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“Ressources minérales profondes polynésiennes : on sait ce qu'il faut chercher et où chercher”

Pierre-Yves Le Meur détaille les conclusions de l'expertise des ressources minérales profondes polynésiennes qu'il a présidée. Le potentiel est aujourd'hui mieux connu, même s'il doit encore faire l'objet d'exploration. Le principal point noir concerne l'environnement et les écosystèmes.

Interview  |  Biodiversité  |    |  P. Collet
   
“Ressources minérales profondes polynésiennes : on sait ce qu'il faut chercher et où chercher”
Pierre-Yves Le Meur
Chercheur à l’IRD et président du collège des experts de l'expertise sur les ressources minérales profondes en Polynésie française
   

Actu-Environnement : Pourquoi réaliser une expertise sur les ressources minérales profondes en Polynésie française ?

Pierre-Yves Le Meur : Le point de départ est une commande du gouvernement de la Polynésie française et de l'Etat français. Ils souhaitaient un état des lieux des connaissances sur le sujet, ainsi que des recommandations pour construire un cadre à l'éventuelle mise en place d'une politique publique dans le secteur de la mine sous-marine. Le travail s'est initialement construit autour d'un paradoxe apparent : d'un côté, il fallait "déminer" les fantasmes autour d'un trésor sous-marin constitué de terres rares et, de l'autre, il s'agissait d'identifier et de qualifier des ressources minérales potentielles dans une optique de développement économique.

Pour y parvenir, nous avons constitué un collège d'experts très divers, allant de la géologie à l'anthropologie, en passant par l'économie, le droit, la technologie ou encore la biologie. Le collège a compilé et analysé la littérature grise et scientifique, consulté des experts sur certains points et construit un jeu de recommandations détaillées dans le cadre d'un dialogue régulier avec les commanditaires.

AE : Finalement, qu'en est-il de la ressource ?

PYLM : Les conclusions sont assorties de beaucoup de réserves, car les connaissances sur les ressources minérales et leur localisation sont extrêmement lacunaires. Il en est de même pour les milieux écologiques qui les entourent. Malgré tout, on peut dire certaines choses.

Tout d'abord, les terres rares ne semblent pas présentes en quantité suffisante pour présenter un intérêt économique. L'idée contraire avait été alimentée par une étude japonaise (Kato et al.) qui faisait des généralisations très hâtives à partir de 78 forages réalisés sur une vaste zone du Pacifique, dont simplement deux en Polynésie française. De plus, elle datait de 2011, une période où le prix des terres rares atteignait des pics. Avec l'apparition de substituts, une chute radicale des cours, de l'ordre de 80%, a été enregistrée. S'agissant des nodules polymétalliques, il y a sans doute un potentiel au nord-ouest de la zone économique exclusive (ZEE), vers les îles Cook, mais il doit être exploré pour être confirmé. Quant aux amas sulfurés, ils sont hors sujet pour la Polynésie car ils ne se trouvent qu'au contact de plaques tectoniques, ce qui n'est pas le cas de la zone.

Finalement, les encroûtements cobaltifères constituent le potentiel le plus intéressant, d'autant qu'ils se situent à une profondeur moins importante que celle où se trouvent les nodules. Ils sont présents entre 800 et 4.000 mètres sur des monts sous-marins au sud des îles de la Société et à proximité de l'archipel des Tuamotu. De plus, la demande de cobalt est forte, notamment avec le développement des batteries et des super alliages, et faute de perspective de substitution du cobalt à moyen terme, les prix sont élevés. Le marché étant très polarisé, avec un producteur principal, la République du Congo, et un consommateur dominant, la Chine, il y a de la place pour de nouveaux acteurs. Enfin, le substrat sur lequel reposent les encroûtements pourrait représenter une ressource complémentaire en phosphate, surtout dans l'archipel des Tuamotu.

AE : Compte tenu de ces constats, que recommande l'étude ?

