L'effort du monde agricole est cependant loin d'être négligeable : plus de 2,795 Mds€ ont été investis avec l'appui des pouvoirs publics pour maîtriser la pollution des eaux par les nitrates dans le cadre des Programmes de Maîtrise des Pollutions d'Origine Agricole (PMPOA) I et II. Une étude de l'Institut de l'élevage montre notamment que les PMPOA I et II ont contribué à une meilleure gestion de 80 % de l'azote organique produit en Zone Vulnérable. ''Cela se traduit par une amélioration de la qualité de l'eau dans les régions d'élevage où les exploitants se sont massivement engagés dans ces programmes'', témoigne Joseph Menard, vice-président eau et environnement de l'APCA.
Atteindre le bon état écologique des masses d'eau d'ici 2015, tel est l'objectif de la Directive Cadre sur l'Eau. Mais ''l'évaluation en 2008 du 3ème Programme d'Action de la Directive Nitrates donne des résultats insuffisants pour répondre aux objectifs de la DCE'', affirme Valérie Maquère, de la Direction générale des politiques agricole, agroalimentaire et des territoires du Ministère de l'Agriculture, de l'Alimentation et de la Pêche.
Au moment où le 4ème Programme d'Action (PA) entre en vigueur, avec 80 % des PA départementaux déjà validés, et sachant qu'il sera évalué au niveau national avant d'être pleinement mis en œuvre (!), l'APCA a jugé bon de regarder comment s'applique cette directive européenne chez nos voisins européens. Les élus entendent là aussi anticiper sur la nécessaire conciliation des 4èmes PA départementaux avec la mise en œuvre dès le 1er janvier prochain des Schémas Directeurs d'Aménagement et de Gestion des Eaux (SDAGE, valant plan de gestion au titre de la DCE) et dès 2012, des Mesures Agro Environnementales financées par les Agences de l'eau pour la protection des « 500 captages prioritaires du Grenelle de l'environnement ».
Comparaison européenne : des bases communes, des particularités locales
Quels Etats-Membres autres que la France, où 80 % des ressources en eau potable proviennent des eaux superficielles, sont soumis à des contentieux pour non respect du seuil de 50 mg de nitrates/litre ? Luisa Samarelli de l'unité Agriculture, sols et forêts de la DG Environnement de la Commission européenne ne peut répondre : il s'agit de contentieux pour non respect de la Directive sur les eaux brutes superficielles destinées à la consommation humaine. Selon l'étude non exhaustive de l'APCA, à laquelle 15 Etats membres ont répondu, ce seuil de 50 mg de nitrates/litre est en général celui retenu pour identifier une pollution aux nitrates des eaux superficielles et souterraines au titre de l'application de la directive Nitrates, considérée maintenant comme une directive fille de la DCE.
Par contre, la France n'est pas le seul Etat-Membre à se trouver en contentieux pour non respect de la désignation des Zones Vulnérables (ZV) rendue obligatoire au titre de la Directive Nitrates. Le Royaume-Uni, Italie, Portugal, et la Région Wallonie ont déclaré à l'APCA être dans ce cas. La raison de ce contentieux pour la France n'est pas précisée. Certains notent cependant qu'au contraire de l'Autriche, Finlande, Allemagne ou du Danemark, elle a fait le choix de ne considérer que des parties de son territoire en ZV. Et que ce choix repose parfois plus sur un critère politique que de vulnérabilité hydrogéologique (présence de karst ou d'un aquifère en sous-sol) ou de pente du sol (facteur aggravant le lessivage). En outre, au regard de l'augmentation de la taille des exploitations et de la baisse du nombre d'agriculteurs, cette répartition - exclusive de certains départements tels que la Dordogne - semble discutable.
