Dans la perspective de la douzième conférence des Nations unies sur la biodiversité, qui se déroulera à Pyeongchang (République de Corée), du 6 au 17 octobre prochain, la députée écologiste Danielle Auroi, présidente de la Commission des affaires européennes, a auditionné le 1er octobre à l'Assemblée nationale un panel de personnalités, parmi lesquelles Gilles Bœuf, président du Muséum national d'histoire naturelle. Celui-ci estime que "la biodiversité est incommensurable et vitale, elle n'a pas de prix mais une immense valeur". Les "services écosystémiques" gratuitement prodigués par la nature s'élèvent à 24.000 milliards de dollars par an, selon les chiffres du rapport TEEB (1) sur l'économie des écosystèmes et de la biodiversité. Future ville des Jeux olympiques, dont on sait quelles traces ils ont laissé à Sotchi (Russie), Pyeongchang sera-t-elle le lieu d'un véritable réveil politique sur un enjeu devenu crucial pour l'humanité ?
Forte empreinte écologique de l'Union européenne
L'érosion rapide des écosystèmes a été récemment remise sur la sellette par la dixième édition de Planète vivante, bilan de santé de la Terre bisannuel, élaboré sous l'égide du WWF par la Zoological Society of London et les ONG Global Footprint Network et Water Footprint Network. Ce rapport mesure que plus de la moitié (52%) des espèces sauvages ont disparu entre 1970 et 2010, et estime que l'empreinte écologique mondiale excède de 50% la capacité de la planète à se régénérer. Douze pays de l'Union européenne (UE) - Danemark, Belgique, Suède, Pays-Bas, Irlande, Finlande, Autriche, France, Slovénie, Allemagne, Italie et Portugal - se classent parmi les vingt premiers consommateurs d'hectares globaux d'empreinte écologique.
A l'heure de la présidence italienne de l'UE, Aldo Ravazzi Douvan, expert auprès de l'OCDE, évoque les progrès en matière de protection de la biodiversité à l'intérieur de son pays : 24 parcs nationaux, 151 parcs régionaux, oasis urbaines, retour du Bouc-Ibex, et souci de la qualité de la vie à travers l'attachement à des valeurs culturelles et gastronomiques. Même si l'Italie est dans la moyenne des 18% de terres actuellement couvertes dans l'espace européen par Natura 2000, ce qui reste une proportion faible.
Pour François Wakenhut, chef de l'unité biodiversité à la direction générale de l'environnement de la Commission européenne, "le cadre européen est marqué par une situation à la fois critique – seuls 18% des territoires européens sont dans un état de conservation satisfaisant – et évolutive : l'arsenal politique a beaucoup évolué. On est passé d'une protection « contre » à une protection « pour ». Avec la Banque européenne d'investissement, nous travaillons sur un mécanisme de facilité financière sur le capital naturel. Il s'agit de porter ce type de mécanisme dans le débat international au-delà des cercles de la conservation".
La Convention internationale sur la biodiversité a vu dialoguer deux grandes entités depuis 1992 : l'Union européenne et le Brésil, "lequel est au cœur de la plus grande logique de perte de biodiversité au niveau international", rappelle M. Wakenhut. "Depuis 2010 s'affirme une logique de compensation qui s'aligne sur la négociation climat : cette logique de « verticalisation » du financement de la biodiversité est une inquiétante tendance. L'enjeu est d'arriver à un point d'équilibre entre une garantie de financement suffisante pour les pays en voie de développement, et une « climatisation » des négociations sur la biodiversité", qui ne doivent pas se limiter à une logique de compensation financière Nord-Sud.
Bannir les subventions toxiques
Reste aussi à intégrer la biodiversité dans l'arsenal des politiques publiques et privées, tant dans les lois et les directives que dans la comptabilité nationale et d'entreprise. Pour M. Ravazzi Douvan, il s'agit de faire progresser la comptabilité environnementale dans l'espace européen, de prendre en considération les recommandations de la commission Sen-Fitoussi sur les calculs de la richesse autres que le PIB, de donner une véritable valeur à la biodiversité. Des mesures transversales s'imposent : l'adoption de directives européennes sur le littoral, la réactivation de la directive sols, l'introduction de primes à la biodiversité dans la PAC, la protection des pollinisateurs (qui, rappelle Gilles Bœuf, représentent 10% de ce qui vit), sont autant de pistes de travail pour l'Union européenne.
A la COP 12, l'objectif de doublement des ressources financières en 2015 (par rapport à la moyenne entre 2006 et 2010) sera à confirmer. Parmi les 20 objectifs d'Aichi (2) pour la biodiversité, l'objectif 3 est d'éliminer les subventions toxiques d'ici à 2020 et d'introduire des subventions "amies". Et l'Europe a encore des progrès à faire en la matière par exemple dans le secteur de la pêche où elle subventionne le 16253.
Consultation publique sur la compensation
"Il y a un déficit d'indicateurs de suivi de l'évolution vers l'accomplissement des objectifs d'Aichi", souligne Bernard Labat, chargé de mission à l'ONG Humanité et Biodiversité. En France, les fonds alloués à la biodiversité ne représentent que 0,06% du budget national : une proportion infime pour un enjeu vital. Quant à la mise en oeuvre des fonds sur le terrain, via l'Agence française de développement, elle mérite un suivi rapproché afin de vérifier son additionnalité réelle, sa valeur ajoutée.
Dans le cadre de sa Stratégie sur la biodiversité pour 2020, la Commission européenne a lancé une consultation (en ligne jusqu'au 17 octobre (3) ) pour recueillir l'avis du public sur une future initiative de l'UE visant à enrayer la perte de biodiversité : pour parvenir à éviter toute perte nette, tous les projets de développement susceptibles d'avoir une incidence sur la biodiversité devraient respecter une stricte "hiérarchie de mesures d'atténuation" et anticiper des compensations.