En 2010, la plus haute juridiction administrative du pays a choisi de consacrer son rapport public annuel à ''l'eau et son droit'', présenté vendredi 4 juin à la presse. Le rapport, très riche et ''inédit'' par son ampleur (243 pages), pointe plusieurs dysfonctionnements et formule de nombreuses propositions pour améliorer la gestion de l'eau.
Car l'important n'est plus ''l'expoitation maximale de la ressource disponible, l'accroissement de l'offre ou le raccordement'', préoccupations de la fin du XIXe-début du XXe siècles, a expliqué le rapporteur général de la section du rapport et des études et principal auteur du rapport, Frédéric Tiberghien. Désormais, ''les nouvelles préoccupations sont de nature environnementale'' : gestion de la qualité de l'eau et de sa quantité, impact du changement climatique qui va accroître les risques de sécheresse et d'inondation, continuité écologique à laquelle font obstacle les barrages et écluses, préservation de la biodiversité…
Dans ce contexte, le prix de l'eau (hormis pour les plus démunis et les sans-abris), l'opportunité d'une loi pour interdire la coupure d'eau ainsi que la place respective de la régie et de la gestion déléguée sont de ''faux débats'', a assuré Frédéric Tiberghien. Mieux vaudrait se concentrer sur les ''vrais débats''.
Parmi ceux-ci : la multiplication des documents d'aménagement relatifs à l'eau la méconnaissance du droit communautaire par les élus, la ''balkanisation excessive'' du modèle français de gestion de l'eau, l'utilisation des eaux pluviales et la réutilisation (ou non) des eaux usées, un retour plus facile en régie pour les collectivités, une lutte plus efficace contre les inondations grâce à une prescription plus large des plans de prévention des risques naturels (PPRN) - les conclusions du rapport ont été achevées après la tempête Xynthia, a souligné le Conseil d'Etat.
Les collectivités aussi responsables
Surtout, il propose ''d'ouvrir à l'Etat la faculté de se retourner contre les collectivités territoriales à l'origine des condamnations prononcées par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE)''. A ce titre, la directive sur les eaux résiduaires urbaines (ERU) constitue un cas d'école : la France a été envoyée en novembre dernier par la Commission européenne devant la CJUE pour non-respect de ce texte adopté en 1991. En avril 2010, 93 stations d'épuration n'étaient toujours pas aux normes, alors qu'elles devraient l'être depuis… 1998 ! Si la France se fait condamner, l'Etat devrait par exemple inscrire cette condamnation comme dépense obligatoire au budget des communes ''coupables'' de non respect du droit communautaire, estime le Conseil d'Etat.
''Ce dispositif est nécessaire même si nous savons que les parlementaires n'y sont pas favorables et que les responsabilités sont partagées'', a insisté le rapporteur.
L'agriculture sur la sellette
Le Conseil d'Etat a aussi insisté sur la portée du principe pollueur-payeur. Bien que constitutionnalisé dans la charte de l'environnement, il ne s'applique quasiment pas à l'agriculture. Une redevance pourrait prendre en compte les dommages à l'environnement causés par le secteur, indique-t- il. De même, les prélèvements du secteur pour l'irrigation sont largement sous-estimés, et ses techniques très dispendieuses en eau. Autre problème, notamment lié à l'agriculture : ''la péréquation des tarifs entre grandes catégories d'utilisateurs (industrie, agriculture, ménages) reste mal appréhendée, alors que la directive-cadre sur l'eau réclame la transparence sur ce point'', selon le rapporteur général.
''L'agriculture française a toujours tendance a surdoser nitrates et pesticides pour améliorer ses rendements, en l'absence de régime d'assurance récolte suffisant'', estime le rapporteur général. Sur ce point, la loi de modernisation agricole ''va dans le bon sens'' puisqu'elle accroît la couverture des risques liés aux aléas climatique, sanitaire, phytosanitaire et environnemental.
''Nous ne faisons pas grief aux agriculteurs de se comporter comme cela. Leur comportement obéit à une rationalité économique''. Le Conseil d'Etat propose donc la mise en place d'une TGAP nitrates en plus de la TGAP déjà existante sur les pesticides. La mise en œuvre de la première avait été repoussée lors de l'adoption de la loi sur l'eau de 2006…
Enfin, il faut aussi absolument ''réinventer un modèle économique'' des services de l'eau, a estimé le rapporteur. ''Plus vous faites des économies d'eau, plus le prix unitaire augmente pour compenser les coûts fixes. La tarification de l'eau devrait donc être dissociée d'une partie du volume consommé et dépendre de l'atteinte d'objectifs de qualité''.