En février 2013, Delphine Batho, alors ministre de l'Ecologie, lançait un plan d'urgence pour la qualité de l'air composé de 38 mesures réparties en cinq priorités. "Ce ne sont pas des mesures gadget", assurait-elle, en présentant le changement de cap de la politique de lutte contre la pollution atmosphérique.
Dans les grandes lignes, le gouvernement abandonnait la mise en œuvre des zones d'actions prioritaires pour l'air (Zapa), dont l'objectif était d'interdire de façon permanente l'accès à certaines zones aux véhicules les plus polluants. En contrepartie, il annonçait des mesures de restriction de la circulation de ces mêmes véhicules lors des pics de pollution. Par ailleurs, il créait un Comité interministériel sur la qualité de l'air (Ciqa), afin de négocier et piloter l'application concrète du plan.
Cette semaine, les mesures de qualité de l'air ont fait apparaître "des concentrations [de particules fines] élevées à très élevées en Alsace, Aquitaine, Auvergne, Bourgogne, Bretagne, Champagne-Ardenne, Centre, Franche-Comté, Ile-de-France, Languedoc-Roussillon, Lorraine, Nord-Pas-de-Calais, PACA, Pays-de-Loire, Picardie, Rhône-Alpes", indique le ministère, anticipant une situation qui "devrait perdurer encore plusieurs jours". En l'occurrence, le niveau d'alerte, déclenché à partir d'une concentration de 80 microgrammes par mètre cube (µg/m3) d'air, est dépassé en Ile-de-France et dans le sud est de la France.
L'occasion de se pencher sur la gestion des pics de pollution et l'application des mesures annoncées en février.
Le report du retour de la pastille verte
En matière de gestion des alertes à la pollution, le plan annonçait le "[renforcement des] mesures (…) y compris en restreignant la circulation aux seuls véhicules et usages les plus vertueux". Concrètement, il était envisagé d'interdire l'accès à certaines zones aux véhicules estampillés euro 1, euro 2 et euro 3, c'est-à-dire aux voitures immatriculées pour la première fois avant 1996, voire 2000. La mesure devait s'appliquer rapidement, assurait alors le gouvernement.
Un rapport devait préciser par quel moyen l'Etat entendait identifier les véhicules autorisés à circuler en ville lors des pics de pollution. Alors que les associations d'automobilistes dénonçaient le "retour de la pastille verte", Delphine Batho évoquait le recours à une puce de radio-identification apposée sur les véhicules. Il semblerait, selon certaines sources, que le rapport ait été rendu. Quant à l'identification préconisée, elle pourrait reposer sur une modification de la vignette d'assurance. Compte tenu de l'obligation d'assurer un véhicule, l'ensemble du parc serait identifié en un an. Ironie de la mesure, la vignette d'assurance est verte…
Quant au Ciqa, chargé d'organiser la concertation en vue d'appliquer les mesures du plan d'urgence, il ne s'est plus réuni depuis le 30 avril. Une réunion est toutefois annoncée d'ici quelques jours.
Etendre l'application des mesures d'urgence
Reste qu'avec le focus mis sur les pics de pollution, le gouvernement pouvait sembler laisser de côté le problème majeur de la pollution chronique. Certes, les plans de protection de l'atmosphère (PPA) sont censés répondre à cet enjeu. Néanmoins, l'abandon des Zapa vide de leur substance et rend en partie caducs les PPA des zones urbaines qui prévoyaient d'établir une telle zone. L'évaluation du PPA d'Ile-de-France illustre cet aspect. C'est d'ailleurs un point que confirmait Isabelle Derville, la responsable du dossier au ministère de l'Ecologie, à l'occasion d'une interview accordée à Actu-environnement en juillet 2012.
Pourtant, cette pollution récurrente est la principale source des décès prématurés et de la morbidité accrue, dont les "coûts peuvent être estimés, a minima, entre 20 et 30 milliards d'euros par an pour la France métropolitaine", selon une étude commandée par le ministère de l'Ecologie. Faute de Zapa, le ministère envisageait donc de modifier la procédure de déclenchement des seuils d'information et d'alerte afin que les mesures prévues soient appliquées plus fréquemment. Objectif : "tripler le nombre de jours soumis à la procédure d'alerte (à environ 30 jours en moyenne contre seulement environ 10 jours aujourd'hui) [et] au moins doubler la durée de chaque épisode d'alerte (d'environ 1 ou 2 jours aujourd'hui, à 3 ou 4 jours)".
Là encore, la mesure est reportée. Un projet d'arrêté existe bel et bien depuis maintenant plusieurs années. Au début de l'année 2013, le gouvernement entendait le publier en juin afin que la mesure soit opérationnelle dès cet hiver. A l'occasion de sa mise en consultation, la date de son entrée en vigueur a été repoussée au 31 octobre 2013. Aujourd'hui, le texte n'est toujours pas publié au Journal officiel. Interrogé sur le sujet, le ministère annonce aujourd'hui qu'il "devrait être publié d'ici plusieurs semaines".
Des arrêtés appliqués a minima
En l'état, les mesures appliquées se limitent donc à celles prises depuis plusieurs années maintenant avec une efficacité limitée. C'est le cas notamment en Ile-de-France, où la préfecture de police a appliqué une réduction de 20 km/h de la vitesse sur les voies dont les vitesses maximales sont supérieures ou égales à 80 km/h. Elle a aussi interdit les feux de cheminée en foyer ouvert et demandé à la population de limiter les activités physiques. "Le renforcement des contrôles de police (contrôles de vitesse ou contrôles techniques, notamment des deux-roues)" a donné lieu à 5.760 infractions, pour la journée du 10 décembre, avance la préfecture. Néanmoins, faute de connaître le nombre habituel d'infractions, il est difficile d'évaluer la réalité du renforcement des contrôles. A titre d'exemple, le seuil de déclenchement des radars automatiques n'a pas été abaissé, selon les informations recueillies par Actu-environnement.
Enfin, les arrêtés préfectoraux prévoient le plus souvent un renforcement progressif des mesures de lutte contre la pollution lorsque les pics s'éternisent. Il devient alors possible d'imposer un contournement de l'agglomération pour les poids lourds et de renforcer la lutte jusqu'à mettre en œuvre la circulation alternée. Ce renforcement progressif des mesures est appliqué avec parcimonie. En l'occurrence, "il est demandé aux conducteurs [de poids lourds] d'emprunter l'itinéraire de contournement", de l'agglomération parisienne, indique la préfecture mais il ne s'agît là que d'une incitation.
Cette réaction modérée des pouvoirs publics contraste avec les alertes lancées par les associations agréées de surveillance de la qualité de l'air (AASQUA) et les place dans une situation délicate, voire les décrédibilise.