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Sauvegarde du thon rouge : un sommet décisif s'ouvre à Paris

La 17ème réunion extraordinaire de la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l’Atlantique (CICTA/ICCAT) a dix jours pour décider du sort du thon rouge de l’Atlantique, espèce menacée.

Biodiversité  |    |  A. Sinaï
   
Sauvegarde du thon rouge : un sommet décisif s'ouvre à Paris
   

Le stock Est-Atlantique de thon rouge (Thunnus Thynnus) est pêché depuis l’Antiquité en Méditerranée. La pêche à la madrague fait partie de la culture méditerranéenne ; elle a permis de fonder de nombreux villages et cités. Jusqu’au XIXe siècle, les hommes ont cru les océans sans limites. Dès le XIVe siècle, les pêcheurs français avaient été frappés par la fécondité des harengs. Alexandre Dumas, quelques siècles plus tard, évoquait ces océans sur lesquels on pouvait marcher. Cette illusion de surabondance perdure, malgré l’effondrement des stocks en Atlantique ouest il y a trente ans et leur déplétion en Méditerranée. Le thon rouge, espèce naguère abondante, est aujourd’hui au bord de l’extinction. L’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) l’a classée en danger critique.

Car les techniques ont évolué. Apparue à la fin des années 1980, la pêche à la senne s’est développée à grande vitesse, "avec l’aide du contribuable européen", rappelle la présidente du WWF France, Isabelle Autissier, lors d’un séminaire co-organisé le 16 novembre à Paris par le Pew Environnement Group, et l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI). La machine s’est emballée. Avec seulement 17 thoniers senneurs (dont les filets coulissants peuvent capturer jusqu’à 200 tonnes de poisson en une prise), la France a dépassé de 5.000 tonnes en 2007 son quota de capture de thon rouge, tandis que la pêche artisanale agonise.

Dans cette guerre industrielle, l’Union européenne se taille la part du lion. En Méditerranée, la France, l’Espagne, l’Italie et Malte pêchent le plus de jeunes thons rouges, engraissés dans des fermes, situées pour la plupart en Croatie, puis revendus sur le marché japonais. Pour Rémi Parmentier, conseiller de Pew Environnement, "l’empreinte écologique de l’Union européenne sur la biodiversité marine est comparable, par sa magnitude, à l’empreinte écologique des Etats-Unis sur le climat".

Une guerre industrielle

Pour les ONG, l’enjeu de ce 17ème sommet de la CICTA est crucial. Le Pew Environment Group, le WWF, Greenpeace et Oceana demandent aux 48 pays de la CICTA de suspendre la pêche au thon rouge de l’Atlantique des deux côtés de l’océan jusqu’au rétablissement des stocks, et l’abolition de la pêche illicite en Méditerranée. De son côté, la CICTA se fonde sur des calculs de probabilité et de coûts-bénéfices : le niveau supportable de captures est mis en balance avec les bénéfices escomptés de l’industrie. "Autrement dit, les politiciens décident, en fonction de profits à court terme, quel risque se justifie pour les biotopes et les écosystèmes", souligne le Pew dans un communiqué.

C’est ainsi qu’en 2008, la CICTA a décidé d’adopter des quotas qui laissent 60% de chances aux populations de thon rouge de se revigorer. Le quota de 13.500 tonnes fixé en 2009 pour l’Atlantique-Est accorde, selon les scientifiques du CPRS (Comité permanent sur la recherche et les statistiques), 60% de chances de rétablissement d’ici 2022, seuil considéré comme infondé par les ONG, qui notent que ce quota ne prend pas en compte la pêche illégale. Reste 40% de chances d’échouer, ce qui, pour Pew, "est un risque considérable pour la conservation".

Ecocide

En Méditerranée, les bases de données du commerce montrent que les captures de thons rouges ont été sérieusement sous estimées entre 1987 et 2008. Publiée le 7 novembre 2010, l’enquête du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) (1) révèle qu’un thon rouge pêché en Méditerranée sur trois provenait de la pêche illégale au cours de la période 1998-2007, et que le système de déclarations en vigueur depuis 2008 pour résoudre ce problème comporte tant de failles qu’il ne sert de facto à rien. L’enquête met à jour nombre de fraudes et falsifications, d’omissions de données et des décalages inexplicables entre le nombre de poissons pêchés officiellement et ceux vendus sur le marché. Ces lacunes empêchent les responsables de fixer des quotas de pêche annuels fiables.

Consultant indépendant, Roberto Mielgo Bregazzi a dénoncé lors du séminaire Pew/IDDRI un "véritable écocide depuis 1998 en Méditerranée" et avancé le chiffre de 4,993 millions d’euros pour évaluer le montant du marché noir de thon pêché illégalement. Il s’est inquiété de voir le CPRS, panel scientifique de la CICTA, pratiquer une évaluation délibérément lacunaire de l’état des stocks, allant jusqu’affirmer que "l’industrie et la science font front commun".

Solutions globales et immédiates

Président de la CICTA, Fabio Hazin, prenant la parole en son nom propre, a reconnu que la CICTA n’a pas toujours accordé l’attention due aux avis scientifiques du CPRS. Selon lui, cette période de "Moyen-Age" est révolue. Si, en 2006, les captures autorisées par la CICTA équivalaient à 50.000 tonnes, soit 333% les taux admissibles de capture (TAC) préconisés par les scientifiques, elle a réduit ces TAC d’année en année et s’accorde aujourd’hui sur un quota global de 13.500 tonnes. Fabio Hazin a souligné la nécessité pour la CICTA d’améliorer la surveillance et le contrôle, et a insisté sur l'importance de passer à un système électronique intégré de marquage et de suivi.

Des solutions globales sont sur la table. Pour Serge Beslier, directeur honoraire à la Commission européenne, le cas du thon rouge illustre la discordance des régimes du droit international, que les gouvernements devraient s’efforcer de mettre en synergie. Une gouvernance globale des océans devrait permettre de mettre fin à la tragédie des biens communs, qui n’appartiennent à personne, mais sont surexploités par tous. Pour les ONG telles que Pew, la priorité est de fermer les six zones de frai repérées en Méditerranée et de créer des sanctuaires sur ces zones.

"La France est complètement isolée dans sa défense de la pêche industrielle. Si elle ne change pas sa position, elle risque de faire de l'Union européenne le fossoyeur du thon rouge", a déclaré Corinne Lepage, eurodéputée du groupe ADLE (Alliance des démocrates et libéraux pour l’Europe). La France va bientôt être l'un des derniers Etats à s'opposer à une baisse drastique des quotas de capture du thon rouge. Alors que la Commission européenne, emmenée par la commissaire Maria Damanaki, est prête à soutenir une telle réduction, Bruno Le Maire, ministre français de l'Agriculture, de l'Alimentation, de la Pêche, de la Ruralité et de l'Aménagement du Territoire, plaide pour le maintien d’un quota global de 13.500 tonnes. Pour Jean-Paul Besset, eurodéputé Europe Ecologie - Verts/ALE, membre de la Commission Pêche au Parlement européen, "la sauvegarde du thon rouge passe par un moratoire complet. Sacrifier l'avenir au bénéfice du présent revient à mener une politique de gribouille qui n'honorerait pas la France."

1. Consulter l’enquête du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ)
http://www.publicintegrity.org/articles/entry/2643/

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