L'objectif est surtout de trouver au plus vite une solution pour les déchets graphite venant des premiers réacteurs construits en France : les réacteurs graphite-gaz. Mais sur le terrain, les populations ne l'entendent pas de la même façon. Les communes n'avaient qu'à répondre à une lettre du préfet pour se porter candidates. Du coup, nombre d'entre elles ont dû revenir sur leur décision, faute d'avoir concerté leurs populations ou encore leurs intercommunalités. Fin avril, constatant que les candidatures se trouvaient toutes en Champagne-Ardenne et en Lorraine, les deux Conseils de ces Régions ont exprimé officiellement leur opposition à tout nouveau projet de stockage de déchets nucléaires. Le lobby du Champagne a suivi dans la foulée, alors qu'il s'était montré plutôt discret jusqu'à présent. Ces régions assument déjà la présence dans l'Aube des sites de stockages « en surface » de déchets radioactifs FMAVC (Faible et Moyenne Activité à Vie Courte) à Soulaines-Dhuys et TFA (Très Faible Activité) dans la commune voisine de Morvilliers (10).
Déchets HA MA-VL : encore des recherches
Le laboratoire de Bure (55) pour l'étude d'un stockage en couche géologique profonde des déchets HA MA-VL (Haute Activité et Moyenne Activité à Vie Longue) est implanté à une cinquantaine de kilomètres de là à vol d'oiseau, dans le sud de la Meuse à la frontière avec la Haute-Marne. Depuis son autorisation d'implantation il y a dix ans, il est le seul laboratoire dont dispose l'Andra pour piloter un programme de recherches sur le stockage géologique des déchets HA MA-VL. La première loi relative aux déchets nucléaires de 1991 - dite loi Bataille, du nom du député - en prévoyait deux.
Les déchets HA MA-VL sont issus du retraitement des assemblages de combustibles usés en sortie des réacteurs à eau pressurisée. Ils représentent un faible volume mais une très grande radioactivité et un coût de gestion phénoménal : 70.000 €/m3 pour les MA-VL et 1 M €/m3 pour les HA, selon le CEA.
La loi du 29 juin 2006 a établi le stockage réversible dans une couche géologique comme unique solution retenue pour la gestion de ces déchets. En parallèle, l'Andra doit s'assurer que les capacités d'entreposage des colis de déchets en attente de stockage se mettent en œuvre et que le conditionnement des déchets soit concordant avec le concept de stockage.
Fin 2005/début 2006, la faisabilité du stockage souterrain des HA MA-VL dans la couche géologique d'argile située à 500 mètres sous le sol de Bure a été actée. Depuis lors, la zone d'expérimentation s'est déployée sur 250 km2 autour de Bure. Sur cette étendue, la couche géologique d'argile présente les mêmes caractéristiques que dans le sous-sol de Bure, indique l'Andra.
Stockage des HA MA-VL : de Bure à Bonnet ?
Maintenant, l'Andra passe à l'étape suivante. Un décret l'oblige à transmettre au Gouvernement dès la fin de l'année une proposition de zone d'intérêt restreinte pour l'étude du stockage des HA MA-VL. Ainsi, ces dernières semaines, elle a informé les élus des trois intercommunalités situées dans le périmètre de proximité de 10 km autour de Bure, de quatre Zones d'Intérêt identifiées pour une Reconnaissance Approfondie (ZIRA) de 30 km2 chacune. Deux à trois « descenderies » inclinées d'environ cinq kilomètres serviront à passer des installations de surface aux installations géologiques. Cinq, c'est aussi le nombre d'années estimé pour la construction d'une descenderie. Cette réalité rappelle qu'un tel projet est aussi un immense chantier de construction. Elle ne laisse oublier l'accident mortel d'Eric Joly en 2002 sur le chantier du laboratoire de Bure, suite à quoi seul Bouygues TP a été condamné pour homicide involontaire.
Le 22 juin prochain, l'Andra va inaugurer un centre technologique centré sur les activités d'exploitation du stockage profond à côté du laboratoire de Bure. D'ici là, chacune des trois Communautés de Communes du périmètre de proximité du laboratoire de Bure est invitée à formuler ses choix de ZIRA. Sont en jeu l'implantation des installations de surface en amont des descenderies et la taxe professionnelle attenante, mais aussi l'emplacement du stockage éventuel de déchets HA MA-VL.
La carte des ZIRA permet d'ailleurs de distinguer une zone forestière « idéale » de 15 km2 à environ cinq kilomètres du laboratoire de Bure. Plus de 60 % de cette zone couvre la commune de Bonnet, là où se trouve un captage d'eau potable protégé. Or c'est justement dans la forêt communale de Bonnet qu'ont été découvertes huit bornes d'études de la faune et de la flore. Ces bornes ont été déposées par l'Andra ou son mandataire l'INRA sans que ni le Maire ni ses adjoints n'aient été informés. Elles font partie de l'Observatoire pérenne de l'environnement qui vient compléter le laboratoire de Bure ; l'idée étant d'avoir ici une « très grande infrastructure de recherche ».
Trois ans de retard dans la concertation
Le calendrier des stockages souterrains de déchets nucléaires à Vie Longue est inscrit dans le Plan National de Gestion des Matières et des Déchets Radioactifs (PNGMDR) créé par la loi du 29 juin 2006. Dans son dernier rapport, la Commission Nationale d'Evaluation (CNE) des recherches et études relatives à la gestion des matières et déchets radioactifs souligne que le calendrier prévisionnel de l'Andra paraît extrêmement tendu, tant pour le stockage des déchets radifères et graphites [FAVL] que pour celui des déchets HAVL.
Sans site pour les déchets graphite, il est difficile d'engager véritablement le démantèlement des neuf réacteurs graphite-gaz... Cependant, le Gouvernement a récemment décidé de décaler à 2019 l'ouverture du stockage des FAVL prévu en 2013. Et l'Andra s'est engagée à saisir la Commission Nationale du Débat Public (CNDP) avant même le choix définitif du site, ce qui est en contradiction avec le Code de l'environnement.
Pourtant, pour le stockage géologique des déchets HA MA-VL, il n'en est rien. Le calendrier reste tel quel : autorisation de création du stockage en 2015 pour une mise en service en 2025. Et d'ici là, en 2013, un débat public. Or la concertation de la population a déjà trois ans de retard sur le calendrier. Le Comité Local d'Information et de Suivi du laboratoire de Bure (Clis) créé en 1991 a été reconduit après l'adoption de la loi du 29 juin 2006. Il a fallu attendre un an et demi pour sa mise en place. Et pendant un an, il a fonctionné à huit clos, en l'absence de la presse, et sans ses membres opposés à l'enfouissement des déchets nucléaires. Ces derniers n'ont pas accepté un Clis présidé par le député Christian Bataille, qu'ils considèrent largement responsable du fait que le projet de stockage souterrain des déchets HA MA-VL se focalise sur Bure.
Récemment, ce président a démissionné. Le Clis n'a plus qu'un vice-président. Mais déjà, il ouvre son Assemblée Générale du 29 juin prochain. Hasard du calendrier ou cadeau d'anniversaire pour les dix ans du laboratoire de Bure ? La veille, les habitants des trois intercommunalités proches de Bure y sont invités à descendre dans un puit vertical jusqu'à 500 mètres de profondeur pour y découvrir les galeries d'expérimentation. En sortie, ils auront peut-être perdu le nord. Gageons qu'ils sauront se retrouver pour la fête cantonale à Bonnet, comme de nombreux pèlerins qui, par le passé, y venaient avec l'espoir de recouvrer la raison auprès de Saint Florentin.