Le Sénat a organisé le mercredi 22 janvier un débat en séance plénière sur l'impact des pesticides sur la santé, en présence des ministres chargés de la santé, Marisol Touraine, et de l'agriculture, Stéphane Le Foll. Il fait suite au rapport de la mission commune d'information sur les pesticides rendu public en octobre dernier, qui dénonçait une sous-évaluation des risques liés à ces produits.
Séparation franche entre prescripteurs et fabricants
"Nous avons l'ardente obligation, en ne délivrant les autorisations de mise sur le marché (AMM) qu'avec prudence, d'éviter que les nouvelles molécules ne génèrent de nouveaux risques sur les personnes exposées et leurs enfants", avertit la présidente de la mission Sophie Primas (UMP – Yvelines). Les études qui sont consacrées aux effets sanitaires des pesticides "ne portent pas sur la durée de vie des animaux de laboratoire, moins encore sur la succession des générations", souligne Nicole Bonnefoy (Soc. – Charente), rapporteur de la mission. De plus, ajoute-t-elle, "au moment de la demande d'autorisation de mise sur le marché, la méthodologie révèle son insuffisance puisqu'elle se fonde sur la notion de dose journalière admissible, dite DJA, qui ne couvre pas les doses infimes responsables de perturbations endocriniennes ainsi que l'effet cocktail".
Concernant les AMM, "le gouvernement français doit agir pour faire évoluer la réglementation européenne, de même que pour les OGM", déclare Stéphane Le Foll, qui plaide pour "une séparation franche entre prescripteurs et fabricants, entre ceux qui proposent et ceux qui évaluent". Et le ministre de rappeler également sa décision de stopper l'utilisation du Cruiser sur le colza et des produits néonicotinoïdes, sur lesquels l'Efsa vient de se prononcer. "Nous travaillerons à renforcer le volet sanitaire des AMM", ajoute Marisol Touraine.
Réduire de façon significative l'utilisation des pesticides
En ce qui concerne l'utilisation des produits, "notre objectif est de la réduire de façon significative", rappelle le ministre. En 2012, le recours aux pesticides a augmenté de 2,5% "pour des raisons légitimes avancées par les agriculteurs", justifie-t-il, alors que le plan Ecophyto vise… une réduction de 50% des quantités utilisées à l'horizon 2018. Les questions fiscales pour parvenir à la séparation entre les activités de conseil et de vente des produits, de même que celle des équipements de protection individuels (EPI), doivent aussi être prises en compte, indique-t-il.
Sur ce dernier point, "l'obligation faite à tout agriculteur et professionnel utilisateur de suivre une formation de deux jours est une puissante incitation mais il faudrait aussi travailler sur les circuits de distribution", préconise Nicole Bonnefoy.
Pour le sénateur Jean-Noël Cardoux (UMP – Loiret), "on ne pourra réduire l'usage des pesticides sans contrepartie aux agriculteurs". Et d'ajouter : "on veut augmenter la redevance « pollution diffuse », je suggère d'améliorer plutôt la fiscalité existante. On pourrait porter à 25% le taux de la TVA sur les produits phytosanitaires impropres à l'agriculture biologique. Ce serait un levier plus efficace que d'interdire la vente de pesticides aux particuliers".
Cette dernière solution est préconisée par Joël Labbé (EELV – Morbihan) qui annonce le dépôt d'une proposition de loi à cet effet, qui interdirait également l'utilisation des pesticides par les collectivités territoriales et accompagnerait le développement des alternatives aux pesticides telles que les préparations naturelles peu préoccupantes (PNPP).
Mieux connaître les mécanismes d'action des pesticides
"Après l'AMM, le suivi des effets négatifs sur la santé laisse à désirer", dénonce Nicole Bonnefoy. Pour Stéphane Le Foll, "il y a désormais consensus sur les relations de cause à effet entre l'utilisation de certains pesticides et des problèmes de santé majeurs, tels des cancers".
Mais "il faudra mieux connaître les risques, c'est-à-dire les mécanismes d'action des pesticides et leur lien de causalité entre exposition au produit et maladie", estime Marisol Touraine. Qui se dit particulièrement attentive à l'expertise collective de l'Inserm sur les effets sanitaires des pesticides, à l'étude épidémiologique Agrican sur les cancers chez les agriculteurs et aux études de biosurveillance menées par l'Invs.
Pour mieux connaître les risques, "il faut généraliser les registres des cancers et les centraliser au niveau national", suggère Michelle Meunier (Soc. – Pays-de-la-Loire). "Le registre est-il le meilleur moyen de recueillir l'information sur les cancers ?", interroge, dubitative, la ministre de la Santé. "Nous en parlerons lors de l'élaboration du plan Cancer, que nous prolongeons", précise-t-elle.
Quant aux perturbations endocriniennes induites par les pesticides, elle rappelle la mise en place d'un groupe de travail sur les perturbateurs endocriniens, qui doit déboucher en juin 2013 sur une proposition de refonte de la réglementation. "Une refonte du système de vigilance est en cours, dont un décret sur la toxico-vigilance", a également indiqué la ministre.
En ce qui concerne enfin les maladies professionnelles dues aux pesticides, elles sont reconnues dans le régime général. "Elles devraient l'être aussi dans le régime agricole", estime le sénateur Gérard Le Cam (CRC – Côtes-d'Armor). L'enjeu de leur reconnaissance est de "formaliser les parcours des personnes ayant cotisé au régime général et au régime agricole", répond la ministre. "En outre, il faut harmoniser les procédures entre les commissions départementales", ajoute-t-elle.
Protéger les lanceurs d'alerte
"Les lanceurs d'alerte doivent être juridiquement protégés, à l'image de ce qui existe dans la lutte contre la corruption ou la sécurité des médicaments. L'action collective en matière de santé devrait être autorisée car les victimes isolées (…) ont les plus grandes difficultés à apporter seules les preuves de la contamination ou à payer les expertises", estime Henri Tandonnet (UDI – Lot-et-Garonne).
"Nous allons mettre en place un comité de déontologie et édicter une charte de l'expertise pour définir une procédure et être capable de réagir en cas de conflit d'intérêts", répond pour finir Marisol Touraine en réponse aux préoccupations des sénateurs relatives à l'indépendance de l'expertise.