"La biodiversité existante, y compris les nouvelles variétés, est la source du travail des sélectionneurs. Ces derniers créent de nouvelles variétés adaptées aux attentes de la société à partir de la biodiversité végétale. Par conséquent, leur garantir le libre accès aux ressources génétiques est une condition indispensable." C'est en ces termes que François Burgaud, directeur des relations extérieures du Groupement national interprofessionnel des semences (GNIS), a plaidé pour le libre accès aux ressources génétiques. Sous ce modèle, la biodiversité est conçue comme un stock de ressources génétiques, qu'il convient de conserver loin des champs et dans lequel il est possible de puiser pour inventer des variétés d'avenir.
Alors que les communautés paysannes sélectionnaient leurs semences depuis le Néolithique, dans le modèle d'innovation agronomique moderne, la spécialisation des tâches a cantonné l'agriculteur dans un rôle de producteur en l'excluant de toute autre fonction. Aux chercheurs des laboratoires et des stations végétales de l'INRA sont dévolues les fonctions de production de connaissances fondamentales sur la biologie des plantes et la conservation des variétés. Aux industriels, la production des semences vendues aux paysans. Comme le décrivent Christophe Bonneuil et Frédéric Thomas dans leur livre Gènes, pouvoirs et profits (1) où ils retracent l'histoire de l'amélioration des plantes cultivées depuis 150 ans, cette organisation correspond à la vision planificatrice de l'action de l'Etat caractéristique de l'après-guerre. Elle est mise sur pied pour réaliser l'autosuffisance alimentaire nationale.
Un marché mondialisé
Mais, à partir des années 1980, les liens entre l'Etat et les marchés évoluent. Cette division des tâches entre dans une dynamique nouvelle. De fait, aujourd'hui, l'innovation en matière de production des semences se retrouve guidée par les enjeux de compétitivité de l'industrie semencière. L'association Kokopelli (2) a calculé que cinq compagnies semencières contrôlaient 75% de la semence potagère mondiale. C'est dans ce contexte que la filière semences française, qui représente 72 entreprises de sélection, se veut "un leader de l'innovation en recherche variétale, en amélioration des plantes et en création de nouvelles variétés", selon les termes du GNIS.
Issu de la Convention sur la diversité biologique (1992), le protocole adopté à Nagoya (Japon) en 2010 et confirmé en 2012 à la conférence d'Hyderabad (Inde), régule l'utilisation des avantages tirés de l'exploitation de la biodiversité. Il est en passe d'entrer dans le processus de ratification de l'Union européenne. "Nos PME seraient défavorisées si un tel système venait à être appliqué sans tenir compte des particularités de la sélection", explique M. Burgaud. Selon le GNIS, "en donnant la souveraineté aux Etats sur leurs ressources pour lutter contre la biopiraterie et permettre un partage des avantages sur les produits issus de ces ressources, la Convention sur la diversité biologique a posé des problèmes d'accès dans le secteur de la sélection". Et de brandir le "danger pour l'agriculture et l'alimentation" que signifierait le Protocole de Nagoya. "Si nous voulons éviter les situations de monopole et préserver le dynamisme du secteur, il faut privilégier un système multilatéral avec un accès simple aux ressources génétiques et un partage des bénéfices a posteriori".
Droit d'usage vs droit de propriété
Plutôt que du Protocole de Nagoya, les semenciers se réclament donc du Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l'alimentation et l'agriculture (TIRPAA), adopté en 2001 sous l'égide de la FAO. La première revendication de l'industrie semencière est de retrouver l'accès libre à l'ensemble des ressources de la planète. Elle a pour cela proposé un système "multilatéral" d'accès qui est la première raison d'être du Traité TIRPAA : les signataires du Traité et toute partie (état ou personne privée) qui met ses propres ressources à la disposition du système ont librement accès à l'ensemble des ressources qui y ont été cédées par les autres parties.
Depuis la signature de ce traité, les pays du Sud réclament une application effective du partage des bénéfices et des droits des agriculteurs. Un grand nombre d'entre eux, comme le Brésil, conditionnent l'accès à leur ressource à cette application. Malgré plus de 100.000 contrats d'échanges de ressources signés en deux ans, le traité TIRPAA a récolté peu d'argent du partage des bénéfices depuis son démarrage. Selon Guy Kastler, du Réseau semences paysannes, "les pays riches aiment le multilatéralisme lorsqu'il s'agit de partager ce qui appartient aux pauvres, mais le refusent lorsqu'il s'agit de l'utilisation de leur argent. Ils préfèrent garder la maîtrise des sommes qu'ils engagent".
Le Protocole de Nagoya, rappelle Sandrine Bélier, rapporteure principale pour le règlement et la ratification du Protocole de Nagoya par l'Union européenne, "met en avant le droit d'usage plutôt que le droit de propriété. Ce qui veut dire qu'un Etat détenteur, quand il accepte l'accès à une ressource génétique, ne cède pas les droits à un laboratoire. Il s'agit de faire bénéficier les pays du Sud de la recherche, et de ne pas se limiter à une appropriation via le partage des royalties".