Alors qu'est menée l'évaluation du deuxième plan national santé environnement (PNSE 2) et que va commencer l'élaboration du troisième plan, l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris) a présenté une nouvelle méthode de hiérarchisation des substances. Cet outil, qui aura nécessité trois ans de travail, devrait être un appui à la décision pour sélectionner les substances dont il faudra réduire les rejets dans le cadre du PNSE 3. Son élaboration a d'ailleurs été suivie par le groupe de travail 1 du PNSE 2.
Le plan santé environnement 2009-2012 a fixé un objectif de réduction de 30% des émissions dans l'air et dans l'eau de six substances toxiques d'ici 2013 (mercure, arsenic, hydrocarbures aromatiques polycycliques, benzène, perchloroéthylène et PCB/dioxines). Ces substances ont été définies comme prioritaires en croisant différentes listes sur des critères de toxicité (classements du CIRC (1) et de l'Union européenne), de quantités utilisées ou parce que des réglementations les considéraient déjà comme prioritaires (
La méthode présentée par l'Ineris vise à affiner, grâce à une approche multicritère, la priorisation des substances. "Cette démarche originale tient compte, dans la construction d'une liste de priorités, de la pluralité des avis scientifiques et également des perceptions sociétales", indique l'Ineris, ajoutant : "La prise de décision ne peut tenir compte des seuls critères scientifiques et aboutit souvent à un arbitrage entre plusieurs critères de nature parfois fort différente".
Trois logiques de priorité différentes et complémentaires
Pour identifier les substances à évaluer, l'Ineris s'est basé sur une combinaison de listes hiérarchisées (2) existantes (200 substances identifiées) et a complété cette liste avec des substances émergentes après consultation d'experts et de personnes issues de la société civile. Finalement, la liste à hiérarchiser compte 319 substances.
Celles-ci sont ensuite passées au crible de dix critères, comme la source de la contamination (activités anthropiques ou origine naturelle), l'exposition (dispersée ou confinée), sa persistance dans les milieux et les organismes vivants (bioaccumulation), l'impact sur les populations sensibles (femmes enceintes, enfants…), les risques environnementaux et sanitaires, le danger intrinsèque pour la santé (CMR (3) , perturbateur endocrinien), le coût et la difficulté technique de la réduction des émissions. A ces dix critères sont ajoutés une note de qualité, autrement dit une mesure de la disponibilité et de la qualité des données utilisées, et un indicateur de perception sociétale, qui mesure le niveau de préoccupation de la société vis-à-vis de cette substance.
Les dix critères ont été pondérés après consultation d'un groupe de personnes issues de la société civile. "Cette phase a montré une distinction en deux sous-groupes sur la pondération de certains critères : le groupe G1 met en avant la notion de « populations fragiles » tandis que le groupe G2 donne plus de poids au critère « population totale exposée »", explique l'Ineris. Deux listes de hiérarchisation ont donc été définies : "Ce clivage risque individuel/risque global se retrouve partout, dans les réglementations, selon les pays…", analyse Philippe Hubert,directeur des risques chroniques à l'Ineris.
Ces deux groupes ont en revanche classé prioritaire le critère de danger (30%), alors que ceux des risques environnementaux et sanitaires sont jugés moins importants (entre 2% et 9%).
C'est pourquoi l'Ineris a décidé de définir une troisième liste de hiérarchisation, basée sur l'indicateur de risque collectif (IRC), inspiré de la méthode qu'Eurostat utilise pour suivre les impacts du règlement Reach.
Les limites actuelles de l'évaluation des risques
Les différents résultats de ces listes sont riches d'enseignements. Selon la pondération du groupe 1, plus préoccupé par les populations sensibles, les substances classées en haut de la liste, dans l'ordre des priorités, sont le benzo(a)pyrene (B(a)P) et le phtalate DEHP, puis le benzène, la dioxine, l'insecticide DDT et le phtalate DBP, le 1,4-Dichlorobenzene, le cadmium et le mercure. La pondération du groupe 2, plus sensible à l'impact sur l'ensemble de la population, classe prioritaires (dans l'ordre de hiérarchisation) la dioxine, le DDT, le benzène et le mercure, le trichloréthène et le DEHP, le perchloroethylene, l'arsenic et le cadmium.
L'IRC classe quant à lui comme prioritaires des PCB, la dioxine et le DEHP.
Pour l'Ineris, "les trois listes de substances obtenues sont complémentaires et portent chacune sur trois logiques de priorité différentes" : population sensible, taille de la population exposée et risque collectif. Plus largement, "la comparaison des ordres de priorisation confirme la présence, dans les 100 premiers rangs, de polluants représentant les grandes familles connues et visées par les plans nationaux santé environnement : HAP, pesticides, métaux lourds, solvants chlorés, dioxines, PCB…". Une quarantaine de substances (4) , dans les 100 premiers rangs, sont communes aux trois listes.
Les points de divergences sont également intéressants. Ainsi, le bisphénol A est classé plus prioritaire par le G1 (21ème rang) que par le G2 (50ème rang), en raison de son caractère perturbateur endocrinien sur les nourrissons et les femmes enceintes. En revanche, il est classé au 152ème rang par l'IRC, "parce que le caractère PE (5) d'une substance n'est pas calculé dans la démarche actuelle d'évaluation des risques, qui se fonde sur des Valeurs toxicologiques de référence (VTR) ne traduisant pas les mécanismes d'action PE".
Autre limite révélée par l'exercice : la faiblesse des données disponibles sur certaines substances et leurs effets, qui méritent donc une étude approfondie. C'est le cas des perturbateurs endocriniens, qui n'ont pas d'autres effets que ce caractère PE, et dont l'impact sur la mortalité, la baisse de fertilité n'est pas mesurable.