En chantier depuis 2003, le Plan de base sur l'énergie (Basic Plan on Energy) fixe les orientations de la politique énergétique japonaise à l'horizon 2030 autour de trois piliers : sécurité énergétique, viabilité environnementale et utilisation de mécanismes de marché. Le Plan met aussi l'accent sur l'efficacité énergétique et les économies d'énergie, dont le Japon, qui a amélioré son intensité énergétique depuis les années 70, est déjà champion du monde, mais peut encore mieux faire, en particulier dans le parc tertiaire. Révisé en 2010, ce plan en appelle à la construction de 14 nouvelles centrales nucléaires d'ici à 2030 afin d'anticiper les besoins futurs en électricité du pays.
Depuis le tsunami et l'accident de Fukushima, la politique nucléaire du Japon est pourtant mise en question. Le futur énergétique du pays est dans les limbes. Le Parti démocratique du Japon, dont est issu le premier ministre Naoto Kan, a mis en place un groupe de travail sur les énergies renouvelables afin d'élaborer de nouvelles stratégies énergétiques, qui devraient former la trame d'un nouveau programme. Conséquence du tsunami, la mise à l'arrêt de douze centrales nucléaires et thermiques depuis le 11 mars confronte le gouvernement à l'urgence d'atténuer les effets de la baisse de la fourniture électrique dans la région capitale, estimée à une décrue de 13,5 gigawatts dans les prochains mois.
Au G8 de Deauville, fin mai, le Premier ministre japonais n'a pas pour autant brossé le paysage d'une révolution énergétique dans le pays. Il a annoncé la révision du Plan de base sur l'énergie sans pour autant revenir sur l'option nucléaire, réaffirmée sous l'égide du concept de la sûreté, l'un des principaux axes de discussions de la conférence du groupe des huit. Contrairement à l'Allemagne, le Japon n'a donc pas annoncé sa sortie du nucléaire. Dans sa déclaration, Naoto Kan a présenté les linéaments de la révision du Plan de base sur l'énergie autour de quatre piliers : le pilier "renouvelables" et le pilier "efficacité énergétique" viendront s'ajouter aux piliers existants que sont le nucléaire et les énergies fossiles, sans que l'agencement du système soit profondément restructuré à ce stade.
Habituellement, les révisions du Plan sont conduites sous l'égide d'une commission gouvernementale, composée d'experts et des entreprises du secteur, sous la tutelle du puissant ministère de l'économie, du commerce et de l'industrie (METI). Cette fois, c'est sous la tutelle du Cabinet du Premier ministre qu'a été instaurée une nouvelle instance, le Conseil de l'énergie et de l'environnement, lancée le 7 juin en vue de mettre en place les orientations du nouveau Plan énergétique national. Les ONG y voient le signe d'une approche plus transversale, mais craignent que cette instance ne soit pas suffisamment renouvelée… et renouvelable, sous l'influence persistante du METI, favorable à la construction de 14 nouvelles centrales nucléaires d'ici à 2030. La part du nucléaire dans la production électrique nationale passerait alors de 26% en 2007 à 54% en 2030.
Pour l'heure, le Premier ministre a annoncé une hausse de la part des énergies renouvelables, devant atteindre 20% du mix à partir des années 2020. Pour le représentant du WWF Japon, ces annonces sont insuffisantes : "Le Premier ministre devrait mettre le cap vers 100% d'énergies renouvelables", note Naoyuki Yamagishi, qui estime que le Plan "Lever de Soleil" (Sunrise Plan) devrait être plus affirmé. Ce plan prévoit que le coût de l'électricité solaire sera divisé par trois d'ici à 2020, et par six d'ici à 2030, l'objectif étant d'installer des panneaux solaires sur les toits de 10 millions de bâtiments. En outre, des fermes éoliennes offshore seront implantées à grande échelle dans les années 2020. Le Premier ministre a également annoncé le développement de combustibles à base de micro-algues vertes, de la biomasse et de la géothermie.
Transition énergétique : subir ou choisir
C'est par le biais des comportements que la logique du système pourrait évoluer. Cet aspect est sans doute le plus original dans l'évolution du discours officiel. "Nous devons mettre en question nos modes de vie, qui supposent des ressources énergétiques infinies. Nous devons créer de nouvelles manières d'être où une vie confortable pourra être alimentée avec une énergie limitée", a affirmé le Premier ministre japonais à l'issue du G8, le 27 mai dernier. Naoto Kan a évoqué la "sagesse" transmise de génération en génération à une époque où l'on se rafraîchissait en occultant les ouvertures avec des rideaux de bambou et en aspergeant les rues d'eau. "En combinant ces pratiques ancestrales avec des technologies de pointe, nous allons créer des maisons et des villes nouvelles".
Nécessité fait loi : confronté aux pics estivaux et à des ruptures d'approvisionnement, le gouvernement est contraint d'organiser le rationnement de l'électricité, situation inédite depuis l'occupation américaine en 1948. D'ores et déjà, les 25.000 employés de la ville de Tokyo vont se rendre au travail plus tôt le matin pour économiser l'énergie en sortant plus tôt l'après-midi, et en baissant la climatisation, plafonnée à 28 degrés. Le gouvernement espère étendre cette mesure au privé, dont les salariés sont habitués à travailler jusqu'à la tombée de la nuit. Les cadres sont encouragés à adopter un nouveau code vestimentaire, dit "Super Cool Biz", pour avoir moins chaud dans des tenues plus amples. Les 35 millions de résidents de l'agglomération de Tokyo sont incités à renoncer à la climatisation au profit des ventilateurs et à régler au minimum le thermostat de leur réfrigérateur. Le groupe japonais Toshiba a présenté des télévisions et des PC portables capables de fonctionner sur batterie lors des pics de consommation électrique.
La crise énergétique à laquelle le Japon est confronté est aussi une opportunité. C'est ce qu'affirme l'ISEP, Institut japonais pour des politiques énergétiques renouvelables (Institute for Sustainable Energy Policies) (1) , qui propose de transformer les contraintes actuelles "subies" en politique rationnelle de sobriété énergétique. A court terme, l'ISEP propose des contrats de prestations ajustées, un tarif spécial pour dissuader les usages au moment des pics, et une limitation de l'ampérage des ménages et PME. Le reste de l'alimentation serait assuré par un redéploiement régional de la production électrique sur le territoire, fondée sur les énergies renouvelables, sur la base d'un objectif de 30% d'ENR en 2020, et 100% en 2050. Ce basculement serait possible en abattant de 20% la consommation d'énergie à l'horizon 2020, en supprimant progressivement le nucléaire à l'occasion des catastrophes récentes. En 2050, la consommation d'énergie du pays aurait été divisée par deux, et les énergies renouvelables répondraient à des services énergétiques complètement réorganisés.
Dans le même sens, l'étude Energy Rich Japan (2) a proposé, dès 2003, une approche combinant économies d'énergie et énergies renouvelables sur la base de six scénarios de transition énergétique vivables, combinant offshore offensif, énergies locales, rationalité des usages, prise en considération du déclin démographique, et accroissement du mix des renouvelables encouragé par des tarifs spéciaux. "Mais le chemin pris par le Japon depuis 2003 n'a malheureusement rien à voir avec la voie proposée dans cette étude", selon Bernard Chabot, spécialiste des ENR et ingénieur énergéticien, qui note que l'électricité renouvelable au Japon ne couvre même pas 3% de la consommation annuelle (chiffre de 2008) "du fait de l'opposition des compagnies d'électricité organisées en oligopole, qui s'opposent à toute politique d'envergure d'énergies renouvelables et de tarifs réglementés".