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Actu-Environnement

Le projet de loi sur la biodiversité entend faire reconnaître les savoirs traditionnels

Examiné à partir du 16 mars par l'Assemblée nationale, le projet de loi relatif à la biodiversité comporte un volet consacré à l'application du protocole de Nagoya sur l'accès aux ressources génétiques et le partage des avantages découlant de leur utilisation.

Décryptage  |  Biodiversité  |    |  A. Sinaï

Dans le sillage du Protocole de Nagoya, la France est en passe d'adopter une législation sur l'accès aux ressources génétiques et le partage des avantages (APA) liés aux savoirs traditionnels sur les plantes et les semences. La situation française est marquée par une double singularité : la France, avec ses territoires d'outre mer, détient un patrimoine exceptionnel de biodiversité. A ce titre, elle se classe parmi les pays fournisseurs de ressources génétiques et des savoirs traditionnels associés. Mais elle en est aussi une grande utilisatrice, à travers ses trois industries majeures que sont le secteur pharmaceutique (52 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2012), le secteur cosmétique (chiffre d'affaires global de près de 16 milliards d'euros en France depuis 10 ans) et l'industrie agroalimentaire (chiffre d'affaires hors taxe de 159 milliards d'euros en 2010).

La France, par ses départements, régions et territoires d'outre mer, est pleinement concernée par ces enjeux. Les collectivités ultramarines recèlent globalement 26 fois plus de plantes, 3,5 fois plus de mollusques, 100 fois plus de poissons d'eau douce et 60 fois plus d'oiseaux endémiques que la France métropolitaine, ainsi que le rapporte la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB). Exemple : ce sont les connaissances traditionnelles des peuples de Polynésie et de Nouvelle-Calédonie qui ont permis à l'IRD d'identifier une plante dite faux tabac, et, par la suite, de déposer un brevet sur la molécule de l'Heliotropium foertherianum, efficace contre la ciguatera (maladie de la gratte) et couramment utilisée par les peuples autochtones.

Des régulations éparses outre-mer

Certains des territoires d'outre mer connaissent déjà des régulations de l'accès à leurs ressources génétiques et savoirs traditionnels. C'est le cas du sud de la Nouvelle Calédonie, où les activités de collectes doivent faire l'objet d'une demande d'autorisation auprès de la direction de l'environnement de la province. Dans le cas de terres coutumières, le demandeur doit également joindre un acte attestant de l'accord des populations concernées. En contrepartie de l'accès aux ressources et uniquement en cas de bénéfices issus de la vente de ces ressources ou de produits de ces ressources, les parties s'accordent sur les compensations financières.

En Guyane, la Charte du Parc amazonien définit la procédure d'autorisation des demandes d'accès instruites par le Conseil régional et les modalités de partage des bénéfices résultant de l'utilisation des ressources génétiques. Quant à la Polynésie française, elle s'est dotée d'une loi qui prévoit un partage des avantages issus de la valorisation des ressources biologiques, de leurs dérivés ou des connaissances traditionnelles associées entre l'utilisateur et la Polynésie française.

Mais ces mesures sont pour l'heure éparses et reposent largement sur la bonne volonté des utilisateurs en matière de partage des avantages. L'exposé des motifs du projet de loi estime que "les dispositions existantes sont aujourd'hui insuffisantes pour répondre tant aux exigences internationales qu'à la volonté de préserver et valoriser les ressources génétiques appartenant au patrimoine commun de la Nation, ainsi que les connaissances traditionnelles".

La France n'est donc pas en avance en termes de législation, à la différence du Costa-Rica qui s'est doté d'un dispositif de partage des avantages dès les années 1990. Aujourd'hui, les revenus cumulés de l'APA y représentent plusieurs millions de dollars. Ces sommes permettent notamment de financer le Système national des aires de conservation (SINAC), agence relevant du ministère de l'environnement costaricain et ont été par exemple affectées à la conservation de l'île de Coco (aire protégée). Le Costa Rica bénéficie actuellement de 50% des royalties au titre de quatre produits phytopharmaceutiques et à base d'enzymes commercialisés par des entreprises costaricaines et internationales.

Créer un registre des savoirs traditionnels

La Fondation France-Libertés-Danielle Mitterrand s'est félicitée, lors d'un colloque à l'Assemblée nationale le 5 mars dernier, de voir inscrites dans le projet de loi français trois mesures phares de lutte contre la biopiraterie : l'adoption d'un mécanisme de partage des avantages, qui prévoit la mise en place d'une autorité administrative compétente chargée de délivrer les autorisations d'utilisation des ressources génétiques et des savoirs traditionnels associés ; la prise en compte du consentement préalable en connaissance de cause des communautés autochtones et locales pour l'utilisation d'un savoir traditionnel ; des sanctions pénales pour les utilisateurs des ressources génétiques et des savoirs traditionnels qui contreviendraient à la loi. Cependant, ces dispositions exemptent explicitement l'immense domaine des variétés végétales légalement commercialisées et de la sélection animale : celles-ci seront réglementées par décret.

Outre que le secteur agricole a droit à un traitement particulier, France-Libertés relève que "les contours de l'autorité administrative compétente chargée de délivrer les autorisations d'utilisation des ressources génétiques et des savoirs traditionnels associés restent imprécis". Quant au consentement préalable des communautés concernées, il ne constitue pas une obligation devant conditionner la procédure d'autorisation. De même, c'est à la personne morale qu'est l'autorité administrative qu'il revient d'établir l'accord sur le partage des avantages, mais les communautés autochtones ne sont pas parties à cet accord. Enfin, la Fondation France-Libertés souligne qu'aucune obligation de divulgation de l'origine de la ressource génétique et du savoir traditionnel associé n'est prévue dans le projet de loi dans le cas d'un dépôt de brevet.

France-Libertés propose, à l'exemple du Pérou qui est le seul pays à avoir créé une Commission nationale contre la biopiraterie, que soit instauré un véritable organe de concertation et de contrôle réunissant toutes les parties impliquées. Elle invite le législateur à instituer un Observatoire des pratiques APA et la nomination d'un médiateur de la République chargé de la lutte contre la biopiraterie. Elle souligne l'importance d'associer les populations autochtones à la négociation et la signature du contrat de partage des avantages, et, parmi d'autres propositions, d'intégrer le respect de la réglementation APA dans le reporting des entreprises françaises utilisatrices de ressources génétiques à l'étranger, mais aussi d'étendre leur responsabilité pénale, sur la base de sanctions assises sur leur chiffre d'affaires.

Enfin, si justice devait être véritablement rendue aux peuples autochtones, il s'agirait de les reconnaître en droit en tant que tels plutôt que comme "communautés d'habitants" comme c'est le cas dans le projet de loi, en accord avec la déclaration des Nations unies sur les droits des peuples indigènes, souligne le juriste de l'IDDRI Claudio Chiarolla. Et ces droits devraient être rétroactifs, "ce qui permettrait de reconnaître le vol et le pillage des connaissances des communautés autochtones pratiqués depuis des années", estime France-Libertés. Pour reconnaître les savoirs traditionnels, un registre pourrait être créé, comme l'a fait l'Inde via sa bibliothèque digitale des savoirs traditionnels qui recense, depuis 2001, l'ensemble des connaissances sur plus de 200.000 ressources biologiques indiennes afin de prouver l'antériorité des savoirs traditionnels en cas de dépôt de brevet.

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