C'est d'ailleurs ce constat qui conduit le Danemark, pays précurseur dans la mise en œuvre de la Directive Nitrates (avant même son adoption en 1991) où la densité d'élevages est équivalent à celle de la Bretagne et où 95 % de l'eau potable provient de ressources souterraines, à engager ses éleveurs dans une « croissance verte » adoptée en juin dernier. Un des objectifs est d'atteindre 50 % de biogaz produit à partir des déjections et effluents animaux en 2020. ''A l'avenir nos porcs seront producteurs d'énergie et non plus seulement produits de viande !'', s'est exclamé Erik Jorgensen, expert en environnement du Bureau Agriculture&Alimentation Danois. Osés, les Danois ! Dès le milieu des années 80, ils ont choisi de réduire de 50 % la charge en nitrates d'origine agricole ''pour préserver leur environnement''. Et en 1998, dans le cadre du PA Directive nitrates, ils ont décidé de réduire de 10 % les quotas d'apports azotés par rapport à l'optimum de production, quitte à devoir importer du blé panifiable ! ''Sans pour autant mettre en péril la souveraineté du pays'', relativise Erik Jorgensen. Il n'empêche, à entendre les réactions dans la salle de l'APCA, les agriculteurs sont prêts à s'engager dans la protection de l'environnement mais pas au détriment de la production agricole.
Justement, ''Si la Directive Nitrates était parfaitement mise en œuvre, sans autres mesures liées à la politique de l'air notamment, cela permettrait une réduction estimée à 14 % les émissions d'ammoniac en 2020 par rapport à 2000, et à 6% de celles du gaz à effet de serre qu'est le protoxyde d'azote'', encourage Luisa Samarelli.
2010 : prochaine évaluation de la Commission européenne
Dans le cadre de leurs Programmes d'Action, les Etats Membres sont soumis à l'obligation de prendre un certain nombre de mesures : définir des périodes d'interdiction d'épandage, des capacités de stockage des engrais d'origine organique (lisier, etc.), épandage sur sols en fortes pentes et à proximité des cours d'eau, équilibre de la fertilisation, respect du 170 kg d'azote organique/ha/an. Le coût/efficacité de chacune de ces mesures prises pour réduire la présence de nitrates dans les eaux doit maintenant figurer dans le rapport d'évaluation remis tous les quatre ans à la Commission européenne. À ce jour, seuls deux ou trois Etats-Membres s'y soumettent. La France, non. Or, il serait intéressant de connaître cette donnée en ce qui concerne une mesure facultative au titre de la Directive Nitrates, adoptée dans le cadre du 4ème Programme d'Action français pour répondre à l'un des objectifs du Grenelle de l'Environnement : « 100 % de couvertures des sols » à l'automne d'ici 2012 pour éviter le lessivage des sols lors du pic de minéralisation. L'efficacité de cette mesure « généralisée » et coûteuse (environ 80 €/ha pour un CIPAN, Culture Intermédiaire et Piège à Nitrates) fait l'objet de contestation dans la profession agricole, notamment lorsqu'elle s'applique aux terres argileuses en zone humide. Une pratique interdite au Danemark. ''Lorsque cette implantation [de CIPAN] est problématique, s'engager collectivement dans la réflexion sur la gestion du risque azoté pendant l'interculture avec pour objectif la préparation du 5ème programme d'actions, tempère Valérie Maquère. La voie est ouverte aux expérimentations locales, aux mécanismes de substitution.
L'évaluation des PA 2004-2007 des différents Etats-Membres sera rendue publique début 2010. D'ores et déjà, il est annoncé une amélioration ou une stabilité de la qualité des eaux souterraines sur 70 % des points de surveillance du réseau Nitrates et une dégradation sur 30 % des points. Cette proportion serait la même sur les eaux superficielles. Par contre, un problème d'interprétation des données se poserait pour évaluer la qualité des eaux marines et le caractère d'eutrophisation des eaux. « L'un des critères retenus pour la détermination des Zones Vulnérables étant l'eutrophisation, le programme d'action adopté par chaque Etat Membre doit être applicable là où les eaux douces sont eutrophisées », précise Luisa Samarelli. La France a choisi d'adopter une définition du « cours d'eau » jugée complexe par le monde agricole, mais n'a pas encore défini la notion d'« eutrophisation » de l'eau - l'Espagne non plus. Les « marées vertes » bretonnes annonceraient-elles de nouveaux contentieux avec la Commission européenne ?