La crise nippone rappelle le risque inhérent d'une filière électronucléaire et entraîne des décisions politiques immédiates chez certains : arrêt du programme de renouvellement des centrales en Suisse, lancement d'un programme de vérification de la sécurité des centrales en Inde, suspension du prolongement de la durée de vie de ses 17 réacteurs en Allemagne, demande d'une évaluation de la sûreté des centrales européennes en Italie (programme électronucléaire arrêté suite à la catastrophe de Tchernobyl) et en Autriche (programme électronucléaire arrêté depuis 30 ans). En France, pays le plus nucléarisé au monde où tous nous habitons à moins de 200 km d'une centrale, nulle décision n'a encore été prise, pas même celle d'arrêter la centrale de Fessenheim située sur une zone sismique, mise en service en 1978. Le fait de ne pas avoir vécu d'accident nucléaire majeur nous donnerait-il le luxe de ne pas avoir à regarder les risques droit dans les yeux ?
Gestion de crise post-accidentelle nucléaire
Pourtant, depuis les attentats du 11 septembre 2001, le risque d'accident nucléaire majeur n'est plus considéré comme « inévitable », tandis que le programme électronucléaire s'est construit dans les années 70 dans un climat de confiance liée à la force de frappe et de dissuasion française. Suite à l'adoption de la loi sur la Transparence et la sécurité en matière nucléaire du 13 juin 2006 (dite loi sur le TSN) et à la directive interministérielle du 7 avril 2005 sur l'action des pouvoirs publics en cas d'évènement entraînant une situation d'urgence radiologique, l'ASN (Autorité de Sûreté Nucléaire) a mis en place un Comité directeur pour la gestion de la phase post-accidentelle nucléaire ou d'urgence radiologique (CODIR-PA). Depuis lors, plus d'une centaine de personnes (représentants de CLI, d'associations de défense de l'environnement, d'instituts scientifiques, etc.) se sont attelées à construire une « doctrine » ad-hoc pour faire face à la nouvelle société susceptible d'émerger après une telle crise.
Actuellement, le CODIR-PA est justement en train de rendre les dernières recommandations de ses groupes de travail : levée des actions d'urgence de protection des populations et réduction de la contamination en milieu bâti ; vie dans les territoires ruraux contaminés, agriculture et eau (guide d'aide à la décision pour la gestion du milieu agricole en cas d'accident nucléaire accessible sur le site du ministère en charge de l'agriculture) ; évaluation des conséquences radiologiques et dosimétriques ; suivi sanitaire des populations (guide national d'intervention médicale en cas d'évènement nucléaire ou radiologique accessible sur le site de l'ASN) ; indemnisation (et non pas seulement de l'impact sur la production agricole) ; gestion des déchets, produits contaminés et terres contaminées ; organisation des pouvoirs publics et implication des « parties prenantes » (associations, entreprises, etc.) ; impact et gestion de la ressource en eau ; choix des hypothèses retenues pour les évaluations des conséquences radiologiques et dosimétriques.
Cette doctrine a été élaborée en se basant sur le retour d'expérience de la catastrophe de Tchernobyl, notamment en Biélorussie où un quart du territoire est souillé et transformé en « déchet », avec des zones interdites pour des centaines d'années. Elle se base aussi sur une gestion de crise stabilisée, avec arrêt de dispersion du panache et retombées effectives sur le sol, après un accident de niveau 3-4 sur l'échelle INES. La crise au Japon va-t-elle entraîner la décision de donner les moyens de poursuivre ce travail prévu pour se terminer à la fin de l'année dernière et de le décliner au niveau local sur l'ensemble du territoire français, en envisageant un scénario pire encore ? Après tout, la centrale de Gravelines, la plus importante d'Europe, ou le site de retraitement nucléaire de La Hague se trouvent eux aussi en bord de mer...