée a finalement retiré les permis de construire litigieux.
J'espère que dans le dossier de Notre-Dame-des-Landes nous n'irons pas jusqu'au contentieux et que l'Etat fera machine arrière en s'appuyant sur les arguments des pétitionnaires. Cette procédure lui offre l'occasion d'une sortie par le haut, quitte à ce qu'il se retranche derrière l'Europe qui l'empêche de mener à bien son projet.
Dans le dossier des algues vertes et du non respect de la directive Nitrates ce ne fut malheureusement pas le cas. Avant même le passage en commission des Pétitions le dossier a donné lieu à une procédure d'infraction devant la CJUE.