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Actu-Environnement

“L'interdiction d'exploitation des ressources en Antarctique a une inertie énorme”

Alors qu'un rapport d'un institut australien remet en cause le statut actuel de l'Antarctique, Michel Rocard, ambassadeur de France pour les pôles, revient sur la gouvernance du continent blanc et les craintes soulevées par ce rapport.

Interview  |  Biodiversité  |    |  P. Collet
   
“L'interdiction d'exploitation des ressources en Antarctique a une inertie énorme”
Michel Rocard
Ambassadeur de France pour les pôles
   

Actu-environnement : Quelles sont les grandes dates de la protection de l'environnement en Antarctique ?

Michel Rocard : Au début du XXème siècle, sept pays, dont la France (1) , revendiquaient des territoires en Antarctique. Cela a abouti à la signature du Traité sur l'Antarctique en 1959 qui fait du continent blanc une terre démilitarisée, reconnaît les revendications territoriales sans trancher sur les zones convoitées par plusieurs Etats, promulgue l'interdiction de nouvelles revendications territoriales, interdit la matérialisation des frontières et crée les bases de l'entraide scientifique entre les Etats.

A.E : A ce stade, l'écologie est absente des préoccupations liées au continent.

M.R : Effectivement et c'est pour cela que le Traité est ensuite complété par des protocoles : en 1972, un premier texte vise la protection des phoques et en 1980 un deuxième organise la protection de la faune et de la flore marine.

En 1988, à la demande des scientifiques néo-zélandais, est signée la Convention de Wellington (Nouvelle-Zélande) réglementant les conditions d'exploitation des ressources minières du continent. On passe alors d'une situation ou n'importe qui disposant des moyens techniques pouvait exploiter les ressources minérales, à une situation où un système très complexe d'autorisations doit être respecté de l'exploration à l'exploitation.

A.E : C'est ce texte qui empêche aujourd'hui les activités en Antarctique ?

M.R : Non, c'est le fruit d'une autre négociation qui débute en 1989 avec la visite à Paris du Premier ministre australien, Robert Hawke. Celui-ci s'inquiète devant moi du refus du Parlement australien de ratifier la Convention au motif qu'elle ne protège pas suffisamment l'environnement. Hawke et moi décidons alors de faire un "coup d'état procédurier" en rédigeant ensemble, et sans informer nos ministres des Affaires étrangères, un court communiqué déclarant que nous ne ratifierions pas cette convention et demandant l'ouverture immédiate de négociations beaucoup plus ambitieuses. Malgré l'opposition de nombreux gouvernements, notamment celui des Etats-Unis qui jugeait absurde de vouloir laisser en place des ressources immenses, les négociations auront lieu.

Elles se tiennent en Espagne et aboutissent à la Convention de Madrid en 1991. Ce texte déclare l'Antarctique "terre de sciences, réserve naturelle, élément du Patrimoine de l'Humanité, interdite à toute activité minéralogique". Ceci est valable pour 50 ans, à compter de son entrée en vigueur, et renouvelable par tacite reconduction. La Convention entre en vigueur en 1998, protégeant ainsi l'Antarctique de toute exploration et exploitation jusqu'en 2048.

A.E : Pourtant, en août, l'institut australien Lowy a publié un rapport (2) selon lequel les 42 % de l'Antarctique attribués à l'Australie seraient menacés par certains Etats qui porteraient un intérêt grandissant aux ressources, notamment énergétiques, du continent.

M.R : La Convention fonctionne bien, mais il y a toujours des doutes et ce papier ouvre une perspective dangereuse. C'est un texte étrange, et en premier lieu parce qu'il fait état de 203 milliards de barils de pétrole en Antarctique, un volume colossal. Le chiffre avancé semble farfelu et je constate que sur de tels sujets il y a quantité de gens qui aiment publier des chiffres élevés mais hasardeux. C'est un premier doute quant à cette étude parce que si la réalité est moindre, l'intérêt de modifier le Traité et la Convention s'estompe.

A.E : Certains observateurs estiment que ce document traduit des réflexions gouvernementales quant à une éventuelle exploitation des ressources du continent.

M.R : Je ne le pense pas, surtout que les Australiens s'apprêtent à fêter le 4 octobre les 20 ans du traité et à se glorifier d'être à l'origine du texte. Je vois l'Australie dans un rôle de protecteur du continent.

De plus, nous parlons d'une exploration puis d'une exploitation qui débuterait dans 37 ans. Si l'on cherche effectivement à extraire le pétrole de l'Antarctique à cette date, c'est que nous aurons échoué à transformer nos modèles énergétiques et à lutter contre les changements climatiques. Nous serons dans une période beaucoup plus rude en matière d'événements climatiques et l'urgence sera là. Je ne fais pas du tout l'hypothèse que l'on puisse se préoccuper tranquillement de l'exploitation pétrolière à un horizon de 40 ans.

A.E : Justement, les signataires de la Convention anticipent-ils des négociations tendues à l'issue des 50 premières années de protection de l'Antarctique ?

M.R : Il n'y a que 48 signataires du Traité de l'Antarctique qui chapeaute tous les textes suivants, parmi lesquels 34 ont signé la Convention de Madrid. Avec 193 membres reconnus à l'ONU, il manque encore du monde…

Dans l'optique de négociations difficiles en 2048, Robert Hawke et moi-même avons obtenu une résolution mandatant l'Australie, l'Espagne et la France pour obtenir la signature de la Convention par les 14 signataires du Traité qui ne l'ont pas encore fait.

On va faire en sorte qu'il y ait le plus de signataire possible pour que sa modification devienne difficile, surtout que la modification du texte se fait à la majorité. Plus il y aura de membres et plus il y aura d'Etats préoccupés par les impacts des changements climatiques et moins il sera possible de trouver une majorité d'Etats intéressés à la ressource et capable de l'exploiter.

S'agissant de l'interdiction d'exploitation des ressources, je crois que la reconduction par tacite renouvellement de la Convention de Madrid a une inertie absolument énorme.

1. Il s'agit de l'Argentine, l'Australie, le Chili, la France, la Norvège, la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni.2. Consulter le rapport
http://www.lowyinstitute.org/Publication.asp?pid=1661

Réactions2 réactions à cet article

Merci pour ce reportage, Mr Philipe Collet
En effet dans les années 90 , j'ai participé via la pétition fourni du Commandant Cousteau à préserver l'Antartique et l'interdiction d 'exploitation de ces lieux, j'avais 30 ans , tout le monde dans l'entreprise du salarié à la direction générale avait signé cette pétition,tous les pétitions ont été transmises au plus haut niveau pour préserver cette partie de notre planète, aujourd'hui j' ai 50 ans et je ne peux qu féliciter et d'encourager l'initiative de Mr Michel Rocard
Ambassadeur de France pour les pôles si vous pouvez transmettre ce message à Mr Michel Rocard je vous en remercie cordialement henri

Henri | 22 septembre 2011 à 07h44 Signaler un contenu inapproprié

En 2048 que restera-t-il de la biodiversité planétaire si l'humanité continue sur sa course folle à la croissance, comme si une croissance infinie était possible sur une petite planète déjà surpeuplée et surexploitée.
Il est peu probable que l’Antarctique puisse être préservé de la folie des hommes, sauf si dans un improbable sursaut de lucidité l"humanité ouvre les yeux et essaye de vivre en harmonie avec la planète tout en préservant l'avenir des générations futures.

René Varenge | 22 septembre 2011 à 11h18 Signaler un contenu inapproprié

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