PYLM : Maintenant, on en sait plus sur ce qu'il faut chercher et où chercher. Notre première recommandation est donc de lancer une campagne d'exploration ciblée. Il faudrait établir des campagnes mixtes afin de connaître la ressource et l'écosystème. Ensuite, il faut se pencher sur les enjeux technologiques. Disposons-nous de techniques d'exploration in situ suffisamment fines ? Les technologies existent mais doivent être améliorées, notamment s'agissant des micro-forages. Sommes-nous capables d'exploiter la ressource ? Il faut surtout élaborer des robots capables de décoller les encroûtements et de les broyer.

AE : Quelles sont les conclusions sur le plan environnemental ?

PYLM : Le principal point noir concerne l'environnement et les écosystèmes, car les connaissances sont très lacunaires. La seule hypothèse dont on dispose est que ces écosystèmes se construisent extrêmement lentement, sur le plan géologique et biologique. En cas de dégradation, leur reconstitution pourrait être très longue. Nous ne sommes pas en présence d'une ressource qui se reconstitue relativement rapidement, comme dans le cas des amas sulfurés. Ici, il ne s'agit pas de "récolter" une ressource, comme le laissent entendre les entreprises qui s'apprêtent à expérimenter l'exploitation des amas sulfurés, et la question du "pas de temps (1) " concerné est cruciale.

Le milieu se reconstituera-t-il rapidement ? A l'identique ? Les questions restent ouvertes et les réponses dépendront, notamment, du degré de micro endémisme des fonds visés. Comme il s'agit de montagnes sous-marines, les communautés écologiques peuvent varier d'un mont à l'autre. Si c'est le cas, la politique, par ailleurs peu consensuelle, qui consisterait à "sacrifier" une ou deux montagnes tout en préservant les autres pose problème.

AE : Les politiques minières peuvent poser des problèmes d'acceptabilité. Que recommande l'étude sur ce point ?

PYLM : En tant qu'anthropologues, Tamatoa Bambridge et moi avons beaucoup insisté sur le fait que les espaces marins hauturiers ne sont pas des espaces vides, méconnus et non appropriés par les populations. Or, on assiste actuellement à une véritable "course à la mer" autour d'enjeux économiques (ressources halieutiques et minières), politiques (souveraineté) et environnementaux (aires marines protégées/AMP), comme s'il s'agissait d'une mare nullius à l'instar de la terra nullius (2) coloniale. Ce n'est pas le cas. En Polynésie, ces espaces sont connus, sont nommés, sont utilisés et sont intégrés à la cosmogonie et aux représentations locales du continuum terre-mer.

Il faut donc prendre en compte ces éléments, sinon on peut aller au devant de très fortes réactions des populations locales. On l'a vu à Wallis et Futuna où les campagnes d'exploration ont dû être stoppées. Lorsque l'Etat français a évoqué une réglementation sur le sujet, les autorités coutumières sont intervenues et ont fait valoir qu'elles devaient être consultées. Aujourd'hui, tout est bloqué. Ce qui est intéressant dans l'exemple polynésien, c'est que le gouvernement se saisit du sujet très en amont, c'est-à-dire 15 à 20 ans avant une éventuelle exploitation. Cela permet de construire très tôt un cadre de politique publique inclusif et transparent. Au-delà des questions économiques et environnementales, l'enjeu d'une politique minière est de lever les incertitudes normatives (quelles sont les règles du jeu) et morales (quel est le degré de confiance entre les parties). La Polynésie peut y parvenir si elle progresse étape par étape sans verrouiller sa stratégie minière trop en amont.

1. Le pas de temps correspond ici à l'intervalle de temps entre la collecte des amas sulfurés et leur reconstitution.2. Il s'agit d'un territoire sans maître, c'est-à-dire d'un territoire (potentiellement habité) qui n'appartient à aucun Etat. C'est une des bases sur lesquelles s'est appuyée la colonisation.